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tome 3, Epilogue tome 3, Epilogue

- Bonjour, voici l'instrument dont je vous ai parlé au téléphone, je ne sais pas quoi faire de lui. Aidez-moi sinon, je m'en débarrasse et je devrai dire adieu à ma carrière. Et pour être honnête, ce serait dommage, ce violon est irremplaçable.

Apollonia prend la main de Giuseppe et elle regarde la voyante qui lui fait face. Elle observe la vieille femme vêtue d'une robe noire et les épaules couvertes d'un châle. Un frisson la parcourt et elle serre la main de son compagnon plus fort. La femme allume une lampe et la minuscule ampoule éclaire toute la pièce alentour.

- Les nouvelles diodes électroluminescentes basse consommation consomment fort peu d'électricité et éclairent aussi bien que les anciennes ampoules à incandescence. Leur durée de vie est de plusieurs décennies et nous avons amélioré le recyclage des éléments qui la composent. Avec les nouvelles batteries miniaturisées haute performance et les panneaux solaires de dernière génération, la bataille de l'énergie propre est en passe d'être gagnée pour l'humanité.

Le récepteur radio commence à diffuser de la musique et la voyante se tourne pour l'éteindre, agacée.

- Si je me souviens bien, cela dure depuis que ce violon est entré dans votre vie ? reprend-elle en se tournant vers le couple.

- Oui, c'est cela. lui répond Apollonia.

- Je pense que vous devriez vous séparer de l'instrument mais vous m'avez dit que cela signifie l'arrêt de votre carrière pour laquelle vous avez fait de nombreux sacrifices.

- Nous le craignons. confirme Giuseppe voyant que sa compagne, blême, reste raide dans son fauteuil, les traits crispés.

La voyante ne dit rien et elle observe le violon posé sur la table. Elle pose la main dessus et elle reste un long moment les yeux fermés à sentir les palpitations de l'instrument. Elle remonte le temps, laissant les sensations l'envahir. La pièce sombre aux lourds rideaux de velours frangés noirs comme la nuit aux murs couverts d'étagères semble se rétrécir.

- Cet instrument a un long passé sanglant derrière lui. Des suicides, des dépressions, des revers de fortune ont jalonné son parcours mais il est resté endormi. Il s'est réveillé pour vous, Apollonia. Parce que malgré votre peur, vous l'avez aimé.

- Moi, je l'ai aimé ? Il me fait peur ! s'écrie la jeune femme. Je suis désolée mais c'est la vérité, dit-elle en s'adressant au violon, ne le prends pas mal surtout.

- Vous voyez, vous lui parlez... s'amuse la vieille femme qui lui fait face, ses longs cheveux blancs qui tombent en vagues sur ses épaules lui donnent un air fantomatique qui donne la chair de poule à Giuseppe.

- Ce n'est pas drôle. Je sais, cela m'est venu naturellement, j'ai remarqué qu'il était plus calme, il me faisait moins peur quand je lui parlais.

- Il est là. dit la voyante.

- L'ombre ? questionne Apollonia.

La vieille femme acquiesce et Giuseppe la voit, l'ombre mince qui suit le violon. Il regarde la voyante en quête de réponse.

- Ce n'est pas un démon, je vous rassure. C'est un homme, enfin c'était un homme.

- Oui, l'autre jour, je jouais dans une salle du conservatoire et j'ai failli lâcher le violon. J'ai joué dessus pour ne pas perdre la main même si j'utilise autant que possible mon violon d'étude. Bref, j'ai entendu le violon dialoguer avec une voix grave. Je l'ai lâché et il est par chance tombé sur mon manteau que j'avais jeté par terre, je l'avoue. Il ne jouait pas les notes que je lui demandais de jouer, il jouait autre chose et il semblait presque tenir conversation. Et un chuchotement grave lui répondait. Alors je suis partie, j'étais apeurée et je ne savais pas quoi faire.

- Vous avez vu l'autre ombre qui la suit.

- Massive, je sais. Que dois-je faire ? J'ai cherché les partitions du musicien qui a joué dessus et j'ai tenté de les faire connaître dans l'espoir de voir les choses s'améliorer mais il n'en est rien. balbutie Apollonia dont la voix tremble.

- Peut-être que vous devez faire mieux pour le faire connaître. Si vous êtes à peu près sûre que c'est lui...

- Je ne sais pas si c'est lui. la coupe Apollonia.

- Son nom ?

- Florentin Leroy, un obscur compositeur du dix-huitième siècle. J'accepte de tenter de le faire connaître s'il me laisse en paix.

