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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

– Combien de temps nous reste-t-il ?

Kreya ne prit même pas la peine de jeter un coup d’œil à son horlogyre, pas plus que les deux autres ; elle réfléchit quelques secondes, levant les yeux vers le ciel bleu teinté de mauve et se mordillant les lèvres durant ce court laps de temps. Pas un nuage ne se dessinait au-dessus de leurs têtes et l’étoile, rouge et énorme, était encore si haute qu’ils pouvaient aisément éviter son éclat aveuglant. Autour d’eux, la végétation était immobile et aucune brise ne soufflait. De ce fait, bien qu’il fît beau, l’air restait moite et alourdissait ainsi la chaleur ambiante. Pourtant, ils commençaient à s’y habituer ; la sensation était moins désagréable que le premier jour.

Kreya baissa ensuite le regard vers ses deux collègues. Si Moriss l’observait avec attention, Lionel était déjà perdu dans ses pensées, les yeux tournés vers l’herbe rase sur laquelle ils s’étaient arrêtés. Un sourire cynique se glissa quelques instants sur ses lèvres tandis qu’elle fixait son ami ; il y avait une telle opposition entre la rigueur de son uniforme et le soin qu’il y prêtait et son air rêveur et distrait que c’en était risible. Mais il y avait certaines choses qui ne s’oubliaient pas.

– Un peu moins de deux heures, il me semble. Nous avons un peu de temps devant nous, poursuivit-elle en contemplant la rangée d’arbres au-delà du complexe, à une bonne distance d’eux.

L’expédition devait durer trois jours ; il fallait donc tout installer de sorte à assurer l’autonomie du sous-marin durant cette période, car il resterait à de fortes profondeurs durant tout ce laps de temps. Les préparatifs prenaient ainsi du temps mais c’étaient aux droïdes que revenait cette tâche, supervisée par des techniciens et des chefs d’équipe, et même leurs effets personnels avaient été embarqués de cette façon comme cela avait déjà été le cas sur le Feirhedron après qu’ils eurent effectué le téléchargement de tout le travail réalisé ces trois dernières semaines. Leur rôle s’était arrêté là ; ils n’avaient donc rien à faire si ce n’était attendre pour embarquer dans le sous-marin. La question de la façon la plus pertinente d’occuper ce temps se posait donc, même si tous trois avaient la vague impression d’oublier quelque chose. Cependant, aucun d’eux n’était en mesure de s’en remémorer la raison et jugeait donc que cela devait être sans importance.

Moriss soupira, satisfait.

– Eh bien, nous allons peut-être enfin pouvoir nous offrir cette petite visite ! s’enthousiasma-t-il alors en joignant ses mains, débordant d’énergie.

Il ne reçut aucun écho de ses amis qui le fixaient tous deux avec circonspection, les sourcils haussés. Son intervention eut le mérite de tirer Lionel de ses songes.

– Cette ile est un peu trop grande pour cela, objecta ce dernier.

Car s’ils avaient bien eu droit à une visite du complexe lui-même, ses alentours leur demeuraient tout aussi peu connus qu’avant leur atterrissage – c’est-à-dire qu’ils ne disposaient que des seules informations dispensées au cours de leur voyage. Cela leur faisait donc encore une large surface à explorer. En effet, le complexe avait été installé sur l’une des iles les plus larges de la planète qui était presque assimilable à un très petit continent. Mais jusqu’à présent, ils avaient été trop occupés pour pouvoir se le permettre ; cela ne faisait qu’une semaine qu’ils se trouvaient là et déjà, une première expédition était prévue le jour-même. Initialement, seuls les géologues et les animalistes, les spécialistes en biologie animale, dont les équipes existaient bien avant la leur, auraient dû s’y rendre. Mais leur supérieure, le Docteur Rocombell, avait insisté pour profiter de cette occasion et pour y greffer son équipe car il n’était pas du tout prévu qu’ils partissent aussi tôt. Leur semaine avait donc été consacrée à la préparation de ce départ – décider que faire et quoi emporter en conséquence – en plus de continuer à travailler sur les données des autres équipes. Les occasions avaient donc été rares et trop courtes pour avoir réellement la possibilité de les exploiter.

Mais là encore, deux heures ne seraient pas suffisantes.

