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tome 4, Chapitre 13 tome 4, Chapitre 13

Avec timidité, Florentin toque à la porte du bureau de son employeur.

- Vous désirez?

- Je dois vous parler de votre fils...

L'homme soupire et lui fait signe d'approcher d'un geste agacé.

- Il ne travaille pas, c'est cela et vous en avez assez de tenter de lui inculquer quelques notions de musique.

- Il fait de son mieux mais la musique ne l'attire pas, le dessin par contre l'intéresse, il a un certain talent si j'en juge par les dessins qu'il m'a montré. Je vais être honnête, il n'a aucune disposition pour la musique, vous n'en tirerez jamais rien. Mais si vous savez encourager son aptitude pour le dessin, vous...

Le violoniste ne sait comment continuer et il quête l'approbation du père de son élève.

- C'est entendu, je lui trouverai un professeur de dessin. Vous nous quittez, j'imagine?

- En effet, j'ai été heureux d'enseigner ce que j'ai pu à votre fils mais je me dois de reprendre la route.

- Bien, je vais m'occuper de vos gages, repassez me voir en quittant les lieux; je parlerai à mon fils et je ferai ce que je juge le mieux pour lui. Merci de votre aide!

Le violoniste rejoint sa chambre où il réunit ses affaires avant de partir à la recherche de son élève qu'il trouve en train de lire dans la bibliothèque.

- J'ai parlé à ton père, je crois qu'il a compris et qu'il te trouvera un professeur de dessin.

-Tu t'en vas, toi aussi ? demande l'enfant dont les yeux s'emplissent de larmes.

Emu jusqu'au tréfond de son âme, Florentin l'attire à lui et ils restent un long moment enlacés tandis qu'Hugo laisse libre cours à son chagrin.

- Ecris-moi! Je ne sais pas si je pourrais toujours t'indiquer où je me trouve car je vais beaucoup voyager mais je te promets de ne pas t'oublier. Je dois partir mais nous nous reverrons un jour, je t'en fais la promesse.

Après quelques jours d'errance par un froid mois d'octobre, Florentin trouve une auberge où il s'installe le temps de retrouver une place. Seul dans sa chambre, le jeune homme fredonne, il laisse la musique l'envelopper et matérialiser les sentiments venus du fond de son âme. Assis dans l'eau chaude de son bain, il laisse la chaleur détendre ses muscles ; les yeux dans le vague, il rêvasse.

- Une chambre d'auberge anonyme. Aurais-je un jour de nouveau un foyer ? songe-t'il.

L'image d'un chat noir qui l'observe dans un appartement désert d'un autre siècle le traverse mais il ne parvient pas à la retenir suffisamment longtemps pour s'en imprégner et en garder le souvenir.

- Je devrais m'établir quelque temps dans une grande ville mais la vie y est chère. Peut-être que si je travaille beaucoup en économisant autant que possible, je pourrais avoir le pécule nécessaire pour rejoindre Versailles durant quelques temps. Le temps de me faire connaître dans la capitale, accumuler un petit pécule. Puis je reviendrai chez moi avec suffisamment de ressources pour me créer une situation stable.

Il médite sur ce projet et il décide de se rendre en ville dès le lendemain à la recherche d'un emploi qui l'occupe quelques heures par jour lui permettant de subvenir à ses besoins en lui laissant ses soirées libres pour composer et trouver des contrats. Après quelques jours à arpenter les rues de la cité, Florentin trouver un emploi de commis chez un notaire.

- Bien, monsieur Leroy. Votre travail consiste à mettre au propre des décisions de justice et des éléments à joindre aux dossiers de ses clients, lors de notre entretien, je me suis assuré que vous avez une jolie écriture, une bonne syntaxe et une orthographe irréprochable lors des petits exercies que je vous ai fait faire. De plus, vous recevrez les honoraires des clients, c'est simple, vous leur remettrez un récipissé, vous mettez l'argent dans le coffre et vous notez sur le livre de compte l'entrée d'argent, je m'occuperai du reste. Je vous montrerai tout cela, ne vous inquiétez pas. Vous devrez rédiger les lettres de relance, c'est un travail fastidieux, j'ai des modèles de texte quelque part, sans fautes et sans ratures, le papier coûte cher, je ne vous apprends rien, pas de gâchis ou vous trouverez une autre place.

Florentin acquiesce et il se met au travail après que son employeur lui ait expliqué comment exécuter ces travaux. Après quelques jours de travail, le musicien sent que ce travail l'ennuie et ses pensées vagabondent en musique vers d'autres horizons.

