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- Mais enfin ! Comment as-tu pu faire ça ?!

- J'en sais rien ! On ne va pas débattre là-dessus toute la soirée non plus !

- Comment ça "t'en sais rien" ?! C'est bien toi qui l'as agressé !

- Je n'ai fait que me défendre ! Il n'avait pas à s'imposer comme il l'a fait !

- T'avais des choses à cacher ?

- Non, mais ce n'est pas la question, il n'avait pas à...

- Va dans ta chambre. Et que je ne te prenne pas à en sortir, quel qu'en soit le moyen.

Argumenter contre sa mère dans ce genre de moment était inutile. Peu importait qui avait raison, Hayjie avait tort à ses yeux. Aussi, celle-ci ne tenta rien de plus et se rendit dans sa chambre avant de passer par sa fenêtre perlée, attrapant sa besace à la volée pour s'échapper de l'atmosphère pesante qui régnait dans la maisonnette depuis que ses parents avaient appris les derniers ragots à son sujet. Ça aurait été étonnant que ça ne fasse pas le tour de l'île en moins de vingt-quatre heures.

Elle emprunta un chemin au milieu des bois afin d'échapper aux regards des gens le temps de rejoindre la plage qui bordait la falaise en espérant que personne ne s'y trouverait.

Le chant des vagues s'entendait de loin malgré la densité de la forêt et sable blanc prit rapidement le dessus sur la verdure. Elle alla s'adosser à la falaise, jetant son sac dans un repli de la roche au passage.

* * *

Le reste de la semaine passa laborieusement. Les changements physiques se sont montrés beaucoup plus violents au fil des jours, au point de ne plus se reconnaître dans un miroir. Odona donnait parfois signe de vie lorsqu'elle se rendait près d'une étendue d'eau, mais elle avait abandonné les rivages de l'océan en la trouvant envahie d'algues noircies par la maladie. L'odeur qui s'en dégageait n'avait rien d'agréable et elle n'avait nullement envie de s'empoisonner avec les gaz qui s'en échappaient. Heureusement, l'épidémie n'avait pas atteint le lac et le ruisseau qui leur fournissait l'eau douce nécessaire à l'agriculture et à leur survie.

En s'informant auprès de Siannlie, elle apprit qu'Odona était en réalité la Gardienne du Royaume Aquatique. Rien que ça. D'ailleurs, elle ne comprenait pas vraiment qu'elle ait envie de parler au désastre ambulant qu'elle était, mais elle s'était toujours abstenue de lui poser la question, par peur de la vexer.

Les bruits du village étaient assourdissants, oppressants. Ses parents tentaient tant bien que mal de l'en préserver mais la tâche leur étaient devenue bien ardue malgré les efforts qu'ils y déployaient.

Pas même le bruissement incessant des feuillages parvenait à les camoufler.

- Bonjour Haijie.

Un imposant aigle ambré venait de se poser dans l'arbre où elle se trouvait, à quelques branches de la sienne. Il la fixait sans la moindre crainte et la voix qui venait de résonner dans son esprit, calme et certainement d'origine masculine.

- Me reconnais-tu ?

- C'est une blague ?

- Il est vrai que cette question n'est pas très pertinente. Les échos de tes semblables sont guère élogieux à ton sujet.

- Je ne peux pas le nier...

- Quelle en est la raison ?

- J'ai blessé le clerc en me défendant contre lui.

- Ce n'est que peu honorable.

- J'en suis consciente, merci. Tu ne m'as toujours pas dit qui tu étais.

- Circa, Esprit messager de l'Aigle.

- Rien que ça. Enchantée.

- Astalie et Chandra m'envoient afin de m'occuper de ta formation.

- Ma formation ?

- Descends.

L'oiseau prit son envol pour se poser quelques mètres plus bas. Ce n'était plus un rapace. Ce n'était pas un humain non plus, mais un harmonieux mélange des deux espèces. Ce furent les plumes ambrées dispersées sur son corps qui lui confirmèrent sa première hypothèse : l'aigle et cette créature sont ce même soi-disant Circa venu pour sa soi-disante formation.

