Sans plus attendre, Féhnaël pénétra dans la pièce... et ne distingua rien du tout. Ici, au contraire des couloirs, nulle lampe de secours ne venait soutenir la vision. Ses rétines réclamèrent plusieurs secondes pour s'acclimater à la pénombre. Quelques autres vinrent s'y ajouter pour la mise au point de ses lentilles. Ces petits bijoux de technologie s'avéraient peut-être pratiques pour camoufler ses iris naturels tout en gardant ses capacités elfiques, mais ni lui ni son mari n'avait les moyens pour des modèles instantanés.
Le métis le regretta aussitôt ; ce laps de temps où il resta figé intrigua Taëdyl, laquelle, fidèle à sa curiosité, s'empressa de le questionner :
– Qui donc est ton père pour que ta vue soit si mauvaise dans le noir ?
– Je vois parfaitement bien, je te remercie, grommela-t-il.
Si la jeune femme n'avait toujours pas déterminé la race de son paternel, il n'allait certes pas lui faciliter la tâche. Dans le groupe, seul le Citadin savait, peut-être aussi le Renard. Féhnaël estimait que ni l'un ni l'autre n'aborderait le sujet. Régoël parce qu'il apprécierait bien trop de savoir quelque chose que l'Elfvar ignorait, Kledren parce qu'il avait sans doute eu assez de révélations généalogiques pour la journée.
Bras croisés, la mercenaire n'abandonna pas.
– Te fous pas de moi, tu as cligné plusieurs fois des yeux.
– Tu as déjà vu quelqu'un cligner d'autre chose ?
La répartie, bien que ridicule et chargée de toute la mauvaise foi du métis, eut le mérite de la rendre muette. Tant mieux, avec ses douleurs qui revenaient, Féhnaël n'était pas certain de pouvoir supporter un interrogatoire en règle, et il ne doutait pas que ceux d'une mercenaire devaient être musclés. Il réalisa alors que si vraiment elle avait voulu lui tirer les astinilles du nez, elle l'aurait fait sans soucis. Et la mine contrariée de la jeune femme le convainquit de se tenir sur ses gardes ; elle ne renoncerait pas à découvrir la vérité.
Il secoua la tête. Il avait mieux à faire que de s'encombrer l'esprit de "si jamais". Son regard balaya le bureau. Bien que spacieux, il ne possédait pour tous meubles qu'une large table garnie de fauteuils vissés au sol, deux étagères poussiéreuses qu'alourdissaient des boîtes en fer ainsi qu'une sorte de plan de travail, fixé dans le mur du fond. Des piles de dossiers s'y entassaient à côté d'un terminal dont quelques boutons clignotaient encore. Peut-être renfermait-il des informations capitales ?
En quelques enjambées, Féhnaël rejoignit l'appareil, glissa ses doigts sur la surface pour l'allumer... et se retrouva face à un écran de sécurité ; on lui demandait un mot de passe. Un soupir lui échappa tandis qu'il secouait la tête :
– Pourquoi se sentent-ils obligés de tout verrouiller...
Il possédait tout juste les connaissances pour démarrer sa zion-tab, alors un zion-ateur... Mais, grâce à son métier, sa partenaire saurait probablement quoi faire.
– Taëdyl ?
L'Elfvar, occupée à descendre une des boîtes, lui adressa à peine un regard. Elle déposa sa trouvaille sur la table pour tenter de l'ouvrir, en vain.
– Par Eden, mais pourquoi ils ferment tout, ces imbéciles !
Les lèvres de Féhanël s'étirèrent en un sourire amusé.
– Oui, c'est ce que je viens de dire... Dis, tu t'y connais en technologie ?
Du menton, il lui indiqua l'écran lumineux.
– Oui.
– Tu saurais démarrer ce truc ?
Narquoise, elle s'approcha, le poussa d'un coup d'épaule et, à l'aide des boutons du pourtour, afficha un tableau de commande au milieu de l'écran.
– Ce truc s'appelle un zion-ateur, Féhnaël. J'aurais pensé que tu le savais. Le plus intrigant, c'est que ton mari t'ait appris à forcer des serrures, à percer les secrets des gens, mais pas à contourner un mot de passe ?
Féhnaël leva les yeux au ciel.
– Forcément, c'est un Espion, il a des dossiers sensibles sur le sien, des dossiers auxquels je ne dois en aucun cas avoir accès.
– Et tu le prends bien ?
Après un haussement d'épaules, il renifla :
– Tout le monde à ses secrets. Déjà, je sais me servir d'un phonoïd, tous les hybrides n'ont pas cette chance. Bon, pendant que tu t'occupes de ce truc, je vais m'occuper de ces caisses qui te résistent.
– Féh, la fée des serrures ! ricana-t-elle.
– C'est fin, ça...
La boîte choisie par Taëdyl lui sembla trop poussiéreuse pour contenir une quelconque information utile. Le temps leur manquait, il la mit donc de côté pour aller chercher la plus récente d'entre elles. Alors qu'il la descendait de son perchoir, maudissant son flan de nouveau douloureux, il remarqua que sa respiration se faisait laborieuse. La fatigue ? Les blessures ? Ou bien le confinement des lieux ?
Pour en avoir le cœur net, il lorgna du côté de Taëdyl. Sa partenaire, concentrée, pianotait sur l'écran, faisait défiler différentes fenêtres... et soufflait bruyamment à chaque inspiration. Le problème provenait donc du confinement. Si le volcan ne les tuait pas, le manque d'oxygène le ferait, et sa première victime serait sans aucun doute Salomée.
