Nous marchions depuis l'aube, je fermai la marche de la patrouille, nous nous glissions silencieusement dans la forêt extrêmement dense. Mes soldats étaient tendus et stressés à l'approche de la frontière, leurs sentiments à mon égard étaient clairs, l’inexpérience illusoire de mon visage rimait avec une augmentation significative leur chance de blessure. Je portai un uniforme de simple soldat, malgré les apparences, j'étais leur véritable commandant, j’avais atteint le dernier niveau du grade de Chevalier depuis près de neuf ans. Je menai ces cinq Lanthians droits sur le Villyann, je communiquais directement la direction à suivre avec l'esprit du Capitaine qui relayait mes ordres. En silence, je canalisais et diffusais mon énergie pour absorber leur peur pour leur insuffler à la place du courage et de l'amour pour notre peuple.
Nous approchions du moment clé que j'avais vu de nombreuses fois au cours de mes transes, à ce point précis, je voyais pousser d'innombrables branches portantes chacune le fruit d’un avenir différent. Quasiment tous portaient la graine du chaos, seule une graine alimentée à la lumière de la sagesse et avec la chaleur de l’amour permettraient à la race des hommes de survivre. Je ne connaissais pas les étapes intermédiaires, j'avais arrêté rapidement l'étude des rêves dans le monastère de Rongbuk, afin de préparer et de réunir toue les éléments qui faciliteraient la réalisation de mes premiers songes. Je me servais d’un fil conducteur très puissant pour relier le présent à cet avenir, l’Ahimsa était le nom que j'avais donné à ce pouvoir (5). Le peuple Lanthian s'était progressivement séparé de la branche principale de la race des hommes, nous arrivions à un tournant de l’histoire, soit nous arrivons à élever les humains à notre niveau, soit nous nous en séparerions à tout jamais.
La vie d'un animal n'est rythmée que par ses repas, le repos et la reproduction. Ils n'ont quasiment aucune source de divertissement, au contraire les hommes jouissent d'une telle abondance de qualité qu'ils en tombent dans la facilité et le plaisir, la dépendance à ce dernier est notre plus grande faiblesse.
Le roi Vacuité avait décidé d'abandonner les patrouilles tant que la flore et la faune étaient préservées, mon père n’avait pas remis en cause l’ordre de son prédécesseur.
- Capitaine, pourquoi nous dirigeons nous vers la forêt de Sirk en si petit nombre ? demande Henrik.
- Parce que c'est une patrouille de reconnaissance, répondit le capitaine.
- Pourquoi embarque-t-on une novice si proche des lignes ennemies ?
Il me dévisagea, Henrik était le Sergent-chef de notre patrouille, il avait à peu près mon âge et beaucoup d'expérience à son actif. Elin, Karia et Knut quant à eux étaient des soldats de troisième classe entre vingt-et-un et vingt-quatre ans. J’avais l’apparence d’une très jeune femme, soldat de première classe sortant fraichement de l'école. J'avais remarqué que les langues se déliaient plus avec cet uniforme sur le dos qu'avec celui de Chevalier. J'étais plus proche de mes sodats, il me suffisait juste d'écouter pour connaître le fond de leurs pensées.
- Le soldat Althéa restera loin en retrait dans la forêt de Sirk, ne t'inquiète pas, même si elle m'a été recommandée par le Chevalier Douce, je ne prendrais pas le risque de l'emmener au combat sans l'avoir éprouvé moi-même.
- Ce Chevalier Douce est un mythe, tout le monde la connaît, mais personne ne l'a jamais vue, répliqua le sergent-chef.
- Tu penses que c'est moi le Chevalier, dit le Capitaine Oskar sur le ton de la plaisanterie en faisant une courbette et en relevant une robe imaginaire.
L’image du Capitaine Oskar avec une robe fit sourire tous les membres de notre groupe, il était un homme grand, svelte avec des cheveux grisonnants, deux cicatrices étaient gravées sur son visage. Son aspect martial manquait de tendresse ce qui augmentait l’écart avec sa bonhommie naturelle.
- Quel est votre plan Capitaine ?
- En partant tôt, nous arriverons à la partie nord-est de la forêt avant la tombée de la nuit, le soldat Althéa gardera le campement. Nous irons jusqu'à la cote, nous poursuivrons notre chemin vers le sud jusqu'au cours d'eau qui marque la frontière et nous le remonterons jusqu'au nord-ouest de la forêt.
- À quel rythme nous parcourrons toute cette distance demanda le Sergent-chef Henrik.
- Le plus rapidement possible, nous laisserons quasiment toutes nos affaires ici.