Il attendait, les bras croisés sur sa poitrine le recouvrait de ses imposantes ailes.

- Bien. Commençons. Es-tu parvenue à une transformation complète jusqu'à présent ?

- Ça a pourtant l'air visible...

Les zones de son corps touchées variaient avec la nuit de façon totalement hasardeuse et incontrôlée.

- Dans ce cas, nous allons commencer par ça.

Il l'invita à s'approcher du bord de la falaise d'un mouvement de bras.

- Qu'est-ce qui me dit que tu ne vas pas me jeter dans le vide ?

- Rien ne pourra t'en assurer.

- Je vois...

Elle s'en approcha tout de même avec méfiance, scrutant chacun de ses faits et gestes afin d'avoir un minimum de chance de survie au cas où elle devrait parer une tentative hostile à son encontre. Il vint se poster à sa gauche sans aucun regard dans sa direction.

- Et maintenant ?

Les yeux fermés, il ouvrit les bras à l'horizon avant de lui répondre.

- Ecoute le silence.

- Quel silence ? Ça va faire une semaine que ma vie n'est qu'un vacarme incessants.

- Finalement, commence déjà par relativiser cette situation et ensuite, tu écouteras le silence. Préviens-moi quand tu y seras parvenue.

Elle se renfrogna suite à son commentaire et ferma les yeux après avoir longuement fixé le sol sans grand succès. Elle les rouvrit seulement quelques minutes après.

- J'y arrive pas.

- Sois plus précise.

- Comment relativiser de la situation si je n'arrive pas à faire le silence ?

Elle leva son regard vers lui : il n'avait pas bougé, imperturbable. Ses yeux s'ouvrirent sans quitter l'océan malade qui lui faisait face.

- Les deux sont complémentaires. Nous resterons ici le temps qu'il faudra.

* * *

~ Quelques heures auparavant ~

- Qu'est-ce qu'il t'arrive en ce moment ?

- Rien que tu pourrais comprendre.

Elle dénoua le lien qui maintenait le rideau contre le mur pour le fermer au nez de sa mère, qui devenait beaucoup trop intrusive à son goût, et retourner à sa solitude habituelle même si ça ne l'arrêterait pas très longtemps.

- J'ai juste besoin de calme.

- On ne te voit presque plus.

- C'est peut-être mieux ainsi.

- Comment ça ?

- C'est compliqué...

Hayjie s'était détournée de sa mère pour ne pas avoir à faire face à son regard, de peur d'y trouver un sentiment qui pourrait la faire culpabiliser davantage que ce qu'elle l'était déjà.

- Nous pouvons peut-être t'aider ?

- Je ne pense pas que vous pourrez y faire grand chose.

* * *

- Je pense que c'est bon.

- Tu le penses ou tu en es certaine ?

L'homme aigle commença à lui porter un semblant d'attention à ce moment seulement.

- J'en suis certaine.

- Bien. Suis-moi, nous devons parler.

Il l'éloigna de la falaise dans l'idée de s'installer au pied de l'arbre centenaire qui dominait toute l'île avant de reprendre :

- Donc, jamais une transformation complète.

- Comment aurais-je pu ?

- Certaines personnes sont précoces. On m'a donné une semaine pour t'apprendre à te métamorphoser, à voler et à utiliser tes dons.

- Je vois... Et tu viens de perdre une journée à attendre que je fasse le silence.

- C'était nécessaire. J'ai besoin de ta concentration totale. Hayjie. Une concentration totale.

Elle arrêta son geste pour lever des yeux incrédules vers Circa alors qu'elle s'apprêtait à arracher une nouvelle touffe d'herbe innocente et posa sagement ses mains sur ses jambes croisées en tailleur.

- Désolée.

- Il n'y a pas de mal. Peux-tu me donner tes mains et fermer les yeux, s'il te plaît ?

- Pour quelle raison ?