– Génial, comme si j'avais besoin d'un peu plus de stress...
La serrure ne lui résista pas. Fébrile, le métis renversa le contenu sur la table. Des papiers, importants pour le personnel, mais inutiles pour eux, quelques clefs qu'il récolta, au cas où et un plan qui, s'il leur permettrait de sortir sans s'égarer, lui donna des sueurs froides pour plusieurs raisons :
La première, aucune légende ne le complétait. Impossible de savoir ce que renfermaient les différentes pièces, impossible, donc, de trouver les salles de commandes. Car il y en avait plusieurs, ça ne faisait aucun doute. Le bâtiment se composait de huit étages, dont quatre en sous-sol. Féhnaël en conclut que chaque étage était indépendant des autres, la rapidité de l'infirmier lorsqu'il avait désactivé l'alarme le confirmait. Enfin, comme le métis le redoutait, un seul accès menait à l'extérieur, le complexe ne comprenait aucun téléporteur. Aussi riche soit le mécène, il n'avait pas accès à cette technologie. Et pour gagner cette unique sortie, ses compagnons d'infortune et lui allaient devoir remonter du quatrième sous-sol, sans ascenseur, et parcourir des centaines de mètres de couloir. Tout ça avec plusieurs éclopés et de potentiels ennemis errants.
Rapidement, il vérifia une autre caisse, sans rien trouver cette fois, et venait de faire sauter le verrou de la troisième quand Taëdyl l'interpella ; elle venait de trouver quelque chose : une série de codes d'accès, classifiés en fonction de zones.
– Dommage qu'on ait pas de phonoïd pour dupliquer les infos, soupira-t-elle.
– On a que les clefs.
– Oh, ça se tente ! Donne-les moi !
Un grognement lui échappa. Hors de question de perdre la programmation des précieuses clefs par fainéantise, ils n'en trouveraient sans doute aucune autre.
– Il y a bien assez de papier pour éviter de bousiller ces clefs.
– Je te laisse recopier alors, je n'utilise jamais l'écriture manuscrite, et tu sais pourquoi ?
Féhnaël fourragea un instant sur le bureau à la recherche d'un stylo à encre liquide avant de lâcher, railleur :
– Laisse-moi deviner, les feuilles pourraient tomber entre de mauvaises mains ? Et puis, tout ce qui est technologique est potentiellement sécurisable voyons !
Saëdann le lui répétait assez souvent lorsqu'il surprenait son mari à griffonner dans des carnets. L'Espion lui avait même offert une zion-tab dans l'espoir de faire perdre cette "mauvaise habitude" au métis, mais rien à faire : Féhnaël préférait conserver ses notes sur de bonnes vieilles feuilles de papier.
– Haha, mon frère tient le même genre de discours ! Comme quoi, il sait parfois se montrer intelligent, dommage qu'il soit plus souvent un écervelé insupportable.
Sans trop savoir s'il devait réagir à cette remarque, le métis attrapa une feuille dont le verso se couvrait de chiffres, puis s'installa face à l'écran pour recopier les différents codes. Les trop nombreux codes, plus de la moitié ne leur servirait probablement pas. Quelle plaie ! Finalement, Taëdyl n'avait pas tort, dupliquer ces informations aurait été bien plus pratique. Sans parler du gain de temps énorme !
Maigre consolation : la mercenaire mettait à profit ce temps perdu pour lui en fouillant les piles de dossiers.
– Ça ressemble fort à des rapports d'enquêtes.
Elle sépara plusieurs chemises du reste.
– Celle-ci parle de toi, cette autre de Régoël. Là, la mienne, et là, celle de la fée que j'ai retrouvée morte... ils nous ont fait suivre pendant des semaines avant de nous enlever !
Féhnaël s'interrompit pendant quelques secondes. Sa position inconfortable tirait sur son flan, l'écran lui faisait mal aux yeux. Il hésita à retirer ses lentilles, mais il n'était décidément pas prêt aux remarques de Taëdyl sur ses yeux.
– Leurs enquêteurs ne sont pas si doués que ça.
– Comment ça ?
– Réfléchis : je suis marié, tu as un frère, Nouka est un prince nourricier... ça fait beaucoup de lacunes tout de même.
La jeune femme se passa une main sur le visage.
– J'ai perdu mon frère de vu, c'est pas une bourde des enquêteurs. Pour toi... ça dépend, depuis quand ton Espion est en mission ?
– Trois semaines.
– Pas de chance pour eux, ils ont dû le louper de quelques jours. Quant à Nouka, y a pas vraiment d'autre moyen pour choper un Elfe des bois mâle. Ils sont tous princes nourriciers. En fait, à part lui, nous sommes...
– Tous des parias, oui, je sais. Sauf Kledren, mais je suis prêt à parier que tu n'as aucun dossier sur lui.
L'espace d'un instant, Féhnaël crut lire de l'inquiétude sur le visage de la jeune femme, mais l'expression disparue avant qu'il en fut certain. Concentrée, Taëdyl inspecta à la va-vite le reste des dossiers avant de hocher la tête.
– Rien sur lui. Il disait vrai à ce sujet aussi, il ne fait pas partie de l'expérience.
Soudain, le visage de Taëdyl s'illumina. Ses yeux brillèrent, un sourire s'épanouit sur ses lèvres. Elle replaça même une mèche de cheveux. Tandis qu'il recommençait à recopier, Féhnaël questionna d'un ton malicieux :
– Et donc, tu le trouves comment, Kledren ?
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