Féhnaël
Les jérémiades de Régoël l'exaspéraient. Depuis que Kledren avait posé le pied hors de sa cellule, l'Elfe se montrait exécrable : il aboyait sur tout le monde, refusait de les laisser s'exprimer, haussait même le ton s'ils insistaient. Impossible de débuter un véritable dialogue. Impossible, donc, de décider de la marche à suivre pour la suite.
Féhnaël pouvait comprendre les réticences du Citadin, lui-même n'était pas encore convaincu par cette libération. Néanmoins, Régoël agissait par ego mal placé et rien d'autre : il n'acceptait pas d'avoir été ignoré.
Quel grade possédait-il donc dans les troupes impériales pour réagir de la sorte ? Un simple soldat aurait courbé l'échine. Le guerrier ne pouvait être Général ; homosexuel ou pas, des escouades se seraient lancées à sa recherche. Peut-être Capitaine ? Chef de division ? Ou bien il n'était qu'un troupier insatisfait de son sort et dont la frustration ressortait à présent que sa vie touchait à sa fin.
Une nouvelle dispute stérile eut raison de sa patience : non seulement ça leur perdait du temps, mais ça réveillait aussitôt la douleur lancinante de son crâne. L'envie de leur hurler dessus le titillait, la récente tentative d'étranglement l'en empêchait. Si sa gorge le faisait moins souffrir et lui permettait de parler de nouveau, sa voix restait si fluette qu'elle ne couvrirait jamais les piaillements de Salomée, les arguments chantants de Kledren et le ton grave et dur du guerrier.
Devait-il pour autant patienter ? Attendre un moment de calme pour s'exprimer ? Non, ce moment ne viendrait peut-être jamais, le volcan menaçait d'entrer en éruption. Si ceux-là préféraient se quereller que survivre, ce n'était pas son problème après tout. Alors il décida de partir seul dans les couloirs. Il devait retrouver Taëdyl, mais surtout, trouver de quoi se rendre utile. Jamais la mercenaire ne s'encombrerait de lui dans cet état. Lui-même s'abandonnerait dans un coin sans hésitation pour sauver sa peau.
Très vite, ses jambes tremblèrent sous l'effort. Ses dents claquèrent, sa peau se couvrit d'une pellicule poisseuse. Son flanc, lui, s'enflammait à chaque pas, comme s'il courait depuis des heures. Féhnaël jeta un regard par-dessus son épaule, dépité de découvrir la distance parcourue : trois mètres.
Puis, ses yeux croisèrent des prunelles compatissantes. Kledren s'était désintéressé de la dispute pour suivre sa « fuite ». Il amorçait un geste pour le rejoindre quand la voix de Régoël claqua tel un fouet :
– Qu'est-ce que tu crois faire l'Ennemi ?
– Je vais l'aider avant qu'il ne s'écroule. Tu caquettes tellement qu'il s'en va explorer seul les couloirs sombres de ce complexe terrifiant.
– C'est juste une prison, ça n'a rien de terrifiant, stupide bestiole. Et personne n'a obligé l'Hybride à partir seul, s'il tombe, tant pis pour lui.
– Oh, mais ferme-là à la fin ! Faudrait savoir ce que tu veux, tu crois pas ? Y a un quart d'heure, tu pleurais pour qu'on vienne chercher Féhnaël, oui, parce qu'il a un prénom hein, et maintenant, juste parce que tu es vexé comme un pou, tu es prêt à le laisser s'évanouir seul au détour d'un couloir ? Ah, il est loin le Légolas de mes rêves ! En vrai, les Elfes sont des sales cons !
Tous les regards se braquèrent sur Salomée dont les joues prirent aussitôt une délicieuse teinte rouge. Cette Humaine avait du cran, elle plaisait bien à Féhnaël finalement. Reconnaissant, celui-ci s'appuya sur le Renard qui l'avait finalement rejoint en dépit du regard noir de Régoël. D'une voix râpeuse, il ordonna à l'étrange troupe de se mettre en route.
Ils n'avaient pas fait trois pas qu'il se stoppa net en réalisant que laisser Kessa seule en arrière pourrait s'avérer dangereux. La simple énonciation du prénom suffit à faire comprendre à Régoël d'aller la chercher. Toujours d'humeur massacrante, l'Elfe leur fit signe d'avancer pendant qu'il tournait les talons.
Le trio s'exécuta pour gagner la première porte coupe-feu à une lenteur effarante.
– Tu crois que c'est une bonne idée ? murmura Salomée.
– De quoi ?
– De laisser Kessa et Régoël seuls. Je veux dire, même si elle a trahi, c'est sa copine.
Le ton tremblotant transpirait la peur. Pour la première fois, Féhnaël se demanda ce qu'elle avait traversé jusque là. Comment elle le vivait. Arrachée à son monde si basique pour se retrouver au sein d'une expérience et de créatures qu'elle pensait inexistantes. Elle s'en sortait certes plutôt bien depuis que Taëdyl l'avait réconforté, mais les frissons fréquents de sa peau ne laissaient place à aucun doute : l'Humaine restait terrorisée.
