Le mois d'août pointe son nez lorsque Florentin décide de rentrer de plier bagages pour rejoindre sa ville natale.
- J'ai besoin de retrouver l'inspiration et de fuir l'air vicié de la capitale. Le voyage sur des chevaux de louage sera long et épuisant mais cette fuite m'est nécessaire.
Sans un mot de protestation, son employeur lui donne son solde et lui indique la porte d'un geste navré. L'artiste comprend que le gérant se sent trahi mais il ne tente pas de faire entendre son point de vue et il se dirige en hâte vers un loueur de chevaux.
Après plusieurs jours de chevauchée, le violoniste arrive enfin en vue de sa ville natale et son cœur se serre dans sa poitrine tandis que les souvenis affluent. Il erre un moment dans les rues qui lui semblent familières même si elles ont changé en son absence avant de se décider à chercher à se loger dans la première auberge bon marché qu'il trouve sur sa route. Les larmes aux yeux, il laisse ses doigts courir sur les cordes de son instrument durant de longues heures sans parvenir à exprimer ses émotions contradictoires.
- Non, ce n'est pas ça. murmure-t'il. J'ai cet air en tête de manière diffuse mais je n'arrive pas à retranscrire les notes. Tant pis, ce sera un air inachevé de plus.
Il va se promener pour se calmer et il flâne un moment en s'interrogeant sur la voie à suivre.
- Je dois mettre en valeur mes talents, c'est la bonne voie, je crois.
Cette idée en tête, il inscrit sur une feuille de papier ses atouts et ses faiblesses dans le secret espoir de trouver une solution à sa situation inextricable. D'une main fébrile, il relit le papier avant de le ranger dans son sac en soupirant.
- Je suis créatif, j'ai une grande capacité de travail et mon corps se plie volontiers à ce que je lui demande de faire. Mais ce n'est pas suffisant, je n'ai pas de relations utiles, c'est ce qui bloque ma carrière mais qu'importe, je trouverai une solution. Il est temps que j'affronte le monde et que j'ose me montrer. Mais pour cela, il me faut un certain nombre de morceaux de ma création que je maîtrise à la perfection adaptés à mon instrument. Je me donne trois mois pour cela puis je monte à Versailles pour tenter ma chance !
Pour ne pas renoncer à sa résolution, il écrit derechef à Léopold en lui annonçant son arrivée dans la capitale sous trois mois.
Les semaines suivantes, il établit un emploi du temps drastique pour travailler sur ses compositions tout en profitant des fins d'après-midi pour se promener dans la ville qu'il aime tant, il finit toujours par passer devant ce qui fut la demeure familiale et il reste un long moment le cœur serré et les larmes aux yeux au souvenir de ce qu'il a perdu avant de se rendre dans le lieu du dernier repos de ses parents à qui il parle durant de longs dialogues murmurés.
Un matin, il remarque le soleil à la fenêtre et il décide de profiter des derniers jours de l'été en se morigénant de sa distraction car il n'a pas vu les semaines passer.
- Et si... Et si je m'appropriais les airs traditionnels pour les adapter au classique ou au baroque... Je dois bien arriver à quelque chose d'intéressant à présenter à Versailles. songe-t'il en passant devant un joueur de rue à qui il jette une pièce d'un air distrait.
Le soir venu, il se rend dans une fête paysanne pour recueillir des airs qu'il retranscrit, assis dans un coin sous les regards curieux des danseurs pour garder des traces de ce qu'il a entendu. Il recommence à plusieurs reprises durant la semaine et il reste assis dans un coin avec ses feuilles avant d'aller parler aux musiciens présents.
Au fil des jours, il s'exerce à jouer les airs recueillis et lorsqu'il se montre satisfait de son travail après quelques semaines d'entraînement, il décide de commencer à les retravailler pour les présenter au public dans des soirées privées de la capitale. Des heures durant, il écoute le violon chanter et il sélectionne les airs qui conviennent le mieux à son timbre un peu sourd. Durant un mois supplémentaire, le jeune homme s'enferme dans une chambre d'auberge bon marché pour travailler puis il monte à Versailles pour présenter ses créations. Ses seuls revenus proviennent de fêtes où il joue dans les villes alentour avec d'autres musiciens et il commence à manquer d'argent.
- Je suis fou mais je sais que je dois tenter ma chance, j'y crois, j'ai une chance. Et même si j'échoue et que l'on se moque de moi, on se souviendra de moi. J'aurais au moins gagné de la notoriété.
En ce jour d'octobre, Florentin ouvre la fenêtre par une journée ensoleillée. Le ciel est bleu malgré le froid hivernal et il lui semble que le monde lui tend les bras, prêt à l'accueillir.