Circa ne répondit pas. Seules ses mains avaient bougé pour se rapprocher de la jeune fille qui se faisait hésitante.

- Hayjie ? Me fais-tu confiance ?

- Pourquoi je le ferais ?

- Pour me faciliter une mission que tu as le don de compliquer davantage à chaque seconde qui passe.

- Tu n'es pas obligé de l'accomplir.

- Ce n'est pas moi qui risque de me faire attaquer par une entité néfaste. Tu veux bien me donner tes mains ?

Cet argument sembla fonctionner même si elle ne posa que le bout de ses doigts dans ceux de l'Esprit.

- Maintenant ferme les yeux et concentre-toi.

Elle s'exécuta sans grande conviction et sans vraiment savoir sur quoi elle devait se focaliser même si cela semblait évident pour Circa. Une étrange sensation de picotements commença à apparaître dans ses mains pour remonter le long de ses bras jusque dans sa poitrine et qui se propagea dans tout le reste de son corps. Malgré ses efforts pour ouvrir les yeux et parler, rien n'y fit, ce qui provoqua une panique qu'elle ne parvint pas à contrôler très longtemps, obligeant l'homme aigle à couper le lien qu'il venait de créer pour lui apprendre à se métamorphoser.

La jeune fille s'éloigna prestement de lui et voyant sa main s'approcher d'elle. Même s'il se voulait rassurant, le résultat en fut que peu concluant.

- Ne me touche pas !

- Tout va bien, c'est fini.

- Qu'est-ce que tu m'as fait ?!

- Rien, j'essayais seulement de t'aider.

- N'essaie plus !

Hayjie continuait de s'éloigner sans jamais quitter l'homme du regard. Ce fut seulement au moment de disparaître derrière la végétation qu'elle estima possible la fuite du lieu en courant pour rejoindre le lac qui lui semblait un refuge idéal, même si cela lui prendrait dix bonnes minutes pour l'atteindre.

Les rives étaient agréablement calmes. Aussi, celle-ci s'y effondra le temps de laisser le stress s'évacuer pendant qu'on lui en laissait la possibilité. Elle plongea ses mains tremblantes dans l'eau claire afin d'en sortir juste assez pour noyer les abondantes larmes qui ruisselaient sur son visage.

* * *

- C'est une mission fastidieuse que nous lui avons donnée.

Astalie observait la scène par le biais du miroir qu'elle avait confié au Messager pour constater des progrès de la jeune fille. Chandra quitta son bureau en entendant la remarque afin de prendre connaissance des évènements, se plaçant à la droite de sa sœur par simple habitude.

- C'est le plus qualifié pour cette tâche. Il aura la patience nécessaire et il saura comment la gérer.

- J'en suis consciente, mais il s'agit d'une responsabilité peu habituelle pour lui.

- Peu habituelle, mais gérable. Souviens-toi de ce qu'il était avant de nous rejoindre.

- C'est vrai. Excuse-moi d'avoir douté.

- Ce n'est rien, c'est un sentiment tout à fait compréhensible.

L'esprit Flamboyant éloigna le miroir d'un léger geste de la main pour en faire approcher un nouveau quand la jeune fille disparut de la falaise. Le nouveau reflet était beaucoup plus flou, mais les sons étaient parfaitement audibles. La clairière qui bordait le lac était calme et agréable. Seule la fine cascade et les quelques animaux de la forêt perturbaient la tranquillité du lieu. Depuis l'Elaïn, Astalie surveillait régulièrement ses déplacements. Si la créature venait à apprendre son existence et son importance, ses jours de vie pourraient se compter sur les doigts d'une main.

Chandra retourna à ses occupations le temps qu'Hayjie réapparaisse dans le champ de vision.

- Nous devrions peut-être intervenir ?

- Je dois travailler et non, nous n'avons pas besoin d'interférer dans sa formation. Maintenant lâche un peu ce miroir, il ne s'y passe rien, et nous avons déjà assez à gérer ici pour nous rajouter une occupation dont quelqu'un se charge déjà.