Une ronde exceptionnelle aux alentours de seize heures lui donna raison. Assis en tailleur au niveau de la grille, il pouvait observer la scène à loisir. Un trio de geôliers s'avançait d'un pas raide, encadrant un prisonnier conscient, bâillonné, emmailloté dans une camisole. L'étrange cortège les dépassa sans un mot pour s'arrêter devant une autre cellule. Celle-ci s'ouvrait sur la paroi d'en face et ne possédait qu'une ouverture étroite. Plutôt que de s'intéresser au détenu — il aurait tout le temps de le dévisager ensuite —, Féhnaël épia chaque geste des scientifiques.
Comme la mercenaire lui avait expliqué, le mécanisme s'avérait des plus modernes. Une carte programmée, du même alliage que les phonoïds, servait à dévoiler un cadenas, qui lui-même ne pouvait être déverrouillé qu'à l'aide d'une seconde plaque que leurs gardiens portaient comme des pendentifs. Si dérober la première s'avérait envisageable, ni lui ni Taëdyl n'avait la moindre chance de mettre la main sur la seconde. Sauf peut-être s'ils visaient l'homme tout à gauche. Il semblait bien pataud comparé à ses collègues.
Il jeta un regard vers la jeune femme, se demandant si elle pensait à la même chose que lui : les yeux écarquillés, elle fixait le nouveau venu avec une expression de stupéfaction totale. Féhnaël s'aperçut qu'elle répétait toujours et encore les mêmes mots :
– Il est conscient ! Il est conscient, il est...
Curieux, le métis se décida enfin à détailler l'homme... et aussitôt, un indicible sentiment de terreur s'empara de lui. Une peur ancestrale, comme inscrite dans ses gênes, quelque chose qui lui hurlait de fuir ou tuer cet individu aux oreilles rousses et poilues.
– Un Renard !
–... toujours vêtu de ses propres habits !
Le métis, perplexe, fit face à son alliée.
– Quoi ? Mais de quoi tu parles ?
– Cellule G, il devrait être habillé en gris, en grève, en grenade, en...
– Tu comptes me citer toutes les couleurs qui commencent par G ?
– Il ne devrait pas être fagoté comme ça, c'est tout, s'entêta-t-elle.
– Sauf si...
– Mettez-là en veilleuse bande de crétins. Il ne devrait surtout pas être bien vivant dans une cellule. C'est un Renard, un Ennemi, siffla Kessa.
Focalisée sur le Renard, Kessa transpirait l'animosité par tous les pores de sa peau. De ses iris assombris à ses mâchoires si serrées que certaines veines de son cou ressortaient sur sa peau pâle. Une haine viscérale s'était emparée d'elle. Ce fut sans doute pour ça qu'elle se jeta soudain sur les barreaux pour invectiver les gardiens d'un ton acide :
– Bandes d'incapables, vous avez le cerveau d'un hybride ou quoi ? Depuis quand on laisse vivre ces rebuts d'immondices ?
Dans le couloir, aucun des trois geôliers ne lui accorda d'attention. Ils paraissaient focalisés sur le Renard qu'ils tentaient de pousser dans son nouveau logement.
– J'en ai ras les poils de votre mascarade ! Je ne supporterai pas de vivre aussi près de cette sanie ! L'Humaine, passait encore. L'hybride ? C'est un calvaire de respirer le même air que lui depuis ce matin, mais là, là, vous dépassez les bornes ! Quand il saura, mon père va vous faire exécuter, laissez-moi sortir ! Il est hors de question que je reste en présence de tous ces déchets !
Elle se ridiculisait autant qu'elle empêchait Féhnaël de réfléchir. Ce qu'il allait dire à Taëdyl avait de l'importance, et l'idée même lui échappait à présent. Tout ça pour interpeller des scientifiques sourds à ses récriminations. En effet, leurs tâches enfin accomplies, ils commençaient à repartir sans lui avoir accordé un regard.
Mais au grand désespoir du métis, elle n'abandonna pas et continua d'une voix doucereuse :
– Vous ignorez qui je suis, n'est-ce pas ? Laissez-moi donc vous éclairer, je suis...
– Kessa Lendomââ, fille du Haut-Zévrin Frimond Lendomââ, lui-même conseiller de l'empereur, l'interrompit Féhnaël d'une voix détachée. Et au passage, tu es aussi la honte de ta famille, une des rares mages à avoir été reniée par son père ET sa mère. Personne ne bougera le petit doigt pour toi, alors ferme-là.