- Et pour l'autre ? questionne la voyante.

Apollonia et Giuseppe se regardent.

- L'ombre ? Je ne sais pas ce que c'est. Je n'ai pas vraiment cherché à le savoir, je la vois rarement. répond la jeune femme.

- Le diable, c'est le diable qui suit votre instrument mais un exorciste ne suffira pas.

- Nous avons déjà fait appel à un exorciste sans succès. Que devons-nous faire ? Enfin, ça ne m'étonnerait pas que le diable y soit pour quelque chose. Mais comment on s'en débarrasse ? répond la violoniste.

- Le Diable ? Ce n'est pas de mon ressort, voyez un prêtre exorciste. Mais si celui que vous avez vu n'a rien pu faire, je doute qu'un autre vous soit utile.

Les deux musiciens guère plus avancés décident de trouver le moyen de se débarrasser du fantôme dans un premier temps. Celui-ci leur pose plus de problème que le Diable, ils espèrent qu'une fois le fantôme parti, le Diable le suivra.

- Florentin Leroy ? Que peut-il bien vouloir ? interroge Giuseppe.

- Je suis tombée plusieurs fois sur son nom. Un musicien qui s'est suicidé qui est resté inconnu. Ses partitions ont visiblement été écrites pour mon violon dont il est le contemporain. Ses morceaux sont techniques, c'était un virtuose qui aurait pu faire une grande carrière s'il ne s'était pas suicidé. J'imagine que le violon n'y est pas étranger.

- D'accord. Donc s'il connaît le succès, nous pouvons espérer nous débarrasser de lui ?

- C'est mon idée.

xXxXx

Apollonia caresse son ventre qui s'arrondit en ce jour d'avril, tendant le tissu de sa robe blanche, elle s'avance vers Giuseppe qui l'attend. Tous deux entrent dans la mairie et ils en sortent quelques minutes plus tard, une alliance au doigt.

- Madame, je crois que nous avions des projets pour cet après-midi. Mais tu es sûre que cela ne peut pas attendre.

- Je suis désolée mais tu sais bien que cela ne peut pas attendre. Nous devons en finir avec cette histoire et nous prenons l'avion dans quelques jours pour notre voyage de noces, nous devons laisser tout ceci derrière nous. La réception a lieu ce soir, je veux que tout soit réglé d'ici là pour partir l'esprit tranquille.

Le jeune homme acquiesce, lui aussi a hâte d'être débarrassé de l'instrument. Ils marchent main dans la main jusqu'à leur logis et après s'être déchaussés et avoir bu un verre d'eau, ils se mettent à la tâche. Apollonia installe le violon à plat sur la table du salon et son mari lui tend la pince courbe qu'elle prend d'une main tremblante.

- Tu tiens le violon ? Fermement, compris ?

- Je sais. dit l'italien, un peu inquiet.

La pince courbe dans la main, Apollonia la glisse par l'ouïe du violon et elle cherche un moment la tige de bois recollée qui soutient le violon. Lorsqu'elle l'a trouvée, elle ferme la pince avec force et elle tire doucement pour dégager l'âme de son écrin d'ébène. Puis elle sort avec délicatesse la tige de bois sombre tandis que son compagnon allume une bougie puis ils restent un long moment à regarder le morceau de bois se consumer dans une coupelle. Lorsque l'âme du violon n'est plus que cendres, ils versent de l'eau bénite dessus avant de porter l'instrument chez un luthier pour doter le violon d'une âme neuve.

xXxXx

Calé dans son fauteuil, le diable réfléchit longuement. Il cherche où se trouve le fantôme de Florentin qui erre entre les mondes depuis des siècles. Il est là, comme toujours, non loin de son violon chéri, ombre qui a par moment effrayé Apollonia et que le violon a reconnu aussitôt. Tant d'amour ne mérite-t'il pas récompense ? Florentin et Apollonia ont tant aimé sa création que l'âme de bois de l'instrument a vibré à l'unisson de leur musique. Le violon lui a apporté bien plus de divertissement qu'il ne pouvait en espérer. Il a sciemment torturé et attiré le malheur sur Florentin qui était promis à une belle carrière via son instrument qui s'est imprégné de l'essence de son créateur. Le diable réfléchit longuement et il se lève d'un bond, sa décision prise.

