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tome 1, Chapitre 23 « Chapitre 10.2 » tome 1, Chapitre 23

– Mais qu'est-ce qu'elle fabrique cette idiote ?

– Et si tu la rattrapais au lieu de râler, proposa Kledren Je l'aurais bien fait moi-même, mais je ne veux pas blesser davantage ce jeune homme.

Féhnaël se redressa avec difficulté et repoussa le Renard un peu rudement pour observer le Citadin — à présent que le danger était passé, l'étreinte l'oppressait. Comme tous les autres, Régoël avait chuté pendant le tremblement, son fardeau lui avait échappé. De nouveau sur pied, il lorgnait l'Humaine de son éternel air hautain :

– Elle ne va rien faire avec une seule des deux clefs, et comme l'hybride a toujours l'autre.

– Je l'ai laissé là-bas, lâcha Féhnaël à mi-voix.

– Quoi ?

– La seconde clef.

Les yeux de Régoël le dévisagèrent, teintés d'incompréhension. Féhnaël soupira.

– Je n'ai pas la seconde clef, elle est restée là-bas. Sauf si Salomée...

Trois regards se braquèrent sur l'Humaine. Un sourire victorieux sur le visage, elle confirma leurs craintes : la seconde clef avait bel et bien été en sa possession. Et pendant que les trois hommes discutaient, elle s'en était servi. Salomée leur tira la langue, tira sur la porte et disparut dans la cellule sous les trois paires d'yeux ahuries.

Kledren réagit le premier. D'un bond stupéfiant, il se remit sur pied et galopa vers la jeune femme, Régoël sur les talons. Le métis, lui, demeura immobile. Incapable de bouger, de réfléchir, il en oubliait de respirer.

Cet événement imprévu s'avérait ingérable pour lui. Aucun des conseils de Saëdann ne lui venait en tête, rien ne l'aiguillait pour prendre une décision. Alors il restait là, sans rien faire d'autre que regarder l'Elfe et le Renard se battre. De longues secondes furent nécessaires à Féhnaël pour comprendre la raison de cette énième querelle. L'un voulait refermer la grille et décamper, l'autre voulait pénétrer la cellule à son tour afin d'aider Salomée.

En désespoir de cause, Kledren interpella Féhnaël d'un ton chargé de détresse, il le supplia de prendre parti. Le jeune homme avait bien conscience de devoir soutenir l'un ou l'autre, oui, mais lequel devait-il choisir ?

Refermer la porte condamnerait Salomée. Cette simple idée le faisait culpabiliser, l'Humaine le soutenait vraiment depuis qu'elle avait compris que Féhnaël ne la dévorerait pas. Pourtant, cette solution leur permettrait aussi de reprendre leur route au plus vite sans s'encombrer de prisonniers supplémentaires. Et sans s'attirer d'ennuis. Sauf peut-être avec Taëdyl, lorsqu'ils la retrouveraient.

Voler au secours de l'Humaine soulagerait leur conscience, ils pourraient en outre sauver un Elfe des bois. La petite abeille ne les ralentirait pas tant que ça puisque Féhnaël lui-même marchait lentement. Restait le problème des trois autres détenus de cette cellule dont il faudrait se débarrasser. Féhnaël se savait incapable d'ôter la vie, même en cas d'extrême nécessité, il l'avait déjà expérimenté.

Alors il choisit la lâcheté. Il se mura dans le silence, il refusait de choisir, de sceller le destin de tous ces gens. Qui était-il pour prendre une telle décision ? Personne.

– Faites au mieux pour le groupe, grogna-t-il avant de fermer les yeux.

Son refus d'assister à la scène le culpabilisa davantage, et quand un hurlement retentit, aussitôt suivi d'un cri de rage de Kledren, il n'y tint plus. Il lui fallait intervenir. Abandonner quelqu'un pour la survie du groupe, oui, mais ne rien tenter pour le sauver ?

– Régoël, aide-le par Ylfaël !!

– Quoi ? Tu...

– MAINTENANT ! Si tu le fais pas, ça sert à rien de continuer avec nous.

Le Citadin n'hésita pas longtemps. Mâchoire crispée, il relâcha les barreaux pour s'engouffrer dans la cellule à la suite de Kledren, non sans lâcher un « ça se paiera, l'Hybride » qui le fit frémir.

D'un pas lent, il gagna l'entrée de la pièce dans le but de leur prêter main-forte. Quelqu'un d'inutile n'avait pas sa place dans le groupe, s'il se montrait incapable de les aider, il ne donnait pas cher de sa peau. Ses blessures ne rentreraient pas en ligne de compte, il le savait.

Au moment où il franchit l'ouverture, L'Elfe Médiévale le heurta de plein fouet. Elle s'agrippa à ses vêtements, affolée, chercha son regard, lui demanda de l'aide, de l'emmener avec eux. Mais avant que Féhnaël ne pût prononcer le moindre mot, elle détalait dans le couloir. Il essaya bien de la rattraper ; le tissu lui glissa entre les doigts.

Dans la cellule, un combat faisait rage. Les Basses-Zévrines refusaient de reculer, de lâcher leurs victimes. L'une d'elles piétinait l'Elfe des bois tandis que l'autre acculait Salomée dans un coin et menaçait Kledren de massacrer la jeune femme s'il l'approchait encore d'un pas. Le guerrier se jeta sur la première, sans pitié, celle-ci riposta et l'attaqua, le griffa au visage, le mordit. Mal lui en prit, la rage de Régoël s'en trouva décuplée. La tête de la jeune femme heurta le mur une première fois, puis une deuxième. Le sang ne tarda pas à couler, à gicler.

