Taëdyl
Aussitôt, une clameur s'éleva dans le couloir. Des cris, des appels au secours, puis des bruits métalliques, signe que les autres prisonniers se jetaient sur les barreaux de leur cellule. Ou bien qu'ils les tapaient pour attirer l'attention ; ils les avaient vu passer devant eux quelques minutes auparavant après tout.
Pour la première fois de sa vie, la mercenaire sentit le désespoir l'envahir. Trop d'ennuis s'abattaient sur eux. Un enlèvement, des expériences, un volcan sur le point d'entrer en éruption, une tentative d'avortement non désiré, une trahison — ou plusieurs ? Elle n'avait pas encore décidé si Régoël était digne de confiance ou s'il avait fomenté un second plan avec la mage – et maintenant, une mesure de confinement ? Mais pourquoi une telle mesure, l'évacuation du complexe ne suffisait-elle pas ?
Il ne fallut que quelques secondes à Taëdyl pour comprendre les véritables motivations des têtes pensantes du projet :
Ils ne veulent pas laisser de témoin derrière eux. Ils ne nous évacueront pas. Ni nous, ni les autres détenus.
D'ailleurs, pendant que Kessa s'aplatissait dans un coin, muette pour la première fois de sa vie, deux des membres du trio avaient déjà détalé dans le couloir sans se soucier le moins du monde de leurs "patients", seul le troisième hésitait, ses yeux bondissant d'un prisonnier à l'autre, hantés par la culpabilité. L'homme à qui Féhnaël avait tenté de parler peu après son retour.
Derrière elle, l'Hybride bougea. Sous l'œil attentif de l'Elfe, il se leva, chancela, s'affaissa au sol avec une moue contrariée. Lui aussi avait vu l'hésitation du nouveau, sans doute projetait-il de l'amadouer afin qu'il les aidât ?
Aucune chance qu'il réussisse, son cerveau doit avoir l'aspect d'une confiture de grillotines. Allez Taë, fais appel à tes talents inexistants de diplomate pour embobiner ce pauvre gars. Ou alors je joue sur sa culpabilité... oui, ça me semble bien ça !
– Hey, toi, s'exclama-t-elle au moment où il tournait les talons. T'enfuis pas ! Qu'est-ce qu'on va devenir, enfermé ici ? Au mieux, on explose avec le volcan, au pire, on meurt de faim ? Une agonie lente, douloureuse pendant laquelle on risque de massacrer nos compagnons pour les dévorer ?
Elle s'écœurait elle-même. On lui avait déjà conté ce genre de récits affreux, des épopées qui auraient eu lieu dans des temps reculés. Néanmoins, même au pied du mur, elle ne comprenait pas comment on pouvait se résoudre à de telles atrocités.
Mais ça, il ne le sait pas, lui.
Après un long moment à la considérer d'un air effaré, l'homme courba l'échine. Ses mains tremblantes décrochèrent la seconde plaque de verre pour la lui lancer, puis elles palpèrent ses poches, probablement à la recherche de la première.
Alerte Confinement, alerte confinement, quatre minutes restantes avant le verrouillage des portes coupe-feu.
Il tressaillit, jeta un regard par-dessus son épaule, recula d'un pas.
Il va s'enfuir ! Sans la première clef, on est foutu !
– Allez, vous ne voulez pas avoir nos morts sur la conscience, n'est-ce pas ? La clef, juste la clef, lancez-la-moi et fuyez !
– Je... désolé, je ne peux...
– Vous êtes notre dernière... non, notre seule chance. Aidez-nous, s'il vous plaît.
À ses côtés se tenait Féhnaël. Jambes flageolantes, mais debout. Sans qu'elle ne sût pourquoi, Taëdyl ressentit une immense fierté à le voir braver ainsi la douleur sans se servir du palot comme béquille.
C'est peut-être un hybride, mais il est digne de son sang Elfe noir finalement... Par Eden, voilà que je recommence à le considérer inférieur !
– Soyez notre sauveur. Devenez le héros que votre fils voit en vous chaque fois qu'il pose les yeux sur vous.
L'infirmier ferma les yeux, prit une profonde inspiration et capitula.
– D'accord, d'accord, laissez-moi juste le temps de me calmer.
Ces quelques secondes parurent durer une éternité à Taédyl. Leur geôlier étira ses membres, inspira puis expira plusieurs fois d'affilée avant, enfin, de recommencer une fouille méthodique de ses poches. La tension habitait la pièce, tous restaient suspendus au moindre geste de celui qui représentait leur unique espoir. Même Kledren, le Renard, retenait son souffle.
Enfin, le scientifique victorieux tira la plaque de la poche arrière de son pantalon.
– Elle est l...
Alerte Confinement, alerte confinement, trois minutes restantes avant le verrouillage des portes coupe-feu. Cinq minutes avant le verrouillage total de la structure.
Ce nouvel avertissement fit sursauter l'homme. La clef lui échappa, effectua une superbe parabole pour tomber à quelques centimètres de la cellule du Renard. Cette fois, personne n'eut l'occasion de supplier ou menacer le geôlier, l'annonce lui avait donné des ailes.
– Et merde ! Ça veut dire que cinq minutes pour sortir, c'est chaud, c'est ça ?
