Féhnaël
Quelque chose le ballottait de toute part. Comme s'il s'était trouvé sur une carriole, ou bien un bateau. Pourtant, Féhnaël n'habitait pas à côté d'un port, pas plus qu'il ne connaissait de propriétaire de calèche ou véhicule du genre.
Rêvait-il ? L'explication tenait la route, d'autant qu'il ne parvenait ni à ouvrir les yeux ni à se souvenir de la façon dont il s'était trouvé sur cette... chose mouvante. Mais alors, pourquoi cette sensation d'oppression ? Pourquoi cette peur diffuse qui le prenait aux tripes ? Pourquoi son intuition lui hurlait-elle qu'il courait un grave danger ? Elle ne lui avait jamais fait défaut jusqu'à présent.
Un choc soudain à la tête éparpilla ses sens et ses réflexions. Ses oreilles sifflèrent tandis que la douleur lui vrillait le cerveau, une douleur bien trop vive pour un rêve. Après d'interminables secondes, ses oreilles s'apaisèrent. Les sons leurs parvenaient à nouveau. Étouffés, déformés, mais bien réels eux aussi.
Tout compte fait, il ne rêvait pas. Mais alors, comment expliquer sa mémoire défaillante ? Cette impression que le temps ralentissait sa course ? L'avait-on drogué ?
Féhnaël jugula une vague de panique et tenta de se concentrer sur son environnement malgré le martèlement de son crâne et la chaleur étouffante dans laquelle il baignait. Seule son ouïe accepta de l'aider : des bruits sourds, des coups répétés. Peut-être des voix, il n'en était pas sûr. Impossible d'en apprendre davantage, pas sans la vue. Pas sans que son corps n'acceptât de lui répondre.
Une nouvelle vague glacée le balaya. Seul l'enseignement de son compagnon l'aida à surmonter cette seconde attaque. Il devait rester maître de lui-même. Il devait tirer profit de chaque détail, de chaque information. L'aide ne viendrait pas de l'extérieur, mais de lui-même. Dans un premier temps, en tout cas...
Apaisé, son esprit vagabonda à la recherche d'indices. Sur les lieux, sur la raison de sa présence, sur l'identité des "voix". L'environnement ne lui apprit rien, alors Féhnaël tenta l'introspection. Son dernier souvenir lui montrait une ruelle animée, un jour de marché. Comme à son habitude, il avait dissimulé son physique trop particulier sous une capuche. Comme toujours, il veillait à ne pas attirer l'attention sur lui. Il n'avait d'ailleurs rien remarqué qui sortît de l'ordinaire, il avait acheté des épices elfiques, puis... puis quoi ? Puis rien. Il ne se souvenait de rien d'autre.
Son nez se fronça de contrariété... et le jeune homme comprit qu'il maîtrisait de nouveau ses membres. Le soulagement fut de courte durée, lorsqu'il battit des paupières, il réalisa presque qu'un tissu lui recouvrait le visage.
L'angoisse l'étreignit de nouveau.
Son cœur se serra, son souffle se raccourcit. Il voulut inspirer pour se calmer, mais une multitude de particules irritantes s'insinua dans ses narines, sa gorge, tapissa sa langue pour lui arracher une douloureuse quinte de toux. Le jeune homme suffoquait, pourtant, il parvint à encore à garder son calme. Il essaya de s'asseoir, de se débarrasser du morceau de tissu...
Et cette fois, la terreur déferla. Un hurlement voulut lui échapper, mais resta étranglé dans sa gorge.
Un étau lui comprima les poumons, ses doigts tremblèrent, son corps se couvrit de sueur ; on l'avait entravé ! Il était solidement attaché à une surface inconfortable. Mais qui ? Dans quel but ? Pourquoi un tissu lui recouvrait-il le visage ? Pourquoi lui ? Il avait déjà été kidnappé, mais pour être passé à tabac. Pas pour... il ne savait quoi. Et s'il s'agissait d'une erreur ? Et si ils avaient voulu enlever une personne importante ?
– Il est réveillé, faites-moi voir ses yeux, ordonna une voix féminine.
L'instant d'après, la toile rêche quitta son visage tandis qu'une lumière crue agressait ses rétines. Impossible de distinguer la moindre silhouette. Pourtant, il les entendait s'affairer à ses côtés, il sentit des picotements dans ses plantes de pieds, un courant d'air sur son corps, des pincements sur ses ongles. Mais pourquoi donc sa voix refusait-elle de se faire entendre ? Il voulait les insulter, les supplier, appeler à l'aide.
Une main se posa sur sa joue, lui tourna le visage sans ménagement, puis des doigts indélicats écartèrent une paupière. Son roulement de globe oculaire comme tentative de rébellion échoua, la personne lui flanqua juste une claque. Il ne ressentit rien. Rien d'autre que le battement infernal de son sang à ses tempes.
– Le spécimen possède des yeux marron clair des plus classiques, probablement une ascendance humaine, théorie renforcée par sa pilosité noire.
– Qu'il est laid, intervint une seconde voix.
– Certes, mais cela n'a aucune importance pour notre expérience, c'est son génome qui nous intéresse. Bien, finissez donc les prélèvements, il me faut encore le sang et l'épiderme. S'il s'agite trop, administrez-lui une autre dose de sédatif.
– Qu'est-ce que j'en fais après ?
– Pour le moment, mettez-le avec ceux de la cellule B. Je vous félicite, vous avez enfin amené le sujet idéal, mais prenez-en encore un peu soin, j'aurais peut-être besoin de lui pour des tests complémentaires. Oh, et je veux les résultats de cet hybride au plus vite, notre employeur atterrit demain, il est impératif de pouvoir les comparer avec ceux des sangs purs dans la soirée.
Ces mots glacèrent le prisonnier. Ses espoirs d'un malentendu s'évanouirent. Il avait été visé pour son métissage. Par malheur, ils ignoraient un léger détail sur son matériel génétique. Un détail qui pouvait néanmoins tout changer. Que feraient-ils lorsqu'ils le découvriraient ? Ils le laisseraient partir ? Non, aucune chance, ils le tueraient sans état d'âme ; son statut d'hybride en faisait un moins que rien, dénué de tout droit. Une chose que personne ne chercherait ni ne regretterait jamais. Tout le monde haïssait les bâtards, les utilisait comme souffre-douleur, comme esclaves... dans les meilleurs des cas.
Au lieu de le désespérer, cette pensée le gonfla d'espoir. Il n'abandonnerait pas, il ferait même tout pour survivre ; il possédait un deuxième secret.
Il existait en ces mondes une personne qui donnerait sa vie pour lui. Une personne qui comptait autant pour lui que lui pour elle. Et même si leur liaison demeurait un secret, jamais son amour ne renoncerait à lui.
Une piqûre au creux du bras le força à se cambrer et haleter de douleur. De nouveau, il essaya de ruer, de se détacher. Ses liens ne bougèrent pas d'un millimètre. Son cou se tordit, ses yeux se plissèrent dans l'espoir d'apercevoir son tortionnaire : une silhouette floue, vert pâle qui se mouvait avec lenteur.
L'hybride sentit plus qu'il ne vit la seringue libérer son contenu dans ses veines.Une brûlure les enflamma, remonta jusqu'à sa nuque et se diffusa dans son cerveau avant de disparaître, remplacée par une douce torpeur.
Les sons s'amenuisèrent, la lumière déclina.
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