Blême, Féhnaël recula d'un pas avant de fermer les yeux. Une autre scène se substituait à celle-ci. Le bourreau prenait les traits du scientifique, la victime les siens. Insoutenable. Il voulut hurler au Citadin d'arrêter, aucun son ne sortit de sa gorge. Soudain, ses oreilles se mirent à bourdonner, son champ de vision s'étrécit... puis plus rien. Le blanc. Le silence.

Non, il ne pouvait se laisser aller ainsi. Si Régoël maîtrisait la situation de son côté, le Renard, cet homme censé n'avoir aucune pitié n'osait pas s'en prendre à la seconde. Tout comme le métis, il semblait rechigner à blesser ou tuer quelqu'un. Cette constatation le bouleversa, leur Ennemi séculaire avait donc plus de points communs avec lui qu'un membre de sa propre race ?

Son cœur battait encore la chamade, son corps tremblait encore, néanmoins, il se força à refaire surface, à étudier de nouveau la scène. Le Citadin avait délaissé sa proie pour se pencher sur l'Abeille. Kledren n'avait pas progressé d'un centimètre ; une diversion était nécessaire pour qu'il pût agir. Une diversion que Féhnaël, malgré son piteux état, était en mesure de lui offrir.

Après un coup d'œil circulaire, il trouva. Ces prisonniers-là avaient reçu leurs écuelles, elles se trouvaient encore au sol, l'une d'elles toujours pleine. Quelques secondes plus tard, elle prenait son envol pour atteindre la deuxième agresseuse sur la tempe. Kledren utilisa cet instant pour abattra sa main sur la nuque de la jeune femme avec une rapidité digne des Elfes les plus véloces, Féhnaël en demeura interdit. Si un jour il se retrouvait à combattre leurs Ennemis, il n'aurait aucune chance, même avec l'entraînement imposé par Saëdann.

Ses jambes flageolantes le portèrent jusqu'à Salomée, sa main saisit un bras, tira dessus pour la relever. Les yeux écarquillés de l'Humaine passaient d'un corps à l'autre, sa bouche se tordait d'horreur, son visage se plissait d'effroi. Enfin, après balbutier plusieurs phrases incompréhensibles, elle flanqua une gifle magistrale au pauvre Féhnaël en hurlant :

– Vous êtes des monstres, vous les avez tués !

Le métis ne saisit pas la suite ; Salomée venait de le frapper sur sa joue blessée. Sa tête résonnait plus que si un régiment d'Elfes y caracolait. Il s'aperçut tout de même qu'on le transportait, entendit vaguement qu'on l'appelait. Une piqûre au visage, suivie d'une brûlure insupportable lui arracha un hurlement. La même douleur atroce lui transperça les côtes et puis... plus rien. Pendant quelques instants, il lui sembla flotter dans un rêve.

– Vous pouviez pas juste les assommer ? Les immobiliser ? Les enfermer ?

Les piaillements de Salomée le tirèrent de ce demi-rêve.

– Les tuer ou les renfermer, ça donnait le même résultat, non ? Et puis, pour la première on avait pas le choix. C'était elle ou toi, répliqua froidement Régoël.

Il porta la main à son visage, étonné de ne plus ressentir aucune souffrance... et il sursauta. Deux yeux entièrement noirs le dévisageaient. Pas d'iris, pas de pupille, pas de blanc. Deux globes indéchiffrables, perturbants... et pourtant magnifiques. Les volutes noires des joues dorées venaient lécher les coins des yeux, leur donnaient l'impression d'être interminables. Une guirlande de cils jaune paille complétait ce fascinant regard.

– Vous allez bien messire ?

Messire ? Jamais encore on ne l'avait qualifié d'un titre aussi honorifique, mais l'être face à lui était un être à part : l'Elfe des bois. En réalité, il ressemblait davantage à une fée qu'à un Elfe. Le même nez en trompette, le même faciès rebondit, le même corps menu, les mêmes membres allongés, si fins qu'ils semblaient pouvoir casser comme des brindilles.

– Je... oui, et toi ?

– Ma ruche me manque.

– Je voulais dire...

– On a toujours le choix foutu Elfe ! On est pas obligé de tuer pour survivre ! Dis-le-lui Féh !

Mal à l'aise, l'interpellé détourna le regard. Même s'il pensait comme elle, il ne se sentait pas légitime de le faire remarquer. Pas alors que Régoël et Kledren venaient de lui sauver la vie. Et celle de l'Elfe des bois par la même occasion.

– Ça suffit.

Surpris, tous se tournèrent vers Kledren, lequel, la mine écœurée, essuyait les gouttes de sang de son visage.

– Jeune Salomée, le véritable monde n'est pas celui que tu connais. Ta planète se situe au sein d'un vaste empire régi par des milliers de règles destinées à maintenir la paix. Une paix fragile que le moindre détail peut faire éclater. Et ici, dans cette prison, tu es dans une zone de « non-droit », en quelque sorte. Pas de règles, pas de lois. Ces femmes nous auraient égorgés si elles l'avaient pu. N'oublie pas qu'elles s'acharnaient sur un Elfe des bois innocent. Et pourquoi ? Juste parce qu'il était là. Une dernière chose, ces femmes sont mortes par ta faute. C'est la conséquence de ton acte désespéré. C'est dur à entendre, mais nécessaire, toute action à des conséquences qu'il faut assumer.


Texte publié par Carazachiel, 27 avril 2020 à 18h59
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