Il s'observe dans son grand miroir et vêtu d'une cape neuve d'un noir d'encre, il quitte ses enfers d'un pas lent. Il gravit les échelons entre les mondes, invisible présence qui ignore les âmes qui l'entourent. Il passe par les enfers, le purgatoire, la Terre avant de rejoindre les cieux. Devant la grille en condamnant l'entrée, il parle longuement avec saint Pierre qui consent à le guider dans le paradis. Peu habitué à ce spectacle, le diable observe autour de lui, la musique des anges lui vrille les oreilles mais bientôt, il se retrouve devant Dieu lui-même qui le reçoit, assis sur son trône de nuages blancs.

- Bonjour, Dieu, il y a fort longtemps que nous ne nous sommes vus. J'ai créé voici quatre siècles un violon particulier. Je l'ai commandé à un luthier humain mais il s'est... imprégné de mon essence divine. Il est longuement resté en sommeil après le suicide de son premier propriétaire sur lequel il a attiré bien des déboires. Malheureusement, cet imbécile a utilisé la magie du sang sans le savoir. Il s'est étranglé avec une corde du violon qui lui a tranché la gorge, le violon a baigné dans son sang et il a été maudit, son âme erre sans repos depuis. Il suit le violon à la trace, vois-tu ?

Dieu acquiesce et le regarde, intéressé. Cette affaire lui a échappé mais il est vrai qu'aucun humain ne lui demandé d'aide à ce sujet et qu'il ne peut contrôler toutes les âmes errantes, les humains qui vivent sur Terre l'accaparent déjà bien assez. Il réfléchit et il soupèse les options qui s'offrent à lui. Il pourrait lui accorder le repos de son âme sans condition, il est innocent de la malédiction de son instrument. Mais il est responsable de ses choix de vie et de la manière dont il l'a terminée. Il ne peut le faire entrer au paradis. Néanmoins, il lui reste la possibilité de faire d'autres choix.

- Je vais accéder à ta demande, je prends en compte le fait que ce jeune homme a subi ton influence qui a imprégné son instrument, qu'il a fait de mauvais choix durant sa vie et en se suicidant mais je dois aussi admettre que tu as fait la démarche de venir me trouver pour sa rédemption. Pourquoi d'ailleurs, en quoi cela t'importe-t'il ? demande la divinité, surprise que le Diable en personne s'intéresse à une âme égarée.

- La musicienne qui joue sur l'instrument l'aime et elle a fait beaucoup d'efforts pour lui. Elle a eu un accident et a versé son sang involontairement pour lui. L'âme de l'instrument que j'avais imprégnée de mon essence s'est brisée, le violon a une âme neuve. J'ai mis beaucoup de moi dans ce violon, tu comprends, il est unique en son genre, je l'ai conçu avec soin, j'ai imaginé chaque pièce durant des jours. Je veux que ma création vive et si le violon continue de faire des siennes, il sera de nouveau enfermé durant des siècles. Je me suis amusé follement à suivre son parcours, je dois bien cela à Florentin Leroy. Tu sais comme moi qu'il était soumis à un grand destin, il allait révolutionner la musique et mon intervention l'en a empêché. Il a donné tant d'amour à mon violon que je lui dois bien une seconde chance, non ?

Dieu réfléchit, le menton dans la main avant de questionner de nouveau.

- Pourquoi ?

- Parce que tout l'amour que Florentin et Apollonia ont donné au violon ont dénaturé son essence. Il va devenir imprévisible, ce violon a une âme, tu comprends ce que je veux dire ? Il a des sentiments, des émotions qui entrent en conflit avec sa nature. Quand la tension sera trop forte, il va se briser en deux. Ce violon est unique, les hommes le méritent. Il a la chance de se voir doté d'une âme neuve, c'est la meilleure occasion de lui donner un autre destin. Florentin le suit à la trace depuis des siècles, ça te fera une âme errante en moins sur Terre. Tu sais comme un fantôme ou un objet maudit peut perturber les humains et les chats qui croisent leur route. Il pourrait toucher des innocents et tu me tiendras pour responsable de tout ça, alors que je voulais seulement m'amuser un peu et j'ai eu ma part d'amusement. La vérité est que je suis le créateur de cet instrument unique et il y a de l'orgueil à ne pas vouloir voir mon œuvre détruite. ?

Dieu se lève et il réfléchit les yeux rivés vers la Terre. Il ne comprend pas bien pourquoi le Diable semble si touché par cette histoire mais il se dit que cela fait partie des mystères de l'âme, fut-elle inhumaine. Il étend la main devant lui et le violon frémit avant de se figer, inerte.

xXxXx

Apollonia tend la main vers le violon restauré, doté d'une âme neuve. Elle travaille sur les quