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tome 4, Chapitre 9 tome 4, Chapitre 9

Le lendemain matin, il joue un long moment pour chasser les brumes de son cauchemar, la musique l'emplit d'une paix profonde et il prend un solide petit-déjeuner.

- Je sais que je dois m'y prendre autrement mais je ne sais pas quoi faire. soupire Florentin en s'observant dans le miroir. J'ai vingt-six ans et demie, je suis plutôt joli garçon, je pourrais trouver une femme qui travaille ou une rentière ce qui me permettrait de m'adonner à mon art mais ce ne serait pas honnête, j'y répugne, comment puis-je seulement laisser cette pensée m'effleurer. Je n'ai pas été éduqué ainsi, je dois travailler plus dur encore mais combien de temps? Si à quarante ans, je n'ai pas rencontré le succès, je me résignerai à un travail ennuyeux et à n'avoir le violon que pour loisir même si cela signifiera la mort de la seule chose qui fait palpiter mon âme et battre mon cœur.

Mais comment faire pour m'assurer des revenus stables ? En attendant que la fortune me sourie.

Le violoniste fouille dans ses partitions, les partitions inachevées qu'il a mises de côté jonchent le sol et il hésite un long moment, pesant le pour et le contre. Assis en tailleur sur le plancher, il reste un long moment les feuillets en main. Avec un geste las, le jeune homme les jette au fond de la pièce où elles s'éparpillent. Le violoniste lève les yeux au ciel et il se lève en soupirant pour ramasser ses créations. Il les examine en s'asseyant sur le lit et il hausse les épaules en se disant qu'il y a peut-être quelque chose à en faire. Jusque tard dans la journée, il joue ses morceaux, annotant les partitions pour mettre en valeur les mesures qui lui semblent intéressantes. Il hésite puis il sort pour acheter un carnet où il les reporte en se disant qu'ils peuvent servir.

- Il y a un feu d'artifice ce soir à Versailles. dit Gabrielle en entrant sans frapper.

- Et? marmonne Florentin sans lever les yeux de la partition qu'il lit.

- Un spectacle gratuit à Versailles sans invitation ouvert à tous, cela ne se refuse pas.

- Tu as raison, je pourrais rencontrer du monde qui serait utile pour ma carrière.

- Ou juste oublier ton travail pour une soirée et t'amuser? Comme un enfant?

- Il n'y a pas d'enfants à Versailles, ils sont confiés à des nourrices. Sauf les enfants de la famille royale et je suppose, les compagnons de jeu qu'on leur accorde. répond son ami en la regardant.

Les bras croisés, la jeune femme attend qu'il se lève sans dire un mot. Avec un soupir, voyant qu'elle ne s'en va pas, Florentin comprend qu'il n'a pas son mot à dire et il lui demande l'attendre dehors le temps qu'il se débarbouille.

Vêtu d'un habit noir brodé d'argent, il suit ses amis jusque dans les jardins du palais et il jette un œil autour de lui dans la lueur des torches qui les entourent.

- La mode a encore changé récemment, je ne peux me ruiner pour la suivre et je n'en ai aucune envie car je n'y vois aucune utilité mais si je veux me faire une place dans ce monde, Des modifications mineures suffiront peut-être? Un liseré de dentelle et quelques rubans pour donner l'illusion que les manches sont plus longues qu'auparavant.

Il croise d'anciens clients qu'il salue et il leur glisse qu'il est débordé de travail car il est en pleine composition. Lorsqu'il comprend que son travail est attendu par son public, il rentre chez lui et il s'enferme pour se plonger dans le travail.

- Nous vous voyons rarement par ici.

Florentin relève la tête de son assiette et il regarde la jeune fille qui lui fait face en souriant. Il note qu'elle la dévore des yeux et il rougit , gêné de cette marque d'intérêt.

- Je voyage et je me suis arrêté en chemin pour manger, je ne tarderai pas à repartir. Pour être franc, vous êtes charmante mais votre intérêt m'importune. dit-il en souriant.

La servante salue de la tête avant de se détourner, faisant mine de n'avoir pas entendu et Florentin se demande s'il n'aurait pas dû profiter de l'occasion.

