- Nous allions dans uns alon que nous fréquentons dans le but de nous montrer et aussi nous divertir et trouver des contrats. dit Andrea alors que Florentin entre dans la salle de répétition.
Le jeune homme fait la moue, hésitant avant de se résigner à les suivre. Il frissonne sous le froid mordant de cette soirée de janvier et il met les mains dans ses poches dans l'espoir de réchauffer ses doigts raidis par le froid. Arrivés devant un hôtel particulier, il laisse ses amis le présenter avant de s'engouffrer dans le hall dont la chaleur bienvenue l'envahit. Il regarde autour de lui et il suit la troupe jusqu'à une grande salle où ses amis retrouvent des visages familiers qu'ils saluent d'un signe de tête. Les échanges des derniers potins le laissent de marbre mais il se contraint à se mêler aux conversations entre deux verres de champagne accompagné de tartelettes salées.
- Tu dois le faire pour ta carrière; sans tes amis, tu n'y serais pas allé. Tente donc de te mettre en valeur. s'intime-t'il en s'approchant d'un groupe qui parle d'un roman à la mode qu'il n'a pas lu mais auquel il fait mine de s'intéresser.
Le moment venu de quitter les lieux arrive enfin et il salue ses amis avant de rejoindre la rue et son silence bienvenu.
- Je dois me forcer à ces visites au moins deux fois par semaine même si je préférerais jouer. se promet-il en montant dans un fiacre qui le ramène chez lui où il joue un moment en sourdine, les yeux levés vers les étoiles.
La semaine suivante, il se rend dans un salon pour écouter un poète en vogue. Le jeune homme vêtu avec soin se lève et il commence à déclamer ses vers à l'assemblée.
« Le froid hiémal glace la statue de la petite fontaine,
Déesse antique éprouvée par les ans.
Lorsque le glacial manteau nivéal recouvre la déesse romaine,
Elle sent la pierre se fendre et son cœur éclater doucement.
La délicate sculpture lève les yeux vers les étoiles,
Elle songe que c'est sa dernière nuit sur la terre.
Les températures chutent toujours, le vent se fait glacial,
Dans la contemplation des étoiles coruscantes, elle se perd.
Lentement, la pierre éclate. Au matin,
On ne trouve qu'un tas de gravats, mélancoliques
Débris recouverts de neige abandonnés dans le bassin
De granit de la fontaine, à la place de la délicate statue antique. »
La foule applaudit et Florentin qui n'a rien écouté, perdu dans ses pensées, agit de même sans comprendre la raison de cette démonstration de joie. Il tourne la tête et il regarde les flocons danser par la fenêtre tandis que le maître de maison fait apporter des boissons chaudes et des pâtisseries. Le musicien ne se sent pas à sa place mais il est conscient de la chance qu'il a d'être admis dans cette assemblée d'artistes et il cherche une connaissance dans la foule qui se presse autour des petites tables dressées dans la pièce.
- Bonjour, vos vers étaient fort plaisants.
Florentin relève la tête de son verre et il se retourne. Il croise le regard d'une femme aux yeux d'un noir d'encre qui sourient de sa réaction, il note que ses yeux ont la même couleur que ses cheveux qui s'échappent en boucles folles de son chignon qu'un pic à chignon en argent peine à maintenir.
- Pardonnez-moi, madame, je rêvassais. J'ai manqué de maculer votre robe de vin de porto, je vous prie de m'en excuser. dit Florentin qui dans sa surprise a maculé le tapis de taches rouge sombre.
- Ce n'est rien. Elle est bordeaux, cela ne se serait pas vu... dit-elle en lui donnant un léger coup d'éventail sur les doigts en guise de réprimande avant de le planter là.
Le violoniste regarde la femme s'éloigner et il cherche un coin où se glisser pour passer inaperçu. Cette réunion l'ennuie et il cherche en vain une personne de sa connaissance. Il écoute les conversations mais les derniers potins ne l'intéressent pas et il se décide à vider son verre avant de quitter les lieux.
Dans la rue, il se sent mieux et il marche un long moment dans le froid, il lève la tête vers les étoiles, une nouvelle année s'achève et il n'est guère plus avancé.
Le jour de noël, Florentin propose ses services dans une église ce que l’ecclésiastique de service ce soir-là accepte volontiers. Le musicien assiste à la messe, chose qui l'ennuie et qui ne lui est pas arrivé depuis des années. Il repense à ses parents qui respectaient son manque de foi mais qui l'emmenaient avec eux à la messe de noël. Il se revoit entouré de ses parents et il a une pensée tendre pour eux.
Après des jours de travail solitaire en ce morne début d'année, le jour de son anniversaire, Florentin reste un moment allongé dans son lit à s'interroger sur son avenir. Son séjour dans la capitale lui a permis de nouer des relations mais il ne s'y sent pas vraiment à sa place et il n'est pas certain que cela serve sa carrière. De plus, cette grande ville lui déplaît et il se prend à regretter ses errances dans la campagne, libre de ses mouvements au milieu de la nature, seul maître d elui-même tant qu'il parvient à remplir sa bourse de manière régulière. Il sait que chacun épie son prochain dans les cercles dans lesquels il tente de s'introduire et les commérages lui déplaisent. Il hésite un long moment la tête sous ses couvertures puis il prend sa décision. Il fait son bagage en un tournemain et il fuit l'auberge. Dans la rue, il trouve un pâtissier à qui il achète un petit gâteau en guise de petit-déjeuner.