Moriss haussa les épaules, à peine affecté par les mines dépitées de ses amis. Ils revenaient du chemin du réfectoire et si par automatisme, ils s’étaient rendus auprès de leur bâtiment de travail – qui comprenait également leur logement à l’étage – ils ne comptaient pas du tout y entrer. Pour quoi faire, d’ailleurs, par un temps aussi clair ? Ils ne passeraient pas le temps restant dans leurs chambres !

– Nous pouvons aller vers la côte, près du port, proposa-t-il et les deux autres levèrent des regards intéressés vers lui. Ce n’est pas très loin et nous serons plus près pour le départ. A moins que vous n’ayez des choses à faire ici ou des envies particulières ?

– Moi ça me va, fit Lionel avant de se retourner vers la theris qui hocha simplement la tête en guise de réponse.

Mais alors qu’ils allaient prendre la direction du port, une voix dans leur dos les interpella et au même moment, une porte se referma derrière eux dans un bruit feutré, leur indiquant que cette personne venait de quitter leur propre bâtiment. Cela ne laissait que peu de choix sur son identité puisque l’accès aux bâtiments était restreint pour l’essentiel d’entre eux.

Ils s’arrêtèrent pour se retourner et leur hypothèse fut aussitôt confirmée. Ils en furent toutefois étonnés. Ce n’était pas comme si cette semaine de travail avait été l’occasion pour eux de se rapprocher des autres membres de leur équipe. En vérité, ils s’étaient à peine parlé et les échanges avec eux autres que professionnels avaient été quasi inexistants. Eux-mêmes n’avaient rien fait pour que la situation fût différente puisqu’ils s’étaient toujours contentés de rester entre eux, conservant auprès d’eux quelque chose de familier sur ce territoire inconnu au quotidien si différent de leur précédente vie. Au final, seuls Mara et Lionel s’étaient adressés quelques mots, surtout à l’initiative de la jeune femme. Le rouquin était trop renfermé et taciturne pour faire lui-même le premier pas.

– Vous allez au port ? leur demanda Mara lorsqu’elle arriva à leur hauteur, observant brièvement Lionel à la dérobée avant de balayer les deux autres du regard tandis que tous reprenaient leur marche, puis elle poussa un soupir soulagé. Ah, et dire que j’allais oublier !

– Oublier l’expédition ? s’étonna Lionel en écarquillant les yeux.

Kreya fronça les sourcils, incertaine. Si la même interrogation lui était venue, elle lui paraissait toutefois assez étrange. A moins que leur collègue n’eût été obnubilée par autre chose, de sorte que son esprit l’en avait écartée ? Ce devait être très préoccupant dans ce cas !

– Quoi ? Mais non ! Je parle de la formation ! Attends, avec tout le travail qu’on a effectué ces trois dernières semaines, difficile de l’oublier ! rétorqua-t-elle dans un rire alors que les trois autres se figeaient.

C’était cela, la formation ! Elle leur était complètement sortie de la tête – il fallait dire aussi qu’elle aurait dû déjà être faite sans cet incident. Les trois amis s’entreregardèrent, penauds, et Lionel se mordilla les lèvres. Autant pour leur virée sur la côte – mais heureusement que Mara les avait rejoints à temps, auquel cas ils n’y auraient même pas été.

Chose d’autant plus stupide que de toute l’équipe, ils étaient bien parmi les plus concernés par celle-ci.

Leur réaction ne passa pas inaperçue aux yeux de la jeune humaine, qui hoqueta de surprise. Ses yeux s’agrandirent tandis qu’elle les fixait tour à tour pour se confronter à des airs gênés.

– Attendez, vous avez réussi à oublier… ?

– Oui, bon, pas besoin d’en faire toute une histoire, bougonna Moriss, vexé. Et tu as bien failli l’oublier, toi aussi.

– Sauf que cette formation ne me concerne pas vraiment.

Cependant, cela ne changeait pas la direction à prendre, ce qui expliquait pourquoi Mara avait eu l’illusion qu’ils s’y rendaient.

– D’ailleurs, pourquoi t’y rends-tu, toi ? l’interrogea Lionel, intrigué. J’ai cru comprendre que tu ne sortirais pas du sous-marin, non ?

