Lorsque Nouka leur annonça que sa ruche comportait plus de cinq mille âmes, un hoquètement de stupeur secoua Salomée. Le sursaut provoqua une quinte de toux. La quinte de toux la força à s'asseoir au sol, incapable de reprendre sa respiration. Si Régoël se contenta de lever les yeux au ciel, Féhnaël s'accroupit auprès d'elle, inquiet, avant de lever les yeux vers Taëdyl.
– Dis-moi que tu as trouvé des trucs qui pourraient l'aider... c'est de pire en pire, on dirait qu'elle peine à respirer.
Désolée, la mercenaire secoua la tête avant de réaliser.
Le cylindre ! Mais oui, c'est là que je l'avais vu !
Ses doigts fébriles extirpèrent l'objet du sachet, le tournèrent en tout sens.
– J'ai ça, l'infirmier s'en était servi mais... j'ignore comment l'utiliser.
– Régoël a des connaissances.
– Régoël n'a aucune envie d'aider cette Humaine stupide, grinça l'intéressé. Vous n'avez qu'à...
– Je ne voudrais pas vous presser, mais la mage montre des signes de réveil. Il vaudrait mieux se décider sur ce qu'on va faire avant de la voir émerger. Je suggère de laisser Nouka et Salomée avec l'Elfe Citadin et de partir avec Taëdyl, Féhnaël et cette mage pour finir d'explorer les couloirs.
Mais il est parfait ce Renard, il m'offre l'occasion idéale pour les interroger tous les deux loin des vilaines oreilles du palot !
– Tu m'as pris pour une nourrice le rouquin ?
Un cou crispé, un nez frémissant ainsi que des lèvres pâles et pincées donnaient au Citadin un air ridicule.
L'occasion est trop belle...
D'un mouvement précis du poignet, elle lui envoya le cylindre.
– C'est ta principale utilité après tout. Allez, amuse-toi bien, nous, on va faire des choses importantes !
Elle s'éloignait déjà en compagnie du Renard, sous les protestations du palot, quand Féhnaël se racla la gorge. Sourcils froncés, il ne cessait de jeter des coups d'œil à l'Elfe.
– Vous êtes sûrs que c'est bien prudent ? Il est capable de laisser mourir Salomée en notre absence...
– Il ne le fera pas, j'y veillerai, je vous suis redevable... si elle décède pendant votre absence, j'en référerai à ma Reine... si on s'en sort.
Les Elfes des bois ont donc un sens de l'honneur exacerbé, c'est bon à savoir. Salomée devient intouchable si on veut le garder de notre côté...
– Veille à ce qu'il lui administre... ce truc. S'il te plaît.
Cette fois, le guerrier ne protesta pas. Visage fermé, il déposa son chargement au sol, avec délicatesse, puis s'approcha de l'Humaine d'un pas raide, les doigts serrés sur le cylindre. L'hybride attendit de le voir introduire le bidule dans la bouche de la malade avant d'accepter de suivre Taëdyl. Celle-ci engagea aussitôt la conversation d'un ton badin ; elle voulait amener le sujet qui l'intéressait en douceur, l'air de rien. Puis, quand les deux hommes ne s'y attendraient pas, elle attaquerait.
Seulement, les plans ne se déroulent jamais comme prévu. Alors qu'elle pensait aborder un sujet concis en demandant à Féhnaël comment il se portait, celui-ci lui adressa une grimace, puis lui expliqua en quelques mots que le venin l'aidait bien sans pour autant lui épargner de fréquents étourdissements. Par moment, son ouïe lui semblait également moins fine ; il redoutait un problème plus grave que l'intervention de l'Abeille n'avait fait que masquer. Il déplora aussi l'absence d'un vrai médecin pour l'aider et enfin, il émit des doutes quant à sa survie à l'issue de cette « aventure ». Que répondre à ça ? Rien. Féhnaël n'attendait de toute façon aucune réponse, sitôt ses doutes énoncés à voix haute, il s'enferma dans le mutisme.
De son côté, Kledren marchait en silence, les yeux dans le vague, perdu dans ses pensées. Imaginait-il pouvoir rentrer chez lui après ? Avait-il conscience qu'une fois au-dehors, personne ne l'aiderait plus ? Il restait un ennemi ancestral.
La mercenaire s'arrêta à quelques pas du bureau, leur fit face.
