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Taëdyl

Adossée au fond de la cellule, les bras croisés sur la poitrine, la jeune femme observait les trois geôliers. Ils s’affairaient depuis un bon quart d’heure déjà autour d’une forme bleu clair qui gisait au sol. Un homme, accroupi, un autre debout, en train de discuter à voix basse avec une jeune femme. Concentrés, ils n’avaient pas accordé un regard aux prisonniers. Pourquoi l’auraient-ils fait, une solide grille les séparait. Grille qui fermait non pas avec une bête clef, mais avec un passe électronique digne des prisons impériales. Sauf que les prisons impériales ne renfermaient que des traîtres à la nation, des terroristes ou des personnalités ennemis, ce qu’aucun d’eux n’était, de toute évidence.

Alors, que leur voulaient toutes les personnes qui défilaient derrière les barreaux, jour après jour ? Taëdyl l’ignorait, elle n’avait même pas le début d’une piste. De quoi la contrarier, non seulement elle voulait garder pour elle certains... éléments de sa vie, mais en plus, elle détestait qu’un mystère lui résiste. Elle n’avait pas choisi le métier de mercenaire pour rien, il lui permettait de fourrer son nez un peu partout et de découvrir les petits secrets des uns et des autres. Le plus souvent, ses employeurs s’en servaient pour du chantage, mais elle s’en moquait. Une fois son boulot fini, elle passait à autre chose.

Elle acceptait d’autant moins de demeurer incapable d’expliquer sa présence en cellule. C’est à peine si elle se souvenait de quelque chose avant son réveil dans cette pièce. La seule chose de sûre, ces gens voulaient garder leur anonymat ; ils étaient tous vêtus de combinaisons sombres et moulantes, les visages à moitié enfouis dans des cagoules. Une précaution que la jeune femme trouvait inutile, la plupart de ses colocataires d’infortune possédaient les capacités pour reconnaître chacun des geôliers qu’ils croisaient.

Elle-même, en tant que mercenaire Elfe Noire, pouvait déterminer l’identité de ces individus à leurs postures, le timbre de leur voix, la précision de leurs gestes. Chacun d’entre eux possédait des caractéristiques propres, des mimiques dont ils n’étaient pas conscients. L’Elfe Citadin, Régoël, avait acquis des aptitudes similaires à l’académie militaire impériale. Quant à la Haute-Zévrine, Kessa, elle prétendait distinguer les auras. Taëdyl savait que les mages Hauts-Zévrins possédaient des pouvoirs très diversifiés, mais elle n’avait jamais entendu parler d’auras. Pour autant, elle n’avait aucun moyen de savoir si Kessa disait vrai ou non. La dernière prisonnière était la seule à ne pas différencier leurs geôliers, à ne même pas s’en soucier ; la pauvre créature terrorisée, dont Taëdyl avait oublié le prénom, se terrait dans un coin depuis son réveil. En position fœtale, la tête rentrée entre les cuisses, l’humaine ne relevait la tête que pour leur jeter des regards horrifiés. Il s’agissait sans doute d’une Terrienne qui n’avait jamais soupçonné l’existence de créatures "fantastiques" ni même celle de la magie.

Un brusque mouvement du gardien accroupi attira l’attention de Taëdyl ; la forme bleue à ses pieds avait remué. Ses deux collègues se figèrent quelques instants, prêts à intervenir... rien ne se passa, l’homme se détendit.

Celui-là est nouveau dans la prison, pensa-t-elle, intriguée.

Depuis deux semaines qu’elle se trouvait dans la cellule B, elle commençait à connaître la composition des équipes par cœur. Toujours par trois, Bas-Zévrin, Elfe citadin et Humain, toujours constituées des mêmes membres. Et Taëdyl en était certaine, l’équipe du jour comportait une anomalie : le couple à l’écart aurait dû être accompagné d’une Zévrine, pas de ce jeune homme maladroit qu’elle n’avait encore jamais vu.

Amusée, elle le lorgna sans aucune gêne. Il se concentrait tellement sur sa tâche qu’il ne s’en apercevrait sans doute pas de toute façon. En effet, il se tenait immobile, une seringue dans sa main tremblante, penché sur l’individu inconscient à ses pieds. Comme s’il ignorait quoi, ou comment faire. Peut-être était-ce son premier jour en ces lieux ?