Mara était technicienne de recherche et s’occuperait surtout du traitement de leurs données et des échanges avec les autres équipes, même si elle participerait également à certaines analyses. De ce fait, elle ne devait donc participer à aucun prélèvement sur le site, ce qui avait semblé lui convenir tout à fait. La présence d’Untrill et de Valène aurait été plus justifiée dans ce cadre-là, mais tous savaient qu’ils se trouvaient déjà dans le port submersible. De toute façon, depuis le temps qu’ils étaient sur la planète, ils devaient déjà connaitre tout cet aspect de leur future mission. Ayant un rôle purement administratif, la question ne se posait pas pour Kylio ; il restait à la surface.

La jeune femme haussa les épaules avec indifférence.

– Pourquoi pas ? Je n’ai rien de spécial à faire à part attendre et m’ennuyer. Du coup je vous accompagne – et heureusement pour vous d’ailleurs, apparemment, glissa-t-elle sur un ton amusé.

Kreya soupira à ses propos avant de lui concéder ce fait d’un hochement de tête tandis que le darnien se crispait davantage, un peu contrarié.

Le trajet jusqu’au port fut relativement silencieux. Ils gagnèrent la côte, et tandis que grandissait le bruit de l’écume se brisant contre la roche, le bâtiment se dressa devant eux. Contrairement au spatioport, visible au-delà des arbres, rien ne le séparait du complexe – il se tenait juste en périphérie, en une rare zone où les falaises n’étaient plus dans cette région de l’ile. De cette façon, le port maritime était construit au niveau de la mer et permettait l’arrimage de quelques bateaux. Une petite zone de production d’hydroélectricité y était associée pour couvrir une partie de ses besoins énergétiques mais se trouvait derrière et de ce fait, elle demeurait hors de leur vue. Sa taille et son activité restaient assez limitées pour éviter des impacts néfastes sur la faune aquatique et des couloirs avaient été aménagés pour permettre leur passage. Mais toute cette partie émergée n’était que peu développée et n’avait rien à voir avec ce qui se trouvait en dessous, le cœur du port.

La bâtisse en elle-même était simple et d’architecture similaire aux autres édifices du complexe : c’était un parallélépipède rectangle de grande taille à la toiture plate occupée par des panneaux solaires, aux murs clairs et recouverts de végétation. Il disposait d’un étage et servait surtout de dépendance au port proprement dit, de zone d’accès à ce dernier et de zone de dépôt et de stockage temporaire de matériel avant transfert. S’il avait bruissé d’activité la veille, aujourd’hui tout était calme. Ce n’était pas à ce niveau-là que tous s’affairaient.

Une fois devant l’entrée, ils présentèrent leurs badges d’accréditation et une fois validés, ils pénétrèrent à l’intérieur du grand hall. Ils traversèrent plusieurs pièces jusqu’à s’arrêter à l’une d’entre elles, se rendant à l’évidence : ils ne se rappelaient plus exactement où ils devaient se rendre et ils avaient l’impression de s’enfoncer dans le bâtiment de manière aléatoire. De grande taille, la pièce dans laquelle ils venaient d’entrer l’était surtout sur sa longueur et l’impression était augmentée par la sensation de vide. Il n’y avait que des pendoirs fixés aux murs, inoccupés pour la plupart. Il ne s’agissait que d’une simple salle de transition et il n’y avait strictement personne.

– Je ne suis pas sûr que le rendez-vous soit là, en fait, dit Moriss tandis qu’il réfléchissait, tâchant de se remémorer le débriefing durant lequel avait été évoqué ce rendez-vous.

Mara soupira face à tant d’évidence. Cette réalité était si frappante que la précision était inutile.

L’équipe en question avait-elle estimé que leur retard était trop important pour s’embêter à les attendre ? Cela paraissait étrange tout de même. Ils devaient avoir à peine dix minutes de retard, tout au plus, et personne n’avait cherché à communiquer avec eux. Auquel cas Mara aurait reçu cet appel lorsqu’elle se trouvait encore dans leur bâtiment de fonction.

– Nous nous sommes peut-être trompés de direction, hasarda Lionel en fronçant les sourcils tandis qu’il jaugeait l’exiguïté de la pièce.

– Nous sommes bien d’accord que c’est une autre équipe qui assure cette formation ?

– Que voudrais-tu que ce soit d’autre, en même temps ? Des droïdes ?

– Cherchez pas les gars, c’est juste qu’on n’est pas allés assez loin, souffla Mara en se retenant de rouler des yeux, s’avançant vers la porte en face de celle par laquelle ils étaient entrés.