- Donc pas de surveillance, juste de l’exploration. Je ne vois pas trop ce que l'on va reconnaitre à cette vitesse.
- Ce sont les ordres du Chevalier Douce, conclut Oskar.
Henrik réprima une réponse, mais il se retint, le ton du Capitaine venait de changer, car il s’agissait d’un ordre donné par un supérieur. Tous les soldats Lanthian se devaient de le reconnaître en un instant, même s’il ne me connaissait pas, il devait obéir. Il faisait confiance au Capitaine Oskar, cette règle était le fondement du commandement, mon maitre le Chevalier Clarté m'avait appris cette leçon alors que je venais à peine de devenir Acolyte du haut de mes onze ans. Le Capitaine et le Sergent partirent finir leur conversation en privé loin du campement.
- N'aie pas peur, on viendra récupérer nos affaires et toi par la même occasion ironisa Knut.
- Ne les écoute pas, dit Karia. Le Sergent-chef peut te paraître dur, mais c'est juste...
- Qu'il ne me fait pas confiance, dis-je en finissant sa phrase. Je n'ai pas peur, je comprends son point de vue. Ce qui compte pour moi, c’est la confiance du Chevalier Douce. Elle m'a choisi, car je suis plutôt bonne dans la voie de la lumière, mais pas assez pour continuer ma formation au centre du Kasteel mais assez pour donner les premiers soins. Elin, j'ai remarqué que tu boitais vers la fin de la journée, puis-je voir ton pied gauche ?
- J'ai une belle ampoule depuis quatre jours, je n'ai pas du bien la soigner, dit-il en retirant douloureusement sa botte. Si tu me la soignes, ça m'évitera d'en attraper d'autres sur le pied droit d'ici demain soir.
Il n'avait pas qu'une seule ampoule, le déséquilibre dans sa démarche dû à la première avait accentué le frottement en créant deux petites ampoules sur les doigts des pieds. Celle qui lui faisait vraiment mal était la plus grosse qui avait éclaté au niveau du talon d'Achille, je posai mes mains de part et d'autre de son pied et projetais mon énergie pour guérir ces blessures cutanées. Je me bornai juste à générer une nouvelle couche de peau très fine, il devait apprendre à protéger ses pieds. Le bandage préventif sur ses pieds était très mal réalisé. Demain soir les ampoules seraient de retour s’il ne faisait pas mieux. je lâchai son pied qu'il se mit à bouger dans tous les sens.
- La douleur a disparu merci Althéa.
- Fait mieux tes bandages, tu devrais déjà connaitre les points à protéger.
- Je me suis déjà fait réprimander à ce sujet, je ne suis pas très doué pour les bandages le matin au réveil, je ne suis pas ce que l'on peut appeler un rapide.
- Tu es laxiste, dit sèchement Karia. Si tu n'arrives pas à les faire le matin, alors tu les fais le soir avec de te coucher, je suis sûre que tu le sais.
Il baissa la tête et commença à chercher dans son sac le nécessaire de soin. Il perdit un temps énorme, car son sac était très mal fait. De telles erreurs seraient rédhibitoires dans la haute montagne. Le Sergent était revenu s’enroulant immédiatement dans sa couverture. Knut et Karia l'imitèrent pendant qu’Elin commença à soigner ses pieds.
- Soit plus patient sinon le bandage ne tiendra pas, le temps est notre allié, dis-je.
- En plus je le sais. Tu as failli devenir officier, c'était comment ?
Il était le plus jeune de notre groupe.
- Au cœur du Kasteel, ils forment des gens pour diriger notre société. Nous apprenons en premier qu’il est important de montrer l'exemple en apprenant les tâches les plus basiques comme les bandages.
J'ôtai mes bottes et lui montrais mes propres bandages sur mes chevilles.
- Je n'étais pas assez doué dans la magie de notre peuple pour devenir Acolyte, mais j'y ai appris tellement de choses qu'il ne suffirait pas d'une seule nuit pour tout te raconter. Soigne tes pieds d’abord.
Je coupais court à son questionnement en m'enroulant à mon tour dans ma couverture.
Mais la vérité était tout autre. Ils étaient capturés et relâchés dans les iles du nord. Les différents clans amis du peuple Lanthian les accueillaient. Si leur désir le plus profond était de rentrer chez eux, nous les y renvoyons en leur effaçant la mémoire au préalable, il ne devait leur rester aucun souvenir de notre peuple.