Lieux que la guerrière n’avait d’ailleurs pas encore pu identifier, à l’instar des intentions de leurs "hôtes". Pénitencier, hôpital militaire ou bien laboratoire secret, cela demeurait un mystère qu’aucun des résidents de sa cellule n’avait pu percer. Kessa avait pourtant tout tenté. Elle avait harcelé les geôliers de questions, avait tenté de les intimider, les avait même menacés. Rien à faire, ils n’avaient pas lâché le moindre mot. Même ses ridicules tentatives de séduction s’étaient soldées par des échecs. Rien ne les détournait jamais de leur programme, minuté à la seconde près d’après ce que Taëdyl avait pu observer :

Ils arrivaient tôt — l’horloge numérique murale indiquait 6 h 45 —, leur distribuaient des écuelles de semoule grumeleuse, repartaient.

À 10 heures, ils pouvaient réapparaître pour amener un nouveau pensionnaire. Dans ce cas, ils vidaient les lieux à 10 h 10 en l’abandonnant au milieu de la cellule.

Dans le cas contraire, ils ne se montraient pas avant 17 h 5 et les guidaient vers des douches communes.

À 17 h 25, ils les poussaient dans des salles équipées d’un brancard et de quelques meubles métalliques. 

La plupart du temps, le trio se contentait de quitter la pièce, puis revenaient quelques minutes plus tard pour les ramener dans leur cellule où d’autres écuelles de semoule les attendaient, accompagnée cette fois d’une tranche de viande indéfinie et d’une carafe d’eau qu’ils devaient se partager. 

Mais parfois, l’un des trois sortait une seringue tandis que les deux autres allongeaient de force le prisonnier sur le brancard... et dans ce cas, celui-ci ne reprenait ses sens que sur le chemin de retour de la cellule, sans aucun souvenir des dernières minutes. Taëdyl avait vécu ce désagréable événement une fois, la mage trois, l’Elfe Citadin jamais.

Les geôliers quittaient invariablement le couloir à 17 h 45.

Lors de ces « promenades », Taëdyl avait pu constater qu’il existait au moins six autres pièces de détention, dont trois occupées par d’autres espèces : Elfes Sylvains, Fées, Bas-Zévrins et même un faune. 

Quelques jours plus tôt, des cris avaient déchiré la journée. Une fois le matin, une autre l’après-midi. Deux créatures manquaient à l’appel le soir même : le petit faune ainsi qu’une fée. Avaient-ils été libérés ? La mercenaire en doutait. Quoi que leurs kidnappeurs préparassent en secret, ils ne prévoyaient pas de leur rendre leur liberté un jour.

Ni à eux ni à ce pauvre hère, toujours inconscient. Un cinquième occupant pour la cellule B, il était vêtu de la même tunique bleu pâle que Taëdyl et ses compagnons. 

Ils veulent se lancer dans un concours de mode ou quoi ? Parce que si c’est le cas, faudrait voir à changer de styliste. Ou de fournisseur de tissu, les couleurs sont à vomir.

Taëdyl échappa un ricanement. Ils n’étaient pas les plus mal lotis pourtant, ils auraient pu se retrouver dans une tunique fuchsia, comme ceux de la cellule F. Le bleu pâle se mariait mal à sa peau d’ébène, mais au moins, elle ne ressemblait pas à une pâtisserie.

Ankylosée, la jeune femme quitta le mur pour s’étirer. Le manque d’exercice de ces dernières semaines commençait à lui peser, ses muscles protestaient chaque jour un peu plus. Ils voulaient courir, chauffer, sauter, escalader, chevaucher un compagnon fougueux ou une impétueuse demoiselle. Bref, faire n’importe quoi sauf rester statique toute la journée. 

Un coup d’oeil à l’horloge lui fit froncer les sourcils. 

Plus que deux minutes avant qu’ils déguerpissent. Enfin, si l’autre se décide à planter son aiguille... qu’il est lent, d’habitude, ils sont déjà en train de ranger leur matériel...

En temps normal, le nouveau venu aurait déjà dû être au milieu de la cellule. Il aurait dû commencer à s’agiter, à montrer des signes de vie. Au lieu de ça, ses veines palpitaient à quelques centimètres d’une aiguille tenue par une main tremblante et indécise. 

Ça ne faisait que retarder l’horrible réveil qui l’attendait. Il n’y échapperait pas. Comme eux, il reviendrait à lui avec un affreux mal de crâne, dérouté de ne pas comprendre où il se trouvait. L’Humaine avait en prime hérité d’une crise de panique dont elle ne s’était pas encore remise depuis son arrivée, la veille.

Si elle ne s’était pas terrée dans un coin, elle aurait été tellement intéressante ! Espérons que ce gosse sera plus éloquent...

Et il promettait de l’être, si la mercenaire devait en juger par la mine écœurée de Kessa. 


Texte publié par Carazachiel, 13 mai 2018 à 19h00
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