- Je suis prêt ! Je suis venu ici pour une raison, je dois faire ce que je suis venu faire ici. se murmure-t'il avant de sortir, son instrument sous le bras.
Après quelques minutes de marche, le violoniste se trouve face au château qu'il a vu maintes fois en rêve. Il sait que sa destinée va prendre un tournant et il commence à jouer d'abord en sourdine puis avec plus d'assurance. Il s'attend à tout instant à ce que les gardes le chassent puis il oublie où il se trouve, seule la musique l'enveloppe et il s'arrête au bout de quelques minutes épuisé de sa prestation. Lorsqu'il reprend contact avec le monde réel, il remarque la foule des badauds et quelques courtisans qui rejoignaient sans doute le palais autour de lui. Il sourit en voyant les chevaux des courtisans caparaçonnés d'or et de broderies puis il salue avant de ranger son instrument.
Ce jour-là, à la cour, on ne parle que de l'étrange musicien au violon noir mais Florentin qui nettoie l'ébène vernie de son instrument ignore tout des commentaires qu'il a suscité. Il sourit au souvenir d'avoir joué devant Versailles à défaut d'avoir joué dans le château. Cette nuit-là, il rêve qu'il se trouve à Versailles dans la galerie des glaces en compagnie d'un couple vêtu d'étrange manière mais au réveil, il n'en garde qu'un vague souvenir.
Chaque soir, lorsqu'il n'a pas de contrats, le violoniste frappe aux portes des quartiers bourgeois pour se faire connaître dans l'espoir qu'il manque un violoniste pour la soirée mais la concurrence est rude et la chance ne lui sourit pas. Le froid commence à se faire sentir et il maudit sa condition de musicien errant.
- Que dois-je faire pour changer ma vie ? Où aller et à qui aller demander de l'aide ? soupire-t'il en rejoignant sa petite chambre.
Il travaille durant de longues heures lorsqu'il ne compose pas et il songe souvent qu'il gagne sa vie à faire ce qui lui plaît malgré sa position précaire. Il sent que son niveau de jeu s'améliore grandement depuis qu'il a plus de temps pour travailler au quotidien.
- Le travail salarié est l'ennemi de l'art en toutes choses. constate-t'il avec amertume en songeant avec douleur à ce qu'aurait dû être sa vie grâce à la fortune familiale.
Par un soir pluvieux, alors qu'il joue pour lui-même dans un petit théâtre pour accompagner un petit opéra monté à la hâte, un acteur vient le voir à la fin de la prestation.
- Quelqu'un veut te voir... Il attend dans le petit salon, tu sais celui on a dîné.
- Merci, je finis de ranger mes affaires et j'y vais. Au revoir et bonne continuation, ce fut une expérience intéressante. Dommage qu'elle n'a pas duré plus longtemps.
Florentin regarde le vieil homme distingué qui lui fait face dans son costume de mousquetaire d'opérette et il le salue. Il se rend dans le petit salon après avoir rassemblé ses affaires et il se trouve face à un très jeune homme qui le salue.
- Je suis le marquis de Ballerin et le roi vous fait rechercher comme vous ne l'ignorez sans doute pas.
Le violoniste ouvre la bouche à la recherche d'une accusation qu'on pourrait lui reprocher mais il comprend qu'il s'agit certainement d'une erreur.
- Monsieur le marquis m'en voit désolé mais je ne suis certainement pas la personne que vous cherchez, je ne suis qu'un musicien anonyme sans titre et sans fortune. A moins que je n'ai offensé quelque personne bien envue mais c'est bien involontairement, soyez-en assuré !
Nerveux, il guette les bruits qui annonceraient l'arrivée de gardes mais il n'entend rien de tel et il commence à se rassurer.
- Sa majesté vous a entendu jouer et elle souhaite vous rencontrer. continue l'homme, un lueur d'amusement dans les yeux.
- Il ne s'agit que de cela, j'avais craint avoir commis un impair à l'insu de ma volonté.
- Sa majesté se doit de protéger les artistes de talent, vous le savez. Elle vous fait remettre cette bourse par mon intermédiaire et elle vous commande de continuer à travailler à la gloire de notre royaume.
Le jeune homme rougit et il bafouille un remerciement en prenant la bourse qu'on lui tend.