Dans la grande majorité, ils adoptèrent notre mode de vie. Un accord avec les clans des iles du Nord avait été conclu par le Chevalier Prudent, près de cinq siècles plus tôt. Ils arrêtaient les actes de piraterie, et surtout ils se chargeaient de surveiller leurs propres clans qui ne respecteraient pas cet engagement, en échange nous leur prêtions des terres cultivables dans notre royaume. Le manque de terre arable et la rigueur du froid empêchaient quasiment toute culture, beaucoup d’entre eux restèrent et se marièrent aux Lanthians.
Les autres repartaient chez eux en paix. Nous avions beaucoup de règles, le chemin pour avoir une descendance avec un Lanthian que cela soit avec une femme ou un homme pouvait paraitre d’une extrême complexité. Un grand nombre pensait que l’amour et le désir s’en trouvaient tués dans l’œuf, mais il s’agissait paradoxalement de son contraire. Il fallait arriver à générer beaucoup d’amour pour y englober tout un peuple et tout le monde n’y parvenait pas ou n’avait pas la volonté nécessaire pour y arriver. Quelques Lanthian ont fait le cheminement inverse en suivant ceux qui repartaient, en laissant derrière eux, la capacité d’user de notre pouvoir. Dans l’ensemble nous avions trouvé un point d’équilibre dans nos échanges avec la plupart des clans des iles du nord.
Par les yeux de Frère, je vis qu’il s’était enfin regroupé, ils s’étaient procuré des nouvelles montures moins rapides, mais surtout moins reconnaissables. À la nuit tombée, il piqua droit sur leur campement, il déposa deux rongeurs qu’il venait de tuer en signe de paix. Il dormait sur une branche au-dessus d’eux. Je serais toujours étonné de cette capacité qu’ont les animaux de dormir les yeux ouverts. Ils pouvaient pour la plupart conserver un état de conscience dans un des hémisphères du cerveau pendant que l'autre était en état de veille. Cette fois-ci, il s'était retiré dans un recoin de son esprit en me laissant le soin de surveiller, la nuit se passa sans encombre. Au petit matin, les deux groupes de part et d'autre de la forêt se remirent en route sans moi. Une fois m patrouille hors de vue, je commençai à regrouper leurs affaires et pressais le pas vers la frontière, j’avais pris le soin au préalable d’ôter mon armure et mon uniforme que j’avais rangés dans mon sac. J’avais revêtu une tenue de camouflage vert et marron et je m’étais recouverte tout mon visage de boue. Peu après l’heure du déjeuner, je traversais le petit fleuve qui matérialisait la frontière, tous les villages limitrophes avaient été progressivement abandonnés depuis l'arrêt de tous les échanges entre nos deux royaumes.
J'avais par le passé reconnu plusieurs chemins possibles pour traverser la forêt, une grande route avait été construite, elle était enjambée par quatre grandes tours de garde qui étaient garnies continuellement par aux minimums trois archers. Elles interdisaient l'accès à dos de cheval par de massives portes en chêne. Il y avait aussi des sentiers étroits qui sillonnaient toute la forêt, j’avais compté douze postes d'observation. Chaque défense avait ses points faibles. Par cinq fois déjà, j'avais traversé cette forêt, j'avais établi une carté précise des lieux en recoupant mes observations à celles d'autre sentinelle.
Aujourd’hui, je devais faciliter celle de quatre hommes, mon frère ailé les guiderait jusqu'à moi. En neutralisant deux postes d'observation, j’ouvrirais une brèche suffisamment grande pour permettre au groupe du Prince de pénétrer dans notre royaume. Je progressai rapidement avec l'esprit projeté devant moi, je ne détectai qu'une seule âme humaine à proximité. J'approchai enfin du premier poste d’observation, il était à moins d'une dizaine de mètres. Une petite cabane était fixée et dissimulée sur un grand arbre à trois mètres au-dessus du sol.
Je focalisai mon pouvoir sur l'homme, sa méfiance était amoindrie, une surveillance visuelle continue générait beaucoup d'ennuis. Je m'enroulais lentement autour de son esprit pour le persuader qu'il pouvait sans aucun risque s'allonger quelques minutes et que ce repos améliorerait grandement ses capacités de surveillance. Le temps qu'il se dirige vers sa couchette, je venais déjà de me rapprocher de l'échelle, je grimpais avec précaution tout en facilitant son ensommeillement par l'emprise mental que j'avais sur lui. Je posai le pied dans la cabane, au moment où il tomba dans l'inconscience, je me précipitais vers lui pour l'attacher et le bâillonner à son lit de camp. Je répétai l'opération au deuxième poste d'observation moins d'une heure plus tard, je ne pouvais me séparer de l'idée qu'il s'agissait d'un plan de médiocre qualité de la part de notre adversaire pour repérer les intrus.
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