La mine effarée de la mage récompensa son audace. Hélas, il n'eut pas l'occasion de savourer sa victoire. Un cri de Taëdyl retentit alors qu'une aiguille se plantait à la base de son cou. Il n'avait rien vu venir. Il n'avait même pas entendu le gardien entrer dans la cellule.
Contre toute attente, il ne sombra pas dans l'inconscience. Ses membres le lâchèrent, ses muscles ramollirent, et sa vue se brouilla, mais son cerveau continua de fonctionner : il pouvait entendre chaque mot échangé par ses bourreaux. En avaient-ils conscience ? Il l'ignorait. Dans le doute, mieux valait leur faire croire que le produit l'avait endormi.
L'homme qui le portait ne cachait pas sa contrariété. Devoir refaire en urgence les prélèvements de l'hybride ne l'arrangeait pas ; il voulait rentrer tôt pour l'anniversaire de sa fille. Il pesta ensuite contre ce « trou perdu au fin fond d'un volcan ». Il ne comprenait pas la lubie de leur supérieur d'installer son laboratoire dans la cheminée secondaire de ce géant en sommeil depuis des décennies.
Féhnaël obtenait là une information de prime importance. Les seuls volcans de la planète Zaldénia entraient en éruption plusieurs fois par année. L'unique exception, le Mont Kralevar, se situait en plein cœur du Territoire Elfvar, aucune chance qu'un quelconque groupe privé y installa un complexe secret. Non, ils ne se trouvaient tout simplement plus sur Zaldénia.
Une pointe de désespoir aiguillonna le cœur du jeune homme : comment Saëdann allait-il s'y prendre pour le retrouver ? Ses ravisseurs devaient avoir abandonné ses effets personnels dans une ruelle, voire dans un conteneur. Peut-être même les avaient-ils détruits. L'Espion trouverait sans soucis des témoins, il dénicherait vite une piste, mais que ferait-il lorsqu'il comprendrait que son mari n'était plus sur la planète ?
À cet instant lui revint en mémoire la remarque dont il allait faire part à Taëdyl lorsque cette mage l'avait interrompu de ses inepties :
Personne n'avait dépouillé le Renard de ses vêtements. Si le Kommandari des Renards avait vraiment enfanté ce garçon, alors il y avait fort à parier que celui-ci portât en permanence sur lui un appareil de communication. Un appareil qui se trouvait sans doute encore entre ces murs. En tout cas, Féhnaël voulait se raccrocher à cet espoir.
Une surface dure heurta son dos, rappel désagréable de son arrivée en ces lieux.
– Il dort cette fois ?
– Aucune idée, ses globes oculaires roulent sous ses paupières. Ça pourrait aussi bien être un cauchemar qu'un signe de conscience.
– Je croyais qu'on avait embauché des infirmiers compétents, cingla la première voix, féminine.
– C'est vous le médecin, madame, je ne fais que suivre vos dosages.
– Sous-entendrais-tu que mes dosages sont incorrects ? Cette saloperie est le seul sujet à y résister. J'ignore si ça vient de son patrimoine d'hybride ou d'une particularité individuelle.
– Peut-être que son double héritage génétique l'immunise en partie à l'anesthésiant ? hasarda l'infirmier d'un ton chevrotant.
– Imbécile, pourquoi crois-tu que je me décarcasse à lui faire une préparation spéciale ? Moitié anesthésiant pour Elfgrim, moitié pour Humain. La dernière fois, j'avais mis celui pour Zévrin.
Un silence salua cette remarque énervée. À sa droite, l'homme toussota, se racla la gorge :
– Et s'il n'était pas ce qu'on croyait ?
– Pourquoi crois-tu que j'ai lancé une comparaison d'ADN avec tous nos « invités » ? Pour faire un papier peint tendance ? J'ai même mis ceux dont on savait pourtant que les unions restent stériles, comme les fées. Je suis à deux doigts d'euthanasier celui-là pour aller chercher un autre hybride, mais ça nous ferait perdre encore plus de temps. Surtout que...
Le niveau de magma est anormalement élevé. BIP BIP BIP. Veuillez commencer l'évacuation du complexe.
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