Je tente le tout pour le tout, une fois arrivés au bureau, ils voudront trouver un moyen de l'ouvrir et ne m'écouteront plus.
Elle s'humectait déjà les lèvres pour les questionner quand l'Hybride se tourna vers le Renard et lâcha, abrupt :
– Qui est ton Père ?
La poitrine de Kledren se gonfla d'agacement.
– Le Kommandari, je te l'ai déjà dit...
– Je sais, mais... comment dire.... ton discours ne correspond pas au Kommandari actuel alors ça m'interroge.
– Attendez les garçons, de quoi vous parlez là ?
Difficile de suivre, ces deux-là semblaient poursuivre une conversation commencée... sans elle. Et encore une fois, elle se sentait mise de côté, en marge, sans importance. Horrible sensation.
Devant eux, Kledren se contenta de hausser les épaules, ou du moins essaya-t-il, la présence de la mage ne lui permit qu'un mouvement maladroit. Peut-être en était-ce vraiment un d'ailleurs, peut-être Taëdyl imaginait-elle ce haussement d'épaules.
– Ce n'est pas le moment de parler de ma famille, nous devons...
– Mieux vaut maintenant qu'en présence de Régoël, il est trop hostile à ton égard, contra Féhnaël.
Puis, en quelques mots, le jeune homme apprit à Taëdyl qui Kledren prétendait être. Du bout des lèvres, il avoua que l'annonce l'avait alors fait tiquer, mais n'expliqua pas pourquoi. Lorsque la jeune femme s'étonna que le sujet revînt si subitement, il grommela que ses neurones en confiture à ce moment-là lui avaient fait perdre le fil de ses pensées, fil qu'il avait retrouvé grâce à l'action du venin de Nouka et au calme de leur marche.
– Et pourquoi as-tu tiqué à l'évocation de mon père ?
La voix du Renard, plus sèche que d'ordinaire transpirait l'inquiétude.
– C'est assez délicat, en fait je...
– Féhnaël a tendance à parler et réfléchir seulement après. J'ai bien failli l'étrangler quand il est arrivé dans la cellule.
– C'est pas ça ! C'est qu'en fonction des réponses, l'un de nous deux sera un connard. Mais ce sera soit lui, soit moi...
Les oreilles du Renard se rabattirent sur son crâne, un grognement sourd lui échappa.
– Sous-entendrais-tu que je vous ai menti ?
– Honnêtement, je préférerai, osa l'hybride. Et pas parce que ma vision de toi en ennemi collerait alors à la réalité...
– Tu comptes tourner encore longtemps autour du pot, souffla la mercenaire ? Kessa remue de plus en plus et le bureau qu'on doit explorer est juste là. Ton interrogatoire peut attendre, non ?
– Non. Messire Féhnaël a raison d'éclaircir les choses maintenant, si je ne suis pas digne de confiance, mieux vaut le savoir avant de trouver une porte de sortie. C'est ça ?
Gêné, le métis baissa les yeux au sol. Depuis le début de cette étrange conversation, le cerveau de Taëdyl carburait à plein régime. Elle voulait à tout prix comprendre ce qui ennuyait Féhnaël, or, il avait donné trop peu d'information pour qu'elle en soit certaine.
Doute-t-il de l'identité de son Père ? Il croit que Kledren n'est pas vraiment le fils du Kommandari ?
–Tu penses qu'il n'est pas le fils du Kommandari, c'est ça ?
– Pas exactement, il prétend que son père veut... la paix avec les Zévrins. Qu'il est tolérant et ouvert d'esprit.
– Ridicule, il n'y a pas plus borné et cruel que celui-là !
– Hey, ne parlez pas de mon Père comme ça ! Comment pouvez-vous seulement dire ces choses ? Il fait tout ce qu'il peut pour rédiger un traité d'alliance avec votre Mage Noir !
Elle s'apprêtait à ricaner, pourtant, les expressions des deux hommes la figèrent sur place. Kledren semblait aussi sincère que Féhnaël mal à l'aise.
À ce moment-là, elle comprit ce qui perturbait l'hybride. Elle comprit pourquoi il redoutait cette conversation pourtant nécessaire. Si Kledren était bel et bien le fils d'un Kommandari, il y avait fort à parier qu'il s'agissait de l'ancien. Celui décédé lors de l'attaque qui avait également coûté la vie à l'Empereur, son fils et tant de guerriers et mages de l'Empire.
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