- Je veux trouver la gloire et la fortune mais il est vrai que je néglige mes amours. Quelle femme voudrait de moi de toutes manières? Je n'ai pas de situation stable., pas de famille, personne ne me connaît. Si mes parents avaient vécu, j'aurais épousé Victoire et....

Florentin se lève et il quitte la taverne après avoir jeté quelques pièces sur la vieille table de bois polie par les ans et les coudes des buveurs.

De retour chez lui, il s'attable et il sort son nécessaire d'écriture.

" Chère Victoire,

j'espère que vous vous portez bien. Je suis toujours à Versailles et..."

La plume reste en suspens au-dessus du courrier et Florentin sent les larmes perler à ses yeux.

- J'espère que vous êtes heureuse avec votre mari. Je pense souvent à vous et je vous aime de toute mon âme mais je ne peux vous l'avouer. dit-il tout haut, les dents serrées.

Avec un soupir, il achève le courrier en parlant musique et en l'assurant de son amitié. Puis il cachète le pli et il se change pour la soirée. Il est attendu dans un salon, il se reproche de ne pas avoir répété les morceaux qu'il envisage de jouer mais il hausse les épaules, le cœur en miettes et sa foi en l'avenir ébranlée.

Le jeune musicien se force à rejoindre ses amis pour profiter de cette soirée d'août et il feint de paraître heureux pour ne pas les inquiéter. Ils se retrouvent à un bal masqué où ils entrent sans invitation par une porte laissée ouverte et ils se mêlent à la foule. Florentin se sent à l'aise dans ce qui fut son quotidien lorsque ses parents étaient encore de ce monde et son cœur pèse moins lourd dans sa poitrine.

- Florentin, quel plaisir de te voir ici!

- Andrea! Je suis désolé, j'ai tardé à venir.

- On ne te vois guère.

- Je travaille. lui rétorque Florentin avec sécheresse.

- Tu travailles trop.

- La musique est mon seul amour. répond le violoniste en souriant.

- Vraiment? Si tu regardais un peu autour de toi, tu verrais que les occasions ne manquent pas pourtant...

- Il m'arrive de songer à me rendre au théâtre et d'y séduire des actrices mais elles ne combleront pas mon cœur. Je cherche le grand amour, le seul mais la seule femme que j'aime est mariée alors... N'en parlons plus. achève-t'il avec un sourire forcé.

Les deux hommes se joignent à une farandole et le violoniste se plonge dans ses pensées, il s'interroge sur ce que devient la belle Victoire et si elle a trouvé le bonheur loin de lui.

De retour chez lui, il se souvient qu'il lui avait promis de lui écrire lors de leurs adieux et il s'installe à sa table de travail alors que pointe l'aurore.

« Chère Victoire,

J'espère que vos progrès sont satisfaisants et que vous avez trouvé un professeur à votre goût. Pour ma part, je continue à composer dès que j'en ai l'occasion et je compte m'installer quelques temps dans la capitale dans l'espoir de faire mon chemin dans le monde. »

La lettre inachevée reste sur la table et Florentin qui ne sait pas comment la continuer. Avec lenteur, il la brûle et il regarde les mots tracés à l'encre partir en fumée.

- Ce ne sont pas les mots que je lui écris qui comptent mais ceux que ne lui écris pas. se dit-il en prenant une nouvelle feuille où il écrit des banalités sur sa vie présente et ses espoirs. Il parle longuement musique et composition, l'interroge sur ses progrès, glisse une partition qu'il recopie avec soin. Il l'imagine ouvrant la lettre et il se demande si elle y trouvera du plaisir. Plus le jeune homme se plonge dans ses livres de comptes qu'il referme, satisfait. Sa dure épargne quotidienne lui procure une situation financière convenable et il songe qu'il est à l'abri de l'indigence pour quelques mois. Le violoniste écrit une courte missive à son ami Léopold qui a rejoint leur ville natale et il lui laisse son adresse non sans préciser qu'il l'aura sans doute quittée lorsque sa réponse lui parviendra. Enfin, il fait ses bagages et il prépare à se coucher, le cœur en paix.

Le lendemain, le mois de septembre commence et Florentin fait le bilan, il songe que sa carrière n'a guère avancé et il se demande si cette idée fixe qui le hante est une bonne chose.