Elle appuya sur la commande et la porte s’effaça devant eux pour leur révéler une pièce plus grande. Le silence fut aussitôt interrompu par des bruits de conversation et se tenait à l’intérieur une équipe en train de discuter. Certains de ses membres se tenaient debout, les bras croisés, tandis que les autres s’étaient assis sur des caissons ou à même le sol. Tous se retournèrent vers eux à leur entrée abrupte et leurs visages affichaient nettement leur surprise. Elle comptait seulement six personnes et la plupart d’entre elles leur était inconnu. Untrill ne s’y trouvait pas – mais comme il avait déjà dû recevoir cette formation, ce n’était pas étonnant.

Des airs ironiques fleurirent sur les visages tandis que ces derniers les reconnaissaient enfin. Ceux qui étaient assis se relevèrent.

– Voilà nos retardataires ! Nous ne vous attendions plus ! claironna l’une des techniciennes déjà debout, une darnienne de petite taille à la peau couleur vert d’eau en secouant la tête, mais son ton amusé les rassura. Entrez ! Les sous-marins sont encore en plein chargement, nous avons donc encore un peu de temps et cela devrait être fini rapidement, pas d’inquiétude, au pire nous finirons à l’intérieur, ce n’est pas un problème ; à vrai dire nous pensions même embarquer bientôt les combinaisons –

— Pourquoi, elle devait se faire dans le sous-marin ? s’exclama Kreya.

C’était à n’y rien comprendre ; si cela était possible, pourquoi ne pas avoir proposé cette éventualité dès le début ? C’aurait été bien plus simple pour tout le monde, même pour se retrouver !

— Initialement non, mais… Après les incidents survenus il y a une semaine, c’est un peu le bazar et j’ai l’impression que cette question soit passée un peu au-dessus de la tête de nos supérieurs respectifs. Et puis comme nous embarquons aussi, pour le suivi des combinaisons, cela n’aurait pas changé grand-chose en définitive. Venez, insista-t-elle en leur faisant signe de les rejoindre, comme ils n’avaient pas bougé.

Ils ne se firent pas prier et se placèrent aussitôt devant eux, scrutant la pièce avec curiosité. La seule fois où ils l’avaient vue durant leur visite guidée, elle était presque vide, comprenant seulement quelques caisses de rangement. A présent, trois capsules allongées leur faisaient face, fixées au mur.

– Je me présente, je m’appelle Janiss, fit la darnienne en se désignant de la main. C’est moi qui vais assurer cette formation avec mon équipe. Bon, je suppose que l’on vous a déjà fait un topo à ce sujet ? Concernant votre projet, les objectifs et la méthode de travail qui va être la vôtre ? Enfin j’espère pour vous ! fit-elle en riant.

La nouvelle équipe acquiesça d’un hochement de tête sans répondre à son engouement. Comme seule la leur avait été fraichement créée, seuls eux avaient besoin de cette formation. Cela ne faisait que depuis six mois qu’avaient été lancées les études sur les étages les plus profonds des océans alors que jusqu’alors, seuls les cent premiers mètres, là où les structures habitables seraient construites, les intéressaient. Comme de telles profondeurs n’abritaient habituellement plus de végétation, l’absence de lumière empêchant la photosynthèse, seuls des géologues et des biologistes animaliers y avaient tout d’abord été affectés. Quelle avait donc été leur surprise lorsqu’ils en avaient découvert une, riche et foisonnante !

– Bon ! Passons directement à ce qui nous intéresse, dans ce cas, termina-t-elle après un toussotement gêné face à cette absence de réaction, avant de se tourner vers un de ses collègues. Johnny ?

L’humain hocha la tête avant de se tourner vers la rangée de capsules individuelles fixées au mur. D’un geste, il dégagea un écran tactile sur lequel il tapa sur quelques touches et un chuintement indiqua le déblocage des capsules et l’ouverture des portes. Elles dégagèrent à leur vue de hautes combinaisons luisantes taillées sur mesure, faites d’une matière inidentifiable et si fines que leurs yeux s’agrandirent de surprise et d’effroi mêlés. Comment étaient-elles supposées les protéger de la pression ? Leurs mines inquiètes furent rapidement repérées et amusèrent l’équipe de conception. La jeune femme s’approcha d’une des combinaisons pour la désigner d’un geste grandiloquent, un grand sourire sur les lèvres.