– Si tu veux dire par là que sortir en cinq minutes risque d'être difficile, je pense que c'est ça, confirma la mercenaire à Salomée. Hey, Kledren, essaie d'attraper la clef pour nous la lancer !
– Crois-tu que je me trémousse par plaisir ? grogna-t-il en dévoilant des crocs aiguisés. Ces andourlouilles de Zévrins ont serré la camisole autant que possible, je n'arrive pas à m'en défaire !
Andourlouilles ? Une insulte Renarde ? Concentre-toi Taë, ce n'est pas le moment.
– Je croyais que tu te trémoussais parce que tu as des vers, ironisa le Citadin. Ils t'ont pas vermifugé avant de te mettre en cage ?
– C'est... pas le moment. Faut trouver comment lui permettre... de se libérer.
– J'ai vu une fille qui se libérait en quelques secondes sur internet ! Elle était debout et tirait sur ses bras ! Elle est même dans le Guinness book ! Du coup, faut que tu te lèves et que tu essaies !
Elle nous raconte des choses de plus en plus étranges cette Humaine...
Kledren paraissait tout sauf convaincu, pourtant, il obéit sans rechigner : il bascula sur les genoux, s'accroupit puis se releva sans le moindre effort.
Voilà un homme rompu aux exercices physiques. Peut-être qu'il est réellement le fils de leur Kommendari ? Faudrait que je demande à Féhnaël s'il sait quelque chose.
– Elle jetait ses bras vers le bas, comme ça. Bon, ça fait un peu macaque, mais si ça te libère, c'est cool, non ?
Un hochement de tête plus tard et les muscles du Renard se bandaient, ses bras tiraient, de toutes ses forces. À la troisième tentative, une lanière se desserra.
Alerte Confinement, alerte confinement, deux minutes restantes avant le verrouillage des portes coupe-feu. Quatre minutes avant le verrouillage total de la structure.
– Par Ylfaël, cet empoté ne va jamais y arriver.
Poings sur les hanches, Taëdyl se tourna vers le palot. Elle en avait plus qu'assez de ses remarques déplacées.
– Ferme-là Régoël. Tu devrais l'encourager, pas l'inverse. À moins que tu ne veuilles pas qu'on s'en sorte ? Tu as peut-être quelque chose à cacher ? Je veux dire, autre chose que ton amour des...
– Taëdyl, garde ça pour toi ! la coupa l'Hybride.
Elle roula des yeux, accepta néanmoins de garder la fin de sa phrase pour elle, non sans se permettre une petite pique :
– C'est pas comme si c'était un secret.
Pour toute réponse, elle ne reçut que deux regards noirs. Dommage, elle venait de louper l'occasion d'arracher la vérité au Citadin. Plus les secondes s'égrenaient, plus la certitude que Régoël les avait lui aussi trahis l'habitait.
Même s'il a reçu une décharge. La belle affaire, le traître a juste été trahi à son tour. En parlant de traître, si on sort, je me charge personnellement de Barossa.
Ses yeux balayèrent la pièce à la recherche de la jeune femme, toujours assise dans son coin, paniquée. Lorsque leurs regards se croisèrent, la mage eut un geste de recul avant de se recroqueviller sur elle-même. La situation avait quelque chose de cocasse. Elle qui s'était tant moquée de l'Humaine lors de son arrivée adoptait à présent la même position pour se soustraire aux autres.
Alerte Confinement, alerte confinement, une minute restante avant le verrouillage des portes coupe-feu. Trois minutes avant le verrouillage total de la structure.
Si Kledren n'arrivait pas à attraper cette fichue plaque de verre, elle se ferait une joie de décorer le visage de Kessa pour l'assortir à celui de l'Hybride. Cette perceptive la réjouissait déjà quand un glapissement de joie retentit : le Renard avait récupéré la carte.
– Mèss Elfvar, je vais la faire glisser vers toi, tiens-toi prête à la rattraper. Vu l'angle de la trajectoire, si tu la loupes, elle continuera sa route dans le couloir.
Sans aucun regret, Taëdyl abandonna ses projets de « décorations » pour se précipiter vers les barreaux. Ses genoux heurtèrent durement le sol, elle les ignora, concentrée sur les mains de Kledren. Sa main gauche, tremblante, se faufila entre les barreaux, prête à cueillir la clef qui les sauverait tous — ou presque.
Sa respiration se ralentit, ses yeux cessèrent de ciller : elle ne distinguait plus rien d'autre que cette mince plaque de verre qu'elle attraperait dans quelques secondes. Elle se concentra au point que les sons environnants disparurent. Plus de respiration sifflante, plus de hurlements de désespoir, plus rien. Elle ne se concentrait plus, non, elle était la concentration incarnée ; l'échec n'était pas envisageable.
– Envoie.
D'un élégant mouvement de poignet, le Renard propulsa la clef. Celle-ci fusa vers Taëdyl, ses tournoiements rendaient sa trajectoire hasardeuse. La poitrine de la mercenaire se comprima d'appréhension.
Puis, elle vit avec horreur la clef s'éloigner vers le milieu du couloir. Dans un geste désespéré, L'Elfvar se plaqua contre la grille, étira le bras autant qu'elle pouvait, étendit ses longs doigts. Encore quelques centimètres, juste quelques centimètres...
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