- Tu passes peut-être à côté de ta vie, mon vieux. Mais tu voulais quoi ? Un mariage, des enfants, une petite rente pour survivre en attendant la vieillesse ? songe-t'il.

Le violoniste se dit que c'est ce que ses parents auraient voulu pour lui mais il sait que sa vie, c'est la musique, c'est sa seule passion et une des seules choses qu'il sait faire. Sans musique, il sait qu'il lui manquerait un morceau de lui-même.

- Si mes parents étaient encore de ce monde, leur amour m'aurait peut-être aidé à supporter cette vie mais ils ne sont plus là...

Le jeune homme se couche et le sommeil le prend. A son réveil, il se sent mieux et il regarde le carnet où il note ses rendez-vous. Il s'assied en sursaut en remarquant qu'il est attendu à une soirée. Il s'habille rapidement avec ce qui lui tombe sous la main et il court dans les rues. Il manque de se faire renverser par un cheval lorsqu'il se rend compte qu'il a oublié son instrument.

- Je me hais parfois, j'en ai assez, assez, assez !

Il court aussi vite qu'il le peut lorsqu'une pluie fine se met à tomber et il hurle sa déception sous le regard indifférent des passants. Arrivé devant la porte de la maison bourgeoise où il est attendu, il remet de l'ordre dans sa tenue et il actionne le marteau. Un jeune homme de son âge le fait entrer.

- Vous êtes en retard, jeune homme !

- Je vous demande pardon, je... c'est la pluie.

- Peu importe, dépêchez-vous, mes invités vous attendent.

Le regard froid du maître de maison le met mal à l'aise et il le suit dans le couloir recouvert d'une épaisse moquette. Autour de lui, tout est décoré avec goût et lorsqu'ils pénètrent dans le petit salon, le violoniste remarque les tenues brodées et les bijoux des convives. Concentré, Florentin se remémore les soirées où on ne l'écoute pas et il se promet de quitter la capitale dès que possible, une fois sa réputation faite. Il tend ses cordes et son archet en essayant d'ignorer les conversations qui l'entourent.

- On m'ignore, une fois de plus. Mais cette fois-ci, nous allons faire en sorte qu'ils ne nous oublient pas, n'est-ce pas, mon compagnon de bois ? murmure-t'il à son violon en passant en revue les morceaux qui pourraient convenir à la situation.

Des secondes qui lui semblent durer des heures s'écoulent et Florentin joue un air mélancolique sans s'en rendre compte. Les têtes se lèvent, choquées et les rires et les conversations s'éteignent. Le violoniste ne remarque rien, il s'imagine seul au milieu d'une tempête de neige qui fait rage, seul et oublié de tous comme bien des mois auparavant. Les yeux fermés, il n'entend pas les conversations se taire et ce n'est qu'à la fin du morceau qu'il se rend compte que la foule massée dans la pièce le fixe. Des applaudissements et une pluie de pièces d'or le remercient et Florentin salue encore et encore, rouge de plaisir.

Les invitations pleuvent les jours suivants et Florentin croule sous les demandes. Il manque de temps pour composer et il hésite à refuser des invitations mais il se dit que la chance pourrait ne pas durer et qu'il doit en profiter pour amasser autant d'argent que possible. Il sait que les derniers jours de septembre sonnent le début d'une période plus calme et il se dit que les choses pourraient être pires. L'auberge où il loge n'est pas du grand luxe mais il estime que c'est bien suffisant au vu de sa situation.

Quelques semaines plus tard, le violoniste joue dans une vieille demeure. La maison de pierre fut cossue mais le temps a fait son œuvre, les murs lézardés en témoignent. Alors qu'il passe la porte escorté par un domestique, Florentin se sent mal à l'aise. Il jette des coups d’œil inquiets autour de lui, il balaie avec angoisse du regard les pièces qu'il traverse.

- Il y a quelque chose qui m'observe. Je sens son regard peser sur moi. Pourtant, depuis l'enfance, je suis sensible à l'invisible même si je n'y crois pas vraiment. Alors qu'est-ce que ça change ? J'espère surtout que je n'aurais plus ces douleurs à la base des doigts lorsque je ferme les poings, j'ai besoin de pouvoir tenir mon violon et mon archet avec fermeté et douceur à la fois.