Cette récompense inattendue lui donne une soudaine renommée et le musicien est très demandé partout dans Versailles. Il passe ses nuits et ses journées à courir d'un endroit à l'autre mais si ce succès inespéré et il ne l'ignore pas sans doute éphémère lui est agréable, cette situation devient rapidement étouffante. L'idée d'une tournée européenne l'obsède et il commence à nouer des contacts et à s'intéresser d'un peu plus près aux compositeurs étrangers contemporains. Nourri de ces influences variées, le musicien compose des airs nouveaux et il se rend aux concerts donnés par ses homologues de passage dans la capitale souvent peu connus avec qui il a parfois le privilège de nouer des contacts. Ils passent des heures à parler musique dans des salons et les auberges où ces visiteurs logent et il se sent à sa place pour la première fois depuis bien longtemps. Son violon si reconnaissable accroît encore sa renommée et bientôt les musiciens les plus prestigieux veulent entendre cet instrument unique en vue d'une collaboration future s'il continue à voir sa renommée s'étendre. Florentin s'exécute de bonne grâce et les éloges qui pleuvent lui font espérer un avenir radieux. Des musiciens plus doués et renonnus que lui lui donnent des conseils et souvent en fin de soirée alors que verres et assiettes sont vides, il se retrouve à travailler sa technique avec eux et il sent qu'il s'améliore tant musicalement qu'en composition.
Peu à peu, Florentin redécouvre la richesse grâce à de généreux pourboires, il se ruine en vêtements surchargés de broderies et de perles, en dîners fins et surtout, il profited'être dans la capitale pour commencer à s'entourer d'artistes en vogue.
Un soir, alors qu'il est au théâtre, le jeune homme se dit qu'il s'ennuie et qu'il eut mieux valu choisir un opéra dans l'espoir d'entendre une musique un peu plus raffinée mais tout le monde parle de cette pièce et l'entrée est fort dispendieuse, aussi il reste jusqu'à la fin malgré son ennui profond. Il écoute les spectateurs rire et parler autour de lui tout en tentant de profiter du spectable et il regrette de ne pas être resté dormir ou travailler. Il rejoint son logement, pensif. Le lendemain, il va voir le directeur du théâtre qui lui trouve un emploi de remplaçant ce qui lui convient bien, il sait qu'il aura toujours la liberté de refuser. Il profite des partitions qui ne lui plaisent guère car trop simples à son goût pour tenter d'en faire jaillir toute l'émotion qu'il peut sans grand succès, il en profite pour améliorer sa technique et s'amuser à jouer de son archet pour que ce travail ne soit pas vain. Dans le théâtre, Florentin regarde les techniciens s'activer. Il ne sait pas où se mettre et il sort sa partition pour se donner bonne contenance. Il doit jouer durant cette soirée pour remplacer le violon soliste et il n'a pas eu le temps de répéter mais il ne pouvait pas refuser une telle aubaine d'autant plus que la partition lui a plu. Une voix de cristal s'élève et il se tourne vers elle. Dans la lumière des bougies, une jeune fille à l'épaisse chevelure de feu chante un air mélancolique. Il ne peut s'empêcher de la détailler et de se dire qu'elle est belle. Lorsque son tour vient, il la croise et il ne peut se retenir de lui sourire. Il joue durant quelques minutes sur un violon qu'on lui a prêté car le timbre du violon d'ébène ne convenait pas à ce qu'on lui demande d'exécuter. Lorsqu'il sort de scène, il cherche partout la jeune fille qu'il retrouve dans la loge commune réservée aux femmes, il la regarde se démaquiller par la porte entrebâillée et il hésite à demander à lui parler quand on lui tape sur l'épaule.
- Vous vouliez voir quelqu'un ? lui demande un de ses collègues d'un jour.
- Oui, la chanteuse rousse, j'ai oublié son nom. Anthéa, je crois ? bafouille le musicien en sentant le feu gagner ses joues.
- Je vais lui faire passer un billet, tu pourrais l'attendre derrière le théâtre ? Elle n'en a pas pour longtemps, attends-la à la porte de service tu sais, par là où on sort souvent.
- Oui, je vois. J'attendrai.
Durant les trois semaines suivantes, Florentin passe beaucoup de temps avec Anthéa, ils parlent théâtre et musique, le jeune homme commence à lui composer un opéra lorsqu'il se rend compte que cette amourette ne comble pas son cœur.
- Je suis désolé mais notre histoire n'a pas d'avenir, tu comprends ? Je suis amené à un brillant avenir et une actrice n'est pas... une relation appropriée. Je peux quitter les lieux du jour au lendemain en te laissant un simple billet et j'aspire à une position sociale plus élevée.
