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Taëdyl

Les secousses la ballottaient de toute part, pourtant, elle s'en fichait. Recroquevillée sur elle-même, elle ne parvenait pas à reprendre le dessus. Son instinct de survie semblait avoir été soufflé par la terreur. Le sol ne tremblait plus depuis longtemps lorsqu'elle se releva enfin, nauséeuse. Son estomac protesta aussitôt ; elle serra les dents, balaya les alentours du regard. Les soubresauts du volcan ne semblaient pas avoir occasionné trop de dégâts : quelques ustensiles jonchaient le sol, son sachet s'était déversé et un tabouret gisait, pattes en l'air.

Éviter de reposer les yeux sur le fœtus difforme s'avéra plus difficile qu'elle ne l'avait pensé ; il l'attirait comme un aimant, comme s'il désirait qu'elle fût témoin de ce qu'"on" lui avait infligé.

Je deviens folle... Ce n'est rien d'autre qu'un amas de cellules mort. Non viable même, c'est fréquent chez les grossesses humaines et elfiques après tout, pourquoi pas chez les fées ?

Juste une tentative de se leurrer elle-même ; elle savait bien que la scène n'avait rien d'une fausse couche naturelle : aucun chirurgien n'aurait ouvert l'utérus d'une femme pour un fœtus non viable. Elle pinça les lèvres, chassa ces pensées. Le sujet la touchait de trop près pour la laisser indifférente, il l'effrayait.

Chaque seconde, elle guettait les signes d'éventuelles contractions, paniquée à l'idée de perdre son ou ses futurs enfants. Même s'il s'agissait d'un accident, elle avait fini par les désirer de tout son cœur ; ils pouvaient lui offrir une nouvelle vie, loin des contrats glauques que l'on réservait aux mercenaires sans charge familiale.

Tremblante, elle gagna le lavabo, s'aspergea le visage d'eau glacée, puis but de nouveau autant qu'elle put. Aucune nausée ne vint l'importuner cette fois. Les mains posées sur le lavabo, elle prit le temps de réfléchir.

Est-ce que j'explore cet endroit ou est-ce que je fuis ? Je ne supporterai jamais de le voir encore. Pas plus qu'elle. Je récupère mes affaires et je décampe de là.

Chose pensée, chose faite, une trentaine de secondes plus tard, Taëdyl quittait la pièce au pas de course. Son pied foulait à peine le carrelage du couloir que ses oreilles se dressèrent. Quelqu'un courait dans le corridor principal. Avant que la mercenaire n'ait pu le rejoindre pour tenter d'apercevoir le ou la fuyarde, une porte claqua. Puis plus rien. Lorsqu'elle parvint au corridor, il était désert.

Si c'était un bleu, il m'aurait rejoint, non ? Sauf si c'est Barossa... quelqu'un n'a quand même pas pu s'enfuir d'une autre cellule ! Ou alors... le scientifique de tout à l'heure n'a pas pu s'enfuir ? Non, ses pas seraient venus de l'autre côté...

Elle hésita à revenir vers les cellules, à explorer les pièces de l'autre côté de la porte-feu.

Tout bien réfléchi, ça doit être Régoël. Il a dû laisser Féhnaël aux bons soins de Salomée pour fouiller plus vite les autres pièces. Un des seuls bons points de ce palot : il s'encombre pas de choses inutiles. Enfin, sauf Barossa...

De nouveau, l'idée que le Citadin ait pu les trahir lui traversa l'esprit. Voilà qui réglait son dilemme : mieux valait ne pas se retrouver nez à nez avec lui si tel était le cas. Non sans jeter de réguliers coups d'œil dans son dos pour se rassurer, elle s'élança vers le dernier couloir.

Pourvu que je trouve quelque chose. Si non, il ne restera que le bureau... un foutu bureau fermé à clef.

Et l'exploration reprit, monotone. Dans la troisième pièce, elle tomba enfin sur une armoire à pharmacie. En trouver les clefs s'avéra d'une facilité déconcertante ; elles se trouvaient pendues à un crochet vissé sur le côté d'un placard en hauteur.