Mais alors qu'il tend les crins de son archet et les cordes d'argent de son violon, le jeune homme sent la douleur lorsque son poing se referme là où dans une autre vie la chanterelle a entamé la peau de ses mains dans le but de tenir fermement la corde qu'il allait porter à son cou. Les dents serrées, Florentin commence à jouer mais ses muscles crispés lui rendent les mouvements difficiles, il sent la sueur ruisseler le long de son dos et sous ses aisselles et il regrette d'avoir mis le costume de soie gris clair qu'il a choisi avec soin pour cette soirée. Les yeux fermés, il visualise la partition et il se concentre sur les notes à jouer l'une après l'autre, il connaît le morceau par cœur et ses mains jou

ent presque d'elles-mêmes. Lorsque ses morceaux sont terminés, le jeune homme ouvre des yeux inquiets et il balaie la pièce du regard tout en saluant avec un sourire forcé. On l'applaudit rapidement et il se prépare à partir. Le maître de maison lui fait signe de le suivre et il lui remet sa rémunération.

- Vous allez bien, vous semblez pâle.

Le violoniste regarde son interlocuteur et il sourit en l'assurant que tout va bien avant de le saluer pour quitter les lieux. Un peu plus tard, seul dans le hall de la grande demeure, il regarde autour de lui balayant murs et plafond du regard. Ses yeux tentent de transpercer les murs et un courant d'air froid le fait frissonner.

- Au revoir. chuchote-t'il timidement en passant la porte sentant un regard invisible peser sur lui.

En ce froid jour de décembre, Florentin croque dans une pomme en chantonnant. C’est le jour de noël et il a décidé de ne pas rester à se morfondre dans la chambre d’auberge anonyme où il loge. Il a trouvé une boutique ouverte et il a dépensé plus qu’il n’aurait dû mais c’est le cœur plus léger qu’il s’est assis sur la margelle d’un puits sur la grande place de la petite ville. A rapides traits de crayons, il trace les contours de la place avant d’y appliquer quelques touches d’aquarelle diluée dans un gobelet cassé qu’il a trouvé dans le tas d’ordure de l’auberge où il loge dont il a soigneusement cassé les bords pour lui donner des bords moins tranchants. L’homme penche la tête pour observer son esquisse sous un autre angle avant de regarder autour de lui, tout est calme, la place est presque déserte. Il hésite à rentrer dans sa petite chambre pour rester à l’abri du froid mais il se ravise.

- C’est le jour de noël, tente ta chance.

Mais l’envie de profiter d’un jour d’oisiveté l’attire bien plus encore. Il réfléchit ayant cessé de fredonner son chant de noël. Il avise le violon près de lui et il se redresse.

- Malheureux ! Qu’est-ce qui te prend de poser ton instrument de travail sur la margelle de ce puits ? Et s’il tombe à l’eau ?

Avec un soupir, il se résigne à jouer une heure dans le froid en punition pour sa sottise même s’il sait que ce n’est qu’une excuse pour se motiver à jouer. En tendant les cordes, Florentin réfléchit à rendre cet exercice utile, il fouille dans l’étui pour sortir une feuille froissée où il a griffonné sa dernière création qu’il répète en silence avant de se lancer. Les têtes se tournent vers le musicien et les rares passants se massent autour de lui mais le violoniste ne les voit pas trop occupé à noter mentalement les défauts de sa création. Il ricane intérieurement en saluant la foule qu’il a remarquée seulement en égrainant les dernières notes.

- Un chant de noël, ça ? Mon vieux, tu as écrit là une jolie romance pour chat enroué, tu peux tout jouer, bravo, mes félicitations, une semaine de travail de perdue !

Après avoir salué son public improvisé, il ramasse les quelques pièces qu’on a jeté à ses pieds. Rouge d’humiliation, il se demande ce que ses parents penseraient à le voir ainsi mais il songe qu’ils ne sont pas là et il relève la tête à la recherche d’une échoppe ouverte. Il remarque une rôtisserie et il y achète une tourte au poulet et une tarte à la praline qu’il mangera au souper (vérifier repas). Puis il se dirige vers l’auberge où il loge d’un pas vif pour fuir le froid au plus vite. Au moins, il aura le ventre plein en cette nuit particulière et il espère que cette chance augure d’une année pleine de reconnaissance de son travail.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 3 juillet 2020 à 21h41
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