- Bon anniversaire ! se murmure-t'il en croquant dans la pâtisserie.
Il marche d'un bon pas et il loue un solide cheval. Il presse la bête des jours durant et lorsqu'il se retrouve dans les lieux de son enfance, il remet à bête à un relais après lui avoir offert quelques friandises et une tape amicale.
Il ne sait pas où aller mais il sait qu'il a fait le bon choix, il le sent au plus profond de son être. Il ne sait même pas où il est mais peu lui importe, il avance d'un bon pas sur le chemin et il entre dans la première ville qu'il rencontre. Il s'agit d'une petite ville fortifiée qui lui plaît immédiatement, il marche dans les rues un long moment, trouvant plaisir à flâner par ce jour de froid sec, il remarque que c'est jour de marché et il hésite un moment à jouer sur la place.
- Non, non, tu n'es pas un musicien de rue. Peut-être qu'un emploi de professeur pour finir l'hiver pourrait être à ta portée ? Puis tu verras bien... songe-t'il en marchant lentement.
Il pousse la porte de l'atelier d'un luthier pour une révision de son instrument et pour lui demander s'il pourrait lui conseiller quelqu'un. L'artisan s'extasie sur le violon et il l'interroge longuement à son sujet en l'examinant. Il estime que le violon est bien entretenu et qu'il ne peut pas faire grand chose de plus mais les deux hommes trouvent plaisir à parler violon et Florentin quitte les lieux le cœur plus léger.
Le musicien hésite sur le choix à faire. Il voit la foule qui passe et il décide de jouer dans la rue malgré le froid. La peur d'être chassé ou ignoré l'étreint mais il a envie de tenter sa chance jusqu'au bout. Il joue une heure durant mais au bout de quelques minutes, il a senti que personne ne l'écoutait et que cette démarche n'est qu'une perte de temps. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il décide de tenter d'améliorer son jeu et de tester des mouvements d'archet pour voir s'il peut tirer un meilleur profit de son instrumen. Les mains transies, il finit par abandonner et par retourner à l'auberge.
- Je dois pourtant gagner ma vie ! dit-il sur le chemin du retour, la tête basse.
Il réflécit un moment à rejoindre sa ville natale mais il estime qu'il est trop tôt pour cela et il renonce. Il reste deux semaines sur place à faire du porte à porte dans les riches maisons sans succès et à composer. Il se dit souvent que ce n'est pas le meilleur moyen de trouver le succès mais il ne se sent pas le courage de remonter sur Versailles et sa cour brillante. Néanmoins alors qu'il allait quitter la ville, une connaissance qu'il retrouve souvent pour boire à la taverne le soir venu lui apprend qu'on cherche un professeur de musique pour accompagner un jeune garçon de treize ans qui joue du luth. Le jeune homme hésite mais il accepte de se présenter dans la petite maison bourgeoise en se disant que la chance lui sourit. Il remercie le domestique d'un riche armateur et il en profite pour poster un courrier à ses amis restés dans la capitale qu'il a quittés sans les informer de son départ.
La main sur le marteau de la riche maison, il sent son cœur se serrer à la pensée que son destin n'aurait pas dû être de courir de place en place mais il se ressaisit malgré l'angoisse qui lui noue le ventre. Lorsqu'il est introduit auprès de son futur employeur, un juriste à l'air sévère, il le salue avec raideur sous le regard scrutateur de l'homme élégant qui l'examine. Après avoir exposé ses références et son projet pédagogique, le père de famille accepte de le prendre à l'essai dès le lendemain matin. Pris au dépourvu, Florentin plie bagage et il se présente au domicile de son élève dès le lendemain matin. Installé dans une minuscule chambre sous les toits, il grimace en songeant qu'il pourra difficilement jouer sans importuner les autres domestiques tout en espérant pouvoir disposer du salon de musique hors des heures de leçon.
En fin d'aprèsmidi, il rencontre le jeune Amaury qui le salue d'un air boudeur. Florentin tente d'en savoir plus sur ses goûts musicaux et son niveau mais le garçon d'une dizaine d'année feint d'ignorer ses questions et de désespoir, le professeur lui tend la partition qui trône sur le pupitre. Avec un soupir, l'enfant passe la main dans ses boucles rousses et il s'installe sur la banquette avant de croiser les bras,.
- Je dois trouver quelque chose. songe le jeune homme en souriant à l'enfant qui le toise.
Il lui pose des questions sur ses goûts et il examine son instrument qui lui semble de bonne facture en en faisant des compliments mais son élève reste de marbre.
Désemparé, le jeune musicien sort se s partitions qu'il corrige en interrogeant son élève de temps à autres sur ses connaissances musicales mais seul le silence répond à ses questions.
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