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tome 1, Chapitre 18 « Chapitre 8.1 » tome 1, Chapitre 18

Féhnaël

Il avait voulu les suivre. Tenter de fuir, mais cette fois, même le visage de Saëdann ne l'avait pas aidé ; son corps ne supportait plus la douleur, il était resté cloué sur place. Alors, il s'était assis dans le couloir, avait clos les yeux, puis s'était concentré sur les bruits alentour. Sur la course des trois fuyards, sur leurs conversations. Ça n'avait pas été chose facile de distinguer leur voix parmi les hurlements de désespoir des autres prisonniers. Quand enfin il les avait isolées, La terrible vérité l'avait heurté de plein fouet : Taëdyl, Salomée et Régoël avaient échoué.

Une ultime alarme hurla, comme en écho à ses pensées :

Évacuation terminée. Le bâtiment est désormais verrouillé.

S'ils trouvaient une salle de contrôle, une commande manuelle, peut-être s'en sortiraient-ils ? Cependant, rien ne lui certifiait qu'une telle chose existait. La précarité de sa situation l'effrayait. En tant qu''Hybride, il avait certes toujours été précaire, mais au moins possédait-il un avenir, une vie. Il avait des projets avec Saëdann, avec sa mère aussi.

À présent, que lui restait-il ? Quelques heures ? Quelques jours peut-être ? Et le tout pour quoi ? Mourir de faim, assassiné par un codétenu ou bien englouti par un volcan ? Si ses blessures ne le tuaient pas avant ; une hémorragie l'éteignait peut-être à petit feu...

Réjouissant.

– Libère-moi.

Paupières toujours closes, Féhnaël secoua la tête. Avoir une ennemie dans les parages lui suffisait amplement.

– Je vous ai aidé pour la clef, plaida le Renard.

– C'est pas suffisant pour te faire confiance. Tu es un Renard, je suis un Citoyen de l'empire Zévrin...

Un gloussement moqueur du Renard lui hérissa les poils du dos. Kledren savait-il que les Hybrides n'avaient pas le statut de Citoyen ? Sans doute.

– Quoi qu'il en soit, je ne peux pas te faire confiance, c'est viscéral.

– Je comprends. Ça ne t'a jamais horripilé, ces gens qui te catégorisent, qui te privent de certains droits, voire de tous, juste parce que tu es un mélange entre deux races ?

– Je... quoi ? Mais quel rapport ?

Avec une grimace, le jeune homme se releva, puis, d'un pas prudent, s'approcha du dénommé Kledren.

– Tu es intelligent, tu vas trouver tout seul.

– J'ai les neurones en confiture, c'est à peine si j'arrive à me souvenir de mon nom de famille, alors faire appel à la logique...

Une fois encore il mettait en pratique une leçon de Saëdann : toujours paraître plus démuni qu'on ne l'était en réalité. Celle-ci, Féhnaël l'avait apprise à ses dépens, juste après avoir emménagé avec son Espion. L'Elfvar était revenu de sa précédente mission assez amoché : un œil au beurre noir, un bras en écharpe, le pied gauche traînant. Pas en état d'aider son fiancé à transporter les cartons et les meubles, le pauvre avait besoin de repos. Ça, c'est ce que Féhhnaël avait cru une bonne partie de la matinée, jusqu'à retrouver son grand blessé perché sur une table pour arracher une microcaméra cachée dans le lustre. Il ne s'était plus jamais fait avoir par l'apparente faiblesse des autres.

L'apparence. Bien sûr, le Renard parlait lui aussi de l'apparence ! Son parallèle s'avérait même plutôt pertinent, à un détail près. Lui était détesté pour son rang social, à cause d'une vision archaïque de la société alors que la terreur inspirée par Kledren ne prenait pas sa source dans un préjugé. Il ne contrôlait rien, alors même qu'il savait que cette créature n'avait rien de commun avec celles qu'on lui avait décrites.

– Si ça peut te rassurer, tu m'inspires aussi tout un tas de sentiments contradictoire. Ça doit être une histoire d'hérédité. Mon esprit a appris à vous haïr, mon corps aussi. Seulement, chez nous, il y a une explication scientifique à la chose : ce sont des automatismes dus à une propagande si intense que nos cerveaux sont formatés dès notre plus jeune âge. Mon père, le Kommandari est contre ça d'ailleurs, il essaie d'interdire ces écoles de la haine. Parce que malgré tout, on peut se défaire de ces idées néfastes. On peut aller de l'avant et choisir le chemin de la paix.

Quelque chose dans le discours du Renard ne collait pas. Le Kommandari actuel de ce peuple était tout sauf tolérant. Celui décédé quelques mois auparavant, par contre... Avant que Féhnaël ne put en toucher deux mots à Kledren, cette idée fugace lui avait échappée. Son esprit lui jouait décidément des tours. Il se prit à souhaiter que les dommages soient temporaires avant de se souvenir qu'il ne survivrait sans doute pas à cette aventure.

Il pinça les lèvres et ne reprit la parole que quand son interlocuteur montra des signes d'impatience.

– Est-ce une tentative de leçon que tu me fais ?

– Non, je veux juste que tu comprennes que notre race ou notre lieu de naissance ne conditionne pas notre personnalité.

Croire en ce discours tentait Féhnaël, néanmoins, il n'avait jamais fait partie de ces gens pleins d'espoirs et d'optimisme, ceux qui pensaient que chaque être naissait pur et libre de faire ses propres choix. Non, lui pensait que la malléabilité des êtres pensants les conditionnait dès leur plus jeune âge. L'enseignement des parents, le milieu social ou encore la planète de naissance primait sur la personnalité : si un beau fruit poussait sur un arbre pourri, il finissait inévitablement par pourrir, lui aussi.