– Et voilà ! Alors ?

Ils eurent l’impression d’observer un concepteur de jouets enthousiaste qui présentait sa nouvelle création, ce qui en un sens était le cas. Sauf que l’enjeu était un peu plus important et qu’ils n’étaient pas du tout rassurés concernant leur propre sécurité.

Les trois amis s’entreregardèrent quelques secondes avant de jeter un coup d’œil à leur collègue. Ils furent réconfortés par sa réaction, identique à la leur – quoique, à nuancer puisqu’elle-même ne se risquerait pas à en porter ; celle-ci les jaugea à son tour, les considérant avec un mélange de compassion, de malaise et de pitié. Apparemment, ils n’avaient pas manqué tant de choses que cela.

– C’est… ça ? fit Lionel en clignant des yeux, avant de se rendre compte que ses mots avaient dépassé sa pensée et qu’il avait eu le malheur de le dire à voix haute.

Il fut donc parfaitement entendu. Des haussements de sourcil suggestifs des concepteurs lui répondirent tandis que les autres se crispaient, préférant se faire discrets et attendre la suite. Ils n’osaient pas avouer qu’ils partageaient la pensée de leur collègue et auraient eu honte de le faire. Lionel se mordit les lèvres, se sentant soudain seul face au poids du regard des autres sur lui.

– Oui, ça l’est. Pourquoi, vous vous attendiez à quoi ?

Bien sûr, comme c’était Lionel qui avait émis cette exclamation, l’attention restait concentrée sur lui, bien que la question fût adressée à tout le monde. Il déglutit mais comme aucune réponse pleine de tact ne lui vint, il préféra se jeter à l’eau et être honnête – quitte à passer pour un idiot, autant ne pas faire les choses à moitié et ne pas faire durer le suspense plus que nécessaire.

– Eh bien, à quelque chose de… de plus… épais. Est-ce normal que ce soit si fin ? Le tissu résiste vraiment à des pressions aussi importantes ?

– Bien sûr, quelle question ! la darnienne se mit à rire. Nous avons fait des tests, voyons, sinon nous ne vous laisserions pas les utiliser !

Les visages des futurs utilisateurs, toujours aussi peu convaincus, restèrent figés en un masque de circonspection nuancée d’un mélange de doute et de crainte. Si la perspective de l’expédition les enthousiasmait dans sa globalité, cette nouvelle les refroidissait beaucoup.

– Mais… vous êtes sûrs ? Vous n’avez fait que des tests en laboratoire ou… euh…

Comme lui, tous redoutaient au final de servir de cobayes pour l’évaluation de l’étanchéité de ces combinaisons en milieu naturel.

– Mais non, nous l’avons testé nous-mêmes, et les géologues et les animalistes aussi !

Ce qui ne voulait pas forcément dire grand-chose car jusqu’à présent, les sorties hors du sous-marin n’avaient pas dû être nécessaires au stade de leurs avancées. Leurs propres équipes étaient relativement récentes après tout.

– Et comment êtes-vous sûrs de son efficacité ? insista-t-il donc.

Le sourire de Janiss s’agrandit, ironique.

– Parce que si elles ne l’étaient pas, nous serions morts.

La remarque jeta un blanc et le silence s’étira sur de nombreuses secondes. Ils supposaient qu’ils étaient réellement sortis dans les profondeurs avec. De ce fait, l’appréhension céda en grande partie la place à la gêne.

– Ah, d’accord, termina Lionel, qui espéra comme tous les autres que cette partie de la discussion s’arrêterait là.

Sauf que Kreya se rappela d’un détail évoqué quelques instants plus tôt :

— Attendez, vous devez venir pour un suivi des combinaisons ? Mais pour quoi faire, si elles sont si étanches ?

— C’est à surveiller, ça ne fait pas longtemps que nous les utilisons sur le terrain ! répondit Janiss dans un gloussement, amusée par leur inquiétude. Nous effectuons donc un suivi in vivo à bord des sous-marins pour comparer avec nos résultats en laboratoire ; c’est la procédure classique.

Celle-ci flamboya de nouveau à ses propos et leurs regards se croisèrent. Moriss lâcha du bout des lèvres :

— … Nous sommes des cobayes.

Janiss roula des yeux puis reprit la présentation comme si de rien n’était.