- Je comprends, vous êtes comme les autres. dit la jeune femme en refermant un peignoir autour d'elle. Je ne suis qu'une actrice de bas étage, je ne suis pas assez bien. Moi aussi, je voudrais m'élever, je voudrais être reine de France, tu vois, mon mignon. Mais je ne suis pas bien née, je ne sais que chanter et je suis plutôt jolie, je dois en profiter avant que ma beauté ne se fâne. dit Anthéa avec un sourire ironique avant de se tourner vers Florentin, le menton levé. Sortez, je ne veux plus entendre parler de vous.
Le violoniste ramasse son chapeau et il contemple un moment l'épaule ronde et blanche de la jeune fille qui ramène son peignoir autour d'elle. Il sait qu'il a fait le bon choix mais il s'en veut de s'être laissé aller à cette amourette.
- Bonne chance, Anthéa.
La jeune fille ne répond rien et Florentin se hâte de quitter les lieux.
Fort des conseils obtenus auprès des ses confrères, Florentin teste les limites de son instrument. Son archet tord les cordes toujours plus vite et plus fort, puis à d'autres moments le plus lentement et légèrement possible. L'oreille tout contre les d'argent cordes, il évalue les sons nés de l'instrument de haut en bas sur chacune des quatre cordes tendues dans l'espoir d'en percer les secrets et de connaître l'intimité de leur secret et il apprécie les évolutions des sons produits durant ses longues séances de travail quotidiennes. Il profite de la bonne santé de ses finances pour s'offrir une pochette et le petit instrument à cordes lui donne plus de liberté pour jouer à sa guise à toute heure de la nuit. Il s'intéresse de près aux possibilités de cet instrument qu'il estime valoir mieux qu'être utilisé pour marquer les pas de danse dans les salons et il passe des jounées entières à jouer sur l'instrument à corde miniature pour mieux s'imprégner du son qu'il produit.
- Flo, je sais bien que tu cherches toujours à mettre de l'argent de côté et j'ai appris par une connaissance que l'on cherche un professeur de violon. La rémunération est correcte, je l'ai su parce que l'on m'a proposé la place. lui dit un collègue dans une soirée. Tu m'as dit que tu avais des projets, tu auras un revenu régulier et tu n'auras pas de frais d'hébergement ou de nourriture.
- Je serais un domestique?
Son interlocuteur hausse les épaules en se reservant de la bière.
- Tu auras un revenu stable, tu seras professeur, nourri, logé et payé correctement. Tu m'as déjà dit que cette fonction t'ennuie mais je pense que c'est un sacrifice nécessaire à tes projets futurs. Tu peux n'y rester que quelques mois le temps de t'enrichir à ta guise.
Le violoniste se plonge dans le regard interrogateur du peintre sans le sou avec lequel il a sympathisé au fil des mois et il n'y lit que de l'envie et la jalousie. Florentin plonge le nez dans son gobelet en réfléchissant à ce qui servira le mieux ses plans de carrière. Il songe qu'avec un revenu stable, malgé des horaires contraints, il pourra travailler à sa convenance.
- Il a quel âge ? interroge le violoniste dans un soupir résigné. D'ailleurs, est-ce un garçon ou une fille?
- Entre treize et quatorze ans. Un garçon, je crois mais est-ce important?
D'un geste de la tête, le muscien fait signe que non et il n'attend pas la réponse à sa question pour annoncer sa décision.
- J'irai dans ce cas, je n'ai guère le choix de toutes manières si je veux un peu de stabilité dans ma vie. Je vous paie ma tournée et je vous fais mes adieux dans l'hypothèse où la place me convienne et où je sois pris !
Le lendemain, il loue un cheval et le froid de ce mois d'octobre lui fait prendre conscience qu'il ne peut rester sans emploi stable pour la saison qui commence.
- Et si je n'ai plus les moyens de me loger et de me nourrir? Si je meurs de froid ou de maladie? Mes compagnons ont raison, je dois me montrer raisonnable et trouver un emploi stable. C'est bon pour eux d'aller de soirées en soirées pour gagner tout juste de quoi vivre de leur art mais j'aspire à plus. Un revenu stable, un jour, je l'espère.
Lorsque Florentin pénètre dans la cour après une longue chevauchée, il reste un moment devant la bâtisse blanche.
- Oui, cet endroit me plaît, je crois bien que c'est ce qu'il me faut pour passer l'hiver. Ensuite, je verrai bien mais je dois faire tout mon possible pour être pris quoi qu'il en coûte.
Son estomac se tord à l'idée qu'il souffre de la faim et du froid, il ne peut s'empêcher de se voir grelotter de froid sous le porche d'une église inconnue et il serre les dents en se jurant qu'il obtiendra cet emploi et qu'il sera au chaud et à l'abri pour l'hiver.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2836 histoires publiées 1285 membres inscrits Notre membre le plus récent est Fred37 |