Le métis cherchait avec difficulté des mots réconfortants quand le Renard prit la parole. Encore une fois, son étrange accent mélodieux provoqua chez Féhnaël une pléthore de sentiments contradictoires qu'il ne s'expliquait pas : soulagement, apaisement, compassion, mais aussi terreur, haine et dégoût.
– Kessa est assommée pour quelque temps encore, même s'ils sont alliés, ça ne risque rien pour le moment, ne t'inquiète pas à ce sujet. Veux-tu nous parler d'autre chose ? De ta vie sur Terre ? De ceux qui t'attendent là-bas ?
Salomée hésita quelques instants avant de se lancer dans un récit entrecoupé de quinte de toux : elle leur décrivit son village, ses parents, raconta les bêtises de ses frères et soeurs, tous plus petits qu'elle, puis elle enchaîna sur ses études... Féhnaël perdit le fil ; il ne savait pas se montrer attentif quand un sujet ne l'intéressait pas.
Elle leur relatait sa dernière histoire d'amour quand Régoël les rejoignit, la mage jetée par-dessus son épaule. Toujours inconsciente, comme promis par le Renard, et au vu de sa tête ballottée de droite à gauche sans aucune délicatesse, aucune alliance n'avait été fomentée entre ces deux-là. Alors que Kledren lui proposait de prendre la tête du groupe, le Citadin déclina l'offre : il préférait garder un œil sur son ennemi.
Au terme de ce qui lui parut une éternité, leur troupe parvint au niveau de la cellule F.
– On passe sans s'arrêter, grinça Régoël.
Même si Salomée grimaça, elle ne contesta pas l'ordre. Tête baissée, dents serrées elle accéléra le pas pour dépasser les bras tendus vers eux. Leurs suppliques l'atteignaient de plein fouet, ses yeux clairs s'emplissaient de larmes. Plus pragmatique, Féhnaël maintint son allure. Son corps refusait d'aller plus vite de toute façon, et puis il avait conscience que chaque libération supplémentaire réduirait leurs chances de s'en sortir. Plus nombreux ils seraient, plus l'entente s'avérerait compliquée. D'autant que s'ils parvenaient à quitter le complexe, il leur faudrait encore s'éloigner du volcan. Restait à espérer qu'il restât des navettes ou des montures.
Le passage de la deuxième cellule s'avéra plus difficile pour tout le monde : ses occupants semblaient pris de folie. Deux d'entre eux, deux bas-zévrins, donnaient de violents coups de pied à une forme recroquevillée au sol. Une quatrième personne, une Elfe médiévale se tenait en retrait, hésitant sans doute à participer ou s'interposer.
Affolée, Salomée s'approcha de la grille :
– Il faut l'aider ! Elles vont le tuer !
– On ne peut rien faire, accélère, grogna Féhnaël entre ses dents.
Ils avaient presque dépassé la pièce quand Kledren se figea, les yeux rivés sur la victime :
– Cette créature, serait-ce...
– Un Elfe des bois, souffla Régoël.
Ces mots meurtrirent le coeur de Féhnaël. Il se tourna aussitôt vers la Cellule pour observer la pauvre créature allongée. De petite taille, une peau dorée striée de langues noires : nul doute possible, il s'agissait bel et bien d'un Elfe des bois. Ces petits Elfes de la nature, aussi appelés « Elfes Abeilles » butinaient les forêts, les rendaient luxuriantes et prospères. Une race primordiale pour les planètes, malheureusement sur le déclin. Féhnaël déglutit avec peine. Ils ne devaient pas se laisser attendrir.
– Continuez !
– Mais, ces Elfes ne sont pas en voie de disparition ? On nous a appris à les cibler en premier pour affaiblir l'Empire. Il paraît que sans eux...
– Peu importe. On peut rien pour celui-là.
– Ça me tue de le dire, mais l'Hybride a raison. Avancez.
– Mais...
– Salomée, bon sang, on est sur un volcan en court d'éruption, si ça te suffit pas à penser d'abord à toi, qu'est-ce qui te motivera, hein ?
Féhnaël aurait voulu rester maître de lui-même, mais sa souffrance, sa panique s'entendirent dans sa voix. Certaines intonations se perdirent même dans les aigus. Néanmoins, personne ne le releva, et tous repartirent, à contrecœur.
La mine de l'Humaine inquiétait l'Hybride. Visage fermé, sourcils froncés, elle ralentissait l'allure et jetait de fréquents coups d'œil vers l'Elfe des bois.
– Ne fais pas de bêt...
Féhnaël n'eut jamais l'occasion de terminer sa phrase. Un tremblement de terre les projeta tout au sol. Kledren l'enveloppa aussitôt dans ses bras, par réflexe, il se blottit contre le corps musclé ; il aurait eu tort de se priver de cette protection inattendue, au moins sa tête ne heurtait pas le sol. À peine les secousses achevées, il sentit qu'on tirait sur le cordon de la seconde clef avec une telle force que la cordelette céda.
Salomée venait de lui dérober la clef et courait vers la cellule.
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