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tome 1, Chapitre 14 « Chapitre 6.2 » tome 1, Chapitre 14

Les battements de son cœur ralentirent. Les muscles de son dos se contractèrent. Une pellicule de sueur recouvrit son corps. La proximité de l'action, la promesse de liberté l'angoissaient autant qu'elles le stimulaient. Il en oubliait presque sa souffrance.

Une pensée amère lui traversa l'esprit : au moins, son apparence lui conférerait un avantage, jamais les geôliers ne verraient la moindre menace en lui. Restait à espérer qu'il en représenterait une quand même...

Sur la cellule régnait un silence tendu, entrecoupé par leur respiration trop rapide, par les voix des scientifiques, par leurs semelles claquant sur le sol. Régoël ne cessait de lui jeter des regards en coin que Féhnaël ne pouvait s'empêcher d'analyser. L'Elfe jaugeait-il ses capacités de combat ? Se remémorait-il le moment intense qu'ils avaient partagé ?

Un grognement lui échappa. Il secoua la tête, il ne devait pas laisser ses pensées s'éparpiller, ce n'était pas le moment. Il se repassa leur stratégie en revue, étudia de nouveau les alentours. La position de la caméra, l'angle d'ouverture de la grille, la largeur du couloir et... il s'aperçut que les pupilles fendues du Renard étaient rivées sur lui. Féhnaël tenta de l'ignorer. La terreur que lui inspirait la créature ne devait en aucun cas le déconcentrer davantage.

Après une profonde inspiration, qui lui arracha un gémissement de douleur et le força à s'asseoir, il redirigea son attention sur les bruits du couloir. Les pas se rapprochaient toujours, bien qu'à une lenteur infinie. Au moins, il aurait le temps de se relever.

À mesure que les claquements de semelles s'intensifièrent, des sentiments contradictoires l'assaillirent : il avait à la fois hâte d'en finir et crevait d'envie de les entendre rebrousser chemin. Il voulait en découdre, mais aussi se cacher dans les toilettes pour se préserver du possible massacre à venir.

Et bientôt, ils se tinrent là, devant eux, face aux barreaux. Salomée en retrait, Taëdyl aux aguets. Kessa arborait un air ennuyé. Juste une façade, Féhnaël en était certain ; les yeux de la mage clignaient bien trop souvent pour une personne à l'esprit tranquille. Et lui était toujours assis. D'un geste brusque, il se remit sur pied, chancela tandis qu'un étourdissement menaçait de le renvoyer au sol. Il se rattrapa tant bien que mal au mur, sous l'œil moqueur du Citadin.

– Pousse-toi de la porte, Trois.

Sans se départir de son sourire, l'Elfe interpella la jeune femme :

– Pourquoi avoir changé votre routine ?

Le cœur du métis menaça de s'arrêter : le moment d'agir approchait. Dans quelques secondes...

– Tais-toi et bouge de là, aboya l'homme blessé par Féhnaël.

Kessa sursauta, les considéra d'un air effaré. Le métis pria les deux Dieux Elfes pour qu'elle ne leur fît pas faux bond... et pour que Régoël en restât là. Plus le Citadin palabrerait, plus la conversation risquerait de tourner en leur défaveur. Hélas, le jeune homme n'avait aucun moyen d'avertir son comparse sans attirer les soupçons des infirmiers.

– Vous avouerez que c'est tout de même curieux.

Sa carte-clef en main, l'homme grimaça sans approcher.

– Dégage de là, je voudrais pas être contaminé par ton contact.

L'espace d'un bref instant, la contrariété froissa le visage trop parfait du guerrier. Ses lèvres se pincèrent, au grand soulagement de Féhnaël la diversion suffisait, il fallait désormais songer à passer à l'action.

– Qu'avez-vous fait du sperme de l'Hybride ?

Raté.

– Tu devrais te demander ce qu'on a fait du tien le déviant, ricana la soignante.

– Le m...