– Bon ! Comme vous le savez, ces combinaisons ont évidemment été taillées sur mesure et collent en tous points à vos mensurations, vous avez donc votre combinaison personnelle. Pour le moment, vous n’en avez qu’une seule, donc il faudra tâcher de la garder en bon état –enfin, cette remarque est aussi valable après, n’en doutez pas, seulement là vous seriez mal si elle venait à être dégradée. Il faudra un peu de temps avant d’en avoir une de rechange puisque nous n’avons lancé la production que récemment – juste après la création de votre unité, en fait.

Lionel pensa juste au fait que, s’il y avait un problème avec la combinaison comme une déchirure, leur premier problème ne serait pas le remplacement de celle-ci mais plutôt, s’ils se trouvaient en pleines abysses à ce moment-là, l’environnement extérieur défavorable. Il ne fut pas le seul.

Les concepteurs furent insensibles à leur funeste pensée et à son reflet sur les visages des nouveaux utilisateurs inquiets. Ce fut Kondrad, le plus petit du groupe, qui continua sur la lancée de sa collègue.

– Vous avez déjà appris à les mettre, n’est-ce pas ? La théorie, je parle. Pour la pratique, vous aurez l’occasion de vous exercer durant la plongée mais peut-être préférez-vous une petite démonstration ?

L’équipe marqua un temps d’hésitation.

– Hey, j’ai été absent à plein de trucs ou bien… ? glissa Moriss, l’air un peu hébété.

– T’inquiète, ça ne me dit rien à moi non plus, le rassura Kreya sur le même ton, les sourcils haussés.

Ce fut seulement à cet instant que Mara intervint :

– Nous l’avions eu il y a un mois, mais je ne suis pas sûre que ce soit leur cas également. Ils devaient nous refaire un topo à ce sujet il y a une semaine mais un incident dans le laboratoire a entrainé son annulation. N’est-ce pas d’ailleurs pour cela que nous sommes là ?

Leurs interlocuteurs réfléchirent durant quelques secondes avant de s’entreregarder. Ce fut Janiss qui répondit :

– Peut-être bien. A vrai dire, nous sommes plusieurs sous-équipes, si l’on peut dire, à travailler sur ce même projet à différentes phases de la conception. Ce n’était pas à nous d’assurer votre formation normalement. On nous a un peu refilé le bébé à la va-vite et comme je disais, nos supérieurs ont un peu écarté ce souci de leur esprit, donc bon… Reprenons depuis le début, alors !

En vérité, la formation fut assez brève car tout ce qui touchait à la nature-même du produit, et notamment à l’aspect technique de sa fabrication, ne les intéressait pas bien que c’était là le domaine de prédilection de leurs formateurs et que la présentation faillit déraper dans ce sens. Toutefois, leurs visages déconfits ou ennuyés avaient tôt fait de la réorienter vers le sujet principal, soit l’aspect pratique – le minimum syndical à savoir pour les utiliser, les conserver et les entretenir. Ils en vinrent rapidement à s’y essayer et furent donc invités à récupérer leurs combinaisons.

Les trois amis obtempérèrent tandis que Mara restait en retrait, une moue blasée sur le visage. Leur ouverture fut d’abord un peu compliquée, car il ne s’agissait pas d’une simple fermeture éclair ; placée le long du dos, elle devait rester étanche en toutes circonstances et dans toutes les conditions de pression auxquelles elles pouvaient être soumises. Elle était donc munie de plusieurs crans et systèmes d’accroche qu’ils mirent du temps à comprendre. Une fois ouvertes et eux glissés à l’intérieur, ils purent se rendre compte qu’il leur était impossible de les fermer eux-mêmes et ils durent demander l’aide de leurs collègues. Cela ne poserait toutefois pas de problème en soi puisque dans les conditions réelles, les habillages se feraient dans le sous-marin.

Pendant leurs essais, deux des techniciens quittèrent le groupe après une sonnerie signalant la prise d’une communication dont ils ne purent en entendre le contenu. Elle fut assez brève, juste le temps pour eux de retirer leurs combinaisons et de les ranger dans des boîtes adaptées.

– Eh bien, on peut dire que vous avez un bon timing, lâcha le dénommé Johnny. Ils ont presque fini de charger et de tout installer – ça a été plus rapide que prévu, apparemment. Posez les boîtes sur le léviteur, nous allons les emmener au sous-marin. Je suppose que vous monterez rapidement à bord ensuite – il vous faudra voir avec votre chef d’équipe.