– Mais l'éducation, si. Tu l'as d'ailleurs dit : vous êtes formatés dès le plus jeune âge pour nous détester.

– Certes, mais je ne pense pas comme la plupart des Renards pour ma part. Et je ne suis pas le seul.

– Tu es une exception parce que ton père t'as éduqué dans la tolérance, non ?

– Mon père et ma mère, oui, je le concède. Mais même s'il est plus difficile de se défaire de son éducation, rien n'est imp...

Les yeux de Kledren s'écarquillèrent au moment ou le métis entendit des semelles claquer.

– ATTENT...

Féhnaël eut à peine le temps d'amorcer un mouvement pour faire face au danger qu'un coup dans les côtes le fit vaciller ; l'assaillant connaissait sa faiblesse ! L'instant d'après, le visage du jeune homme s'écrasait contre les barreaux, à quelques centimètres à peine de celui du Renard. Celui-ci, affolé, lui parlait, pourtant, aucun son ne parvenait à Féhnaël. Aucune sensation non plus en fait, pas même la douleur. Comme s'il était anesthésié. Et à mesure que l'engourdissement gagnait son corps, il commença à suffoquer. Son champ de vision s'étrécit, ses gestes se firent plus lents, plus maladroits ; il ne parvenait pas à se débattre.

Que lui arrivait-il ? De quoi devait-il donc se défaire ? Qu'est-ce qui le rendait ainsi amorphe ? Un sot ? Une agression ? Une conséquence de ses blessures ? Le métis se raisonna, raya la troisième solution ; Kledren ne l'aurait pas prévenu dans ce cas, à moins d'être devin... Et pourtant, il n'arrivait pas à analyser la situation au-delà de ce constat.

Un brusque courant électrique lui traversa le corps, toutes ses sensations revinrent aussitôt, ses facultés mentales aussi.

Il se trouvait en très fâcheuse posture. Un poids appuyait dans son dos, comprimait sa cage thoracique contre la cellule tandis que des mains enserraient son cou. Malgré leurs maigres forces, elles le privaient peu à peu d'oxygène. Néanmoins, la douleur s'avérait une gêne bien plus importante pour le moment ; les Elfgrims résistaient à des apnées de plusieurs minutes. Dans des conditions optimales, certains réussissaient même à rester sous l'eau pendant près d'une heure !

– Féh, concentre-toi ou je vais dev...

– Ferme-là l'immondice, siffla une voix féminine. Et sois pas jaloux, ton tour vient juste après.

Kessa. Le jeune homme l'avait complètement oubliée celle-là. Grave erreur.

Les doigts accentuèrent leur pression, comprimèrent un peu plus la trachée, sans doute une conséquence de l'intervention du Renard. Un nouveau coup l'atteignit au flanc. Avec quoi donc le frappait-elle pour lui faire aussi mal ? Son genou ? Une troisième main cachée ?

Il commençait à délirer. De nouveau, il tenta de se débattre. Ses gestes désordonnés n'eurent aucun effet. Ses forces l'abandonnaient, et l'engourdissement reprenait le dessus... il se laissa glisser dans le néant, pas si désagréable que ça après tout puisqu'il ne souffrait plus, quand un second électrochoc le secoua.

– Concentre-toi sur ma voix nom d'une fée !

Tout d'abord, Féhnaël pensa que ce juron était bien étrange. Puis il comprit de qui il venait. Du Renard. Ces deux chocs douloureux, néanmoins salvateurs venaient donc de Kledren ?

– Ferme les yeux et suis ma voix, juste ma voix. Ne réfléchis pas, ne pense pas, n'analyse pas.

Quelque chose dans le ton pressant le poussa à obéir, à s'en faire une ancre. Il s'y accrocha quand de nouveaux coups l'atteignirent. Quand les insultes plurent sur eux. La voix mélodieuse du Renard lui permit de rester à semi-conscient malgré le manque bien que l'oxygène commença à vraiment manquer.

Féhnaël se surprit à réussir à se mouvoir pour suivre chacun des conseils de son improbable sauveur alors même qu'il en saisissait à peine la portée. Sans savoir comment, il se retourna, Kessa toujours accrochée dans son dos. Il se laissa tomber en arrière, contre les barreaux de la cellule. La jeune femme glapit de douleur, enfonça ses ongles dans la gorge qu'elle écrasait. Indifférent, le métis reproduisit le geste une nouvelle fois. Puis une troisième. Et encore une autre, arrachant chaque fois davantage de plaintes à la mage, laquelle refusait malheureusement de lâcher sa proie.

Il n'allait pas tenir ainsi bien longtemps, tous ses muscles tremblaient, sa tête lui tournait et la douleur, la douleur commençait à occulter son ancre.

– Ne bouge plus Féh !

Reconnaissant, le métis attendit. Il n'aurait pu produire un balancier de plus. Sa réserve d'oxygène s'était tarie ; ses oreilles bourdonnaient, ses poumons le brûlaient, son cœur ralentissait déjà pour économiser de précieuses secondes de vie.

Alors qu'il allait abandonner le combat, Kessa poussa un hurlement strident. D'autres voix s'y mêlèrent, puis la pression sur sa gorge se relâcha. Victorieux, l'air cavala de sa bouche à ses poumons, les gonfla avec joie, plusieurs fois, insensible à la souffrance provoquée par ce réflexe vital.

Féhnaël sentit ses jambes se dérober sous lui. Pourtant, il ne tomba pas.


Texte publié par Carazachiel, 16 juin 2019 à 09h55
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