Une flopée de jurons lui traversa l'esprit, ce qu'il redoutait se produisait. L'Elfe, hébété, quitta son poste pour dévisager son interlocutrice. S'il ne se reprenait pas rapidement, Régoël ne serait d'aucune utilité. Combiné à son propre état de santé, ça commençait à faire beaucoup de points négatifs dans ce plan déjà imparfait.

Le pessimisme le dévasta, ils allaient se planter en beauté. La communication quasi inexistante entre eux, le manque de cohésion, de préparation : en fait, leur plan était voué à l'échec depuis le début. Devaient-ils pour autant abandonner tout espoir ? Féhnaël décida que non. Soit ils mouraient, soit ils retrouvaient leur liberté volée.

Le recul de Régoël eut au moins le mérite de décider l'homme blessé à se servir de sa carte-clef. Lorsque la cache du verrou s'ouvrit, le cœur de Féhnaël s'affola et il manqua défaillir une nouvelle fois. Dans quelques secondes...

Il essuya ses mains moites sur ses cuisses, ferma les yeux ; il devrait bientôt puiser dans ses forces déjà défaillantes pour mener ce combat à bien, et pour ça, il avait besoin de se calmer. Il s'adossa au mur, fit le vide dans son esprit pour tenter de se remémorer les techniques de relaxation enseignées par Saëdann.

Un échec lamentable, tout se révélait sujet à déconcentration. La douleur pulsatile, pour commencer, impossible à oublier : son crâne comme ses côtes battaient la mesure. Son ouïe trop fine, ensuite, ne lui laissait aucun répit : le chuintement de la plaque de verre dans contre le métal l'assourdissait ; Les soupirs exaspérés de Kessa l'horripilaient ; le pied du renard qui frottait contre les barreaux l'indisposait et enfin, les propres battements de son cœur résonnaient comme des tambours dans ses tympans sensibles, accentuant encore la douleur. Ronde infernale.

– Alors, Trois, tu as trouvé ce qu'on a fait de ta semence ?

La voix, moqueuse, poussa Féhnaël à rouvrir les yeux. Quelque chose dans le comportement de la jeune femme clochait et il venait de comprendre quoi : d'après Taëdyl, toute conversation avec les prisonniers était proscrite ; or, la gardienne relançait la discussion. Pourquoi ?

– Quand avez-vous...

La rage étrangla le reste de la phrase du Citadin. Il en tremblait jusqu'à la pointe des oreilles !

– Lors de ton troisième examen. Notre chère Docteur, la très estimée Ronna Zergâam, s'en est chargée elle-même. Alors, qu'est-ce que ça te fait de savoir qu'une femme t'a...

– Pourquoi le provoquez-vous de la sorte ? N'êtes-vous pas censée nous ignorer ? L'interrompit Féhnaël.

Il trouvait certes Régoël lâche de ne pas s'assumer face à Kessa, néanmoins, il le comprenait ; le regard des autres pouvait s'avérer terrifiant, les mots prononcés pouvaient détruire plus sûrement que des passages à tabac, et Kessa n'avait pas la langue dans sa poche. Mais cette femme devant leur cellule s'apprêtait à dévoiler sciemment son secret dans l'unique but de lui faire du mal. Elle savait qu'il en souffrirait et s'en réjouissait d'avance, Féhnaël n'avait pas le moindre doute à ce sujet. Lui-même admettait s'amuser avec des sous-entendus qu'il savait la mage incapable de comprendre, seulement, il n'aurait jamais révéler l'homosexualité de Régoël à sa place. Cette décision, l'Elfe devait la prendre seul.

Bien sûr, la chercheuse ne daigna pas répondre à l'Hybride qu'il était. Elle ne lui accorda qu'un furtif regard, puis reporta son attention sur sa victime du moment. Aussitôt, un pli de contrariété fronça son nez ; l'intervention de Féhnaël avait remis les idées du guerrier en place. Impassible, il avait repris sa place contre les barreaux, à un pas de l'ouverture cette fois. Restait à espérer qu'il ait lui aussi remarqué le comportement anormal de l'infirmière.