Bon, personne n'est censé venir ici hormis le personnel, ils devaient pas avoir besoin de les cacher...

Mains sur les hanches, elle étudia les différentes boîtes de cachets, gélules et solutions en poudre. Blanches pour la plupart, avec des bandeaux de couleurs différentes : les médicaments développés par des laboratoires de recherche zévrins. Sur les étagères du bas, des sachets de tissu étiquetés lui rappelaient les bourses médicinales des Elfes médiévaux. Ce qu'ils étaient sans doute.

Dubitative, elle saisit quelques-unes des boîtes, les retourna entre ses mains, lu leurs noms. Elle n'en connaissait pas la moitié, et lire les notices lui auraient pris trop de temps. Elle vida le plus grand des sachets d'herbes avant d'y empiler des médicaments de chaque sorte.

L'un d'entre eux fera bien l'affaire.

Tout au fond de l'armoire, elle dénicha un cylindre métallique. Il lui rappelait vaguement quelque chose sans qu'elle parvînt à l'identifier avec clarté. Comme il lui restait un peu de place, elle le fourra à son tour dans son paquetage, puis quitta la pièce qui ne recelait plus rien d'intéressant.

Prudente, Taëdyl passa d'abord la tête par l'embrasure de la porte : le couloir restait désert. Elle s'y engagea pour se diriger vers la porte suivante, lasse de répéter toujours les mêmes gestes, lasse de ne pas trouver de quoi ouvrir les portes coupe-feu. Au bout de quelques pas, elle interrompit sa marche afin de s'adosser au mur, épuisée et chancelante. Ces journées de captivité assorties d'un régime strict avaient-elles eu raison de son excellente condition physique ? Ou bien sa grossesse puisait-elle trop dans ses forces ? À moins que le manque de repas du jour ne soit le seul responsable...

Dans le doute, je dois trouver à manger.

À peine avait-elle songé ça qu'une délicieuse odeur lui chatouilla les narines. Une odeur qu'elle pensait ne plus jamais humer.

- Du café ? Impossible !

Pourtant, son arôme caractéristique continuait de parfumer l'air. Et à la pointe de noisette, Taëdyl pouvait même en déterminer la provenance : Arynéï, planète des Elfes Médiévaux. Les caféiers aux graines les plus savoureuses y poussaient, ils en faisaient même la richesse. Certains Citoyens de l'empire étaient prêts à payer des centaines de zévrions pour s'en procurer. Elle-même n'avait eu que deux occasions de tremper les lèvres dans une tasse de ce liquide brûlant, et malgré son dégoût pour la boisson corsée - elle abhorrait son goût autant qu'elle appréciait son odeur- elle avait reconnu que sa réputation n'était pas usurpée.

Un café de si bonne qualité dans un endroit secret... sans doute un cadeau de leur fameux mécène ? Je vois pas d'autres explications...

Elle posait la main sur la poignée de la dernière pièce inexplorée lorsqu'elle réalisa enfin que ce café devait provenir de quelque part, mais surtout, que quelqu'un avait pris le temps de le faire. La personne isolée qu'elle avait entendu courir ? Elle en doutait.

Non, ça doit être Féhnaël ! Et s'il a trouvé du café alors... il a sans doute aussi de la nourriture ! Personne ne boit de café sans biscuits !

Imaginer des gâteaux secs et croquants réveilla son estomac : il émit un gargouillement sonore et mécontent, non sans oublier de provoquer quelques crampes au passage. Avec une grimace, la jeune femme se hâta de regagner le corridor principal. Elle entendait distinctement des échos de conversations à présent, des échos qui l'intriguèrent ; elle reconnaissait bien les voix de Régoël et Féhnaël, mais aussi celle impossible à confondre de Kledren ainsi qu'une dernière voix qu'elle ne connaissait pas.


Texte publié par Carazachiel, 8 août 2020 à 22h22
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