Le léviteur était un très grand caisson utilisé pour le transport d’objets divers, surtout très lourds – dans les dimensions possiblement contenues par celui-ci – qui créait un champ gravitationnel localisé uniquement à l’intérieur du caisson. C’était un produit récent, dérivé des appareils gravitationnels individuels et créés par cette même équipe durant leurs recherches à ce sujet. Cette trouvaille n’avait pas été réellement intentionnelle mais avait vite trouvé son utilité. Elle avait même entrainé l’élargissement des missions de cette équipe qui s’était vu octroyer des moyens supplémentaires en conséquence, sans quoi cela n’aurait pas été possible.

Les boîtes furent transférées dans l’appareil et ils quittèrent la pièce pour rejoindre la zone d’accès au port à proprement parlé. Car sous leurs pieds, de nombreuses galeries souterraines et de salles creusaient le sol et cet agencement avait été utilisé dans la conception du port submersible pour profiter au maximum de la structure naturelle des lieux, dans le but de minimiser l’impact de leur présence. La structure se composait donc de deux parties, la maritime et la submersible, soit une haute et une basse. Étaient entreposés dans l’étage le plus élevé les quelques bateaux à disposition du complexe, qui servaient surtout à rallier les différentes stations expérimentales qui ponctuaient la planète lorsque les navettes ne le pouvaient pas, ce qui n’était pas rare, ainsi que les quelques rares sous-marins hors immersion. Cependant, l’essentiel de la construction se trouvait sous le niveau de la mer. La plus grande salle souterraine avait été aménagée pour jouer le rôle de quai d’embarquement où étaient stationnés l’essentiel de leurs appareils.

Ils empruntèrent l’ascenseur qui leur fit descendre les différents étages jusqu’aux quais. Comme le chargement était en cours, ils n’eurent pas besoin d’attendre l’évacuation de l’eau dans la salle. L’équipe de concepteurs les laissa à son entrée après leur avoir désignés le sous-marin en question, bien que ce fût parfaitement évident par l’activité foisonnante à sa périphérie. Lorsqu’ils arrivèrent à son niveau, ils purent aisément se rendre compte de leur inutilité ; le chargement s’achevait et leur léviteur fut déchargé et leurs propres caisses amenées avec le reste sans qu’ils n’eussent le temps d’intervenir. Cela ne fit que renforcer d’autant plus leur impression.

La salle d’embarquement était organisée de manière sobre et fonctionnelle sur plusieurs étages et se composait uniquement de passerelles, de quais et d’une unique tour de guet accolée à la paroi, imperméable et étanche, construite de sorte à rester sous atmosphère contrôlée lorsqu’elle était entièrement immergée. La première chose qu’ils notèrent fut surtout l’étrangeté des matériaux utilisés dans la conception de l’ensemble des structures : sombre et luisante, elle était surtout utilisée pour son imputrescibilité et sa résistance aux variations de pression, chose nécessaire puisque la salle était remplie aux trois-quarts d’eau la plupart du temps. C’était d’ailleurs la disposition naturelle telle qu’elle avait été avant leur intervention, et eux-mêmes avaient créé une sorte de bulle artificielle pour pouvoir amarrer. C’était bien plus pratique pour la plongée que le port maritime lui-même, car la côte ne s’y prêtait pas de par sa largeur trop faible comparé au nombre conséquent d’appareils qu’ils détenaient déjà. Agrandir leur flotte n’aurait même pas été envisageable dans ce cas. Car malheureusement, l’essentiel des rives se trouvaient être des falaises hautes aux pentes escarpées qui constituaient des niches écologiques exceptionnelles ; difficile donc d’aménager un tel territoire sans en perturber l’écosystème présent. Même s’ils se doutaient que ne cesser d’immerger et d’émerger cette salle ne devait pas être appréciée par la faune et flore locale, essentiellement microscopique car de ce qu’ils pouvaient en voir, la roche devant et près d’eux était nue.

Ils restèrent ainsi les bras ballants sans savoir quoi faire d’eux-mêmes, n’osant proposer leur aide, jusqu’à ce qu’ils fussent rejoints par Untrill. Ils s’extirpèrent aussitôt de leur flegme, histoire de ne pas faire mauvaise impression à leur collègue à défaut de briller par leur utilité.