Pour s'en assurer, Féhnaël observa le Citadin pendant de longues secondes. Il étudia ses traits, chercha son regard, tenta de déchiffrer la moindre micro-expression. Plus il se concentrait, plus la douleur pulsait à ses tempes, plus l'anxiété l'envahissait. Puis Régoël releva les yeux, croisa les siens, hocha la tête presque imperceptiblement. Le soulagement toucha le jeune homme, l'étau sur son crâne s'atténua. L'Elfe avait compris, c'était certain, il agirait en conséquence.

Dans sa cellule, le Renard s'agita. Il donna de violents coups de pieds dans les barreaux. Le métis l"ignora, ce n'était pas le moment de se laisser distraire.

Enfin, après un temps qui lui parut interminable, le cadenas cliqueta. Le jeune homme retint son souffle : ce qu'il allait se passer à présent, seuls les Dieux le savaient. Tandis qu'il croisait le regard de Taëdyl, une bouffée d'optimisme l'envahit : si tout le monde suivait la stratégie — certes discutable — mise en place, ils s'en sortiraient.

La suite se déroula très vite. Alors que la porte glissait sur ses gonds, Régoël bondit sur le geôlier blessé pendant que Taëdyl se ruait sur le compatissant, resté en retrait. Féhnaël en profita pour se glisser hors de la cellule, se retrouva face à l'infirmière... et se figea ; elle souriait. D'un sourire vicieux, sadique. Sa main serrait le boitier noir qui leur servait d'arme. Par réflexe, il lui lança son genou dans le bras, il voulait le lui briser.

Il n'atteignit jamais sa cible. Le geste le plia de douleur, et le temps qu'il reprît son souffle, la femme avait appuyé son arme contre son front. Malgré sa chaleur, le contact de l'arme le glaça : C'était fini pour lui.

– Ne bouge plus, Cinq. Recule sagement dans la cellule.

– Et si je refuse ?

Piètre tentative de gagner du temps pour permettre aux autres de, peut-être, le tirer de ce mauvais pas. Un coup d'œil circulaire balaya tous ses espoirs : l'Elfe, au sol, convulsait, yeux exorbités, bave écumante aux lèvres. Le scientifique qu'il avait tenté de maîtriser le lorgnait d'un air victorieux, son arme parcourue d'éclairs bleutés. Féhnaël frissonna, s'il n'obtempérait pas, il finirait dans le même état. La situation de Taëdyl ne valait guère mieux. Si elle avait réussi sans problème à désarmer son adversaire, elle se trouvait à présent face à une Kessa qui la maintenait en joue avec le boîtier de l'homme. Salomée, épouvantée s'était tapie contre la cellule du Renard qui avait retrouvé son calme et arborait une expression dépitée.

À contrecœur, le jeune homme recula dans la cellule, saisissant enfin l'ampleur du désastre. Ils avaient échoué. À cause de Kessa. La mage les avait trahis. Ils étaient perdus.

Voilà pourquoi l'infirmière s'était comportée de manière étrange, elle savait qu'ils se révolteraient. Elle avait dû lancer cette conversation pour s'armer sans attirer leur attention. Peut-être que le Renard l'avait vu faire, raison pour laquelle il s'était agité ? Féhnaël n'en saurait sans doute jamais rien.

La mort dans l'âme, il obéit quand la chercheuse lui ordonna de gagner le mur du fond, d'y coller le nez et d'attendre. Puis Taëdyl parut sur sa gauche, Salomée sur sa droite. Aucun signe de la traîtresse.

- Et maintenant ? s'enquit l'Elfvar.

– Maintenant, on fait un rapport à notre supérieure, elle décidera de votre sort. Elle se montrera sans doute trop clémente, elle a besoin de vous, cracha l'infirmière d'un ton dégoûté.

– Nous avons tenté une fois, on retentera. Sans cette putain de Haute-Zévrine cette fois, croyez-moi !


Texte publié par Carazachiel, 27 juillet 2018 à 11h32
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