Au fil des jours, il se rend compte qu'il enjolive sa musique d'ornementations qui ne lui sont pas familières et qu'il exprime ainsi l'ennui qui peuple ses journées lui laissant peu le loisir de s'adonner à la musique mais il rogne sur ses heures de sommeil pour jouer. Après quelques errances dans les quartiers occupés par les artistes, il trouve à recopier des partitions pour d'autres musiciens, tâche qu'il exécute avec soin, lisant la partition comme un livre ouvert en recopiant pour son propre usage les parties qui lui semblent intéressantes à retravailler sur le plan technique ou comme inspiration pour de futures compositions. Forcé de délaisser ses propres compositions, il se sent devenir nerveux et moins patient mais il sait qu'il n'a guère le choix et au fil des jours, il rogne un peu plus sur ses heures de sommeil pour se ménager du temps pour son usage personnel.

Sur les conseils d'un artiste rencontré dans une taverne, il s'achète un oracle et il tire les cartes pour lui-même dans l'espoir de trouver des réponses sans succès.

- Tu deviens superstitieux, mon vieux. Tu sais bien qu'il y a autre chose, des choses impalpables et invisibles mais de là à espérer deviner l'avenir à partir de morceaux de carton peints sans queue ni tête...

Après quelques semaines, il revend son oracle avec hésitation, bien conscient que son passé recéle quelque secret qui lui échappe et il se rend dans les tavernes, autour des tables de jeux bruyantes et animées. Il y rencontre parfois des artistes et ils parlent de leurs arts respectifs tandis qu'il perd son l'argent autour des tables de whist mais il sait que cette socialisation forcée avec ses pairs est nécessaire pour se faire connaître et accéder à de nouveaux horizons.

xXxXx

- Je perds mon temps ! se dit-il en relevant la tête.

Le notaire est au tribunal pour plaider une affaire et il est seul dans le grand bureau. Le jeune homme a passé toute la matinée à mettre au propre des actes divers et variés en prenant soin de ne pas souiller les feuillets de taches d'encre ou de traces de doigt. Excédé, il se lève pour classer les documents dont l'encre est sèche en chantonnant profitant de l'absence du maître des lieux qui n'aime pas les distractions. Il sait qu'il a besoin d'argent pour vivre mais il est bien conscient qu'il ne pourra pas exercer un emploi loin de son art bien longtemps.

- J'ai essayé par le passé... songe-t'il avant de froncer les sourcils.

Florentin descend de l'escabeau sur lequel il était monté pour descendre des caisses poussiéreuses pleines de dossier et il réfléchit tout en prenant garde à ne pas blesser ses doigts par un geste malencontreux.

- Pourquoi ai-je dit cela ? Je n'ai jamais passé mes journées à classer des dossiers, j'en suis certain. s'étonne Florentin à mi-voix.

Le souvenir lui échappe et il hausse les épaules avant de reprendre son travail en chantonnant une ballade.

- Je pars à la fin de l'année, tant pis pour l'argent, je me débrouillerai mais j'étouffe et je ne peux rester bien longtemps ici. Mes mains me démangent, mes doigts jouent d'eux-même, cherchant mon instrument. Ce n'est pas pour moi.

Un peu soulagé par sa décision, il se remet au travail en comptant le nombre de jours qui le séparent de sa délivrance.

Octobre s'achève suivi par un morne mois de novembre et un froid mois de décembre. L'artiste économise sou par sou afin d'acheter sa liberté future et il accepte à contrecoeur les heures supplémentaires que le notaire lui propose afin de mettre en ordre ses dossiers d'ici la fin de l'année. Lorsqu'il annonce sa démission, il sait qu'il doit à tout prix retrouver un autre emploi rémunéré avant que ne fondent ses économies sous peine de basculer dans l'indigence mais au fond de son coeur, il sait qu'il a fait le bon choix.

Il est las de retrouver ses dossiers dérangés alors qu'il est certain de les avoir classés avec soin quelques heures plus tôt ou d'entendre un rire derrière lui sans jamais voir personne tandis que flotte une légère odeur de cigare.

- Je suis un monstre, une chose contre-nature ou je suis fou. Peu importe, ce soir, j'irai jouer à la bassette à la taverne et boire une bière pour me changer les idées. Demain, demain sera un jour nouveau.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 23 avril 2022 à 15h41
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