– Ah, vous êtes là ! s’exclama joyeusement ce dernier en arrivant à leur niveau, un large sourire aux lèvres. Je suis désolé pour la mauvaise organisation de cette expédition, celle-ci souffre des derniers incidents survenus il y a quelques jours et de notre attribution précipitée au sein de celle-ci. Normalement, les expéditions futures devraient être mieux coordonnées.

Les quatre collègues l’observèrent sans comprendre. En quoi était-elle mal organisée ? Si ce n’était cette formation un peu oubliée par tout le monde, sa préparation avait l’air plus avancée que leurs prévisions. Et pourtant, il y avait eu de quoi accumuler du retard. L’incident en question avait entrainé un blocage dans le trafic des sous-marins sans compter les inspections, déjà habituellement très poussées, qui s’étaient multipliées. Car lorsqu’ils devaient plonger à des profondeurs aussi importantes, du fait des conditions plus extrêmes et des durées des expéditions souvent longues pendant lesquelles le sous-marin restait immergé, il fallait s’assurer de l’étanchéité de leurs parois et c’était d’autant plus contraignant. Forcément, cela impactait également le nombre de ces expéditions, encore rares et espacées pour le moment, et ils avaient craint un moment que celle-ci fût finalement annulée. Si le Docteur Rocombell n’avait pas réussi à les mettre dans celle-ci, eux-mêmes auraient mis du temps avant de plonger, sachant qu’ils n’auraient jusque-là aucune donnée propre à eux-mêmes. Etudier les conditions du milieu était certes nécessaire pour connaitre les conditions de vie des plantes mais leur travail ne pouvait se borner à cela plusieurs semaines encore. Raison pour laquelle elle avait eu gain de cause.

Untrill émit un soupir, le visage empreint de lassitude. Lui-même faisait partie de ceux qui supervisaient l’inventaire réalisé pendant le chargement avec Valène, absente dans leur champ de vision, tandis que d’autres de ses collègues vérifiaient que le matériel était placé là où il le devait. Si ce n’était pas très physique, cela restait fatiguant et son rôle ne s’arrêtait pas là.

Il voulut reprendre la parole mais des cris s’élevèrent tandis que des personnes se hélaient, et il se détourna brièvement d’eux. Toutefois, la foule était déjà moins nombreuse qu’à leur arrivée et ils devinaient que beaucoup des passagers étaient déjà à bord.

– Montons à bord, le départ ne devrait pas tarder. Bérénice nous y rejoindra pour nous faire un dernier débriefing au cours de la plongée du sous-marin, juste avant son positionnement.

Le theris connaissait suffisamment cette dernière pour se permettre ce genre de familiarités, chose qui paraissait impensable pour les autres, par respect. Surtout pour ceux qu’elle avait tirés d’un chômage chronique de plusieurs mois dont ils ne pensaient plus sortir.

Ils obtempérèrent et le suivirent jusqu’à l’intérieur de l’engin. Ils connaissaient déjà son agencement pour l’avoir visité. Leur trajet dans le vaisseau spatial avait également été occupé par des formations et l’organisation et la vie en sous-marin avaient largement été abordées, les dernières précisions ayant été fournies au cours de la semaine. Ils savaient donc déjà où se rendre exactement et quels étaient leurs quartiers attribués, de même que leurs rôles respectifs – c’est-à-dire pas grand-chose pour le moment. Eux ne seraient véritablement utiles que lorsqu’ils se trouveraient dans la fosse et débuteraient leurs études.

Ils gagnèrent donc la salle des commandes principales où s’affairaient de nombreux techniciens et ingénieurs en charge de l’allumage de l’appareil. Pour le moment ils n’en étaient qu’à de simples vérifications mais leurs airs empressés indiquaient un départ imminent. Devant eux s’étendait une large baie d’observation qui offrait un panorama à cent quatre-vingt degrés sur les quais et le port submersible. Eux-mêmes dégagèrent l’allée principale pour ne pas gêner la circulation et gagnèrent directement la vitrine panoramique comme d’autres l’avaient fait avant eux. La vue se résumait pour l’instant à des parois suintantes d’humidité, à d’autres sous-marins et aux installations et se révéla donc peu intéressante.

Heureusement, ils n’eurent pas longtemps à attendre.


Texte publié par Ploum, 4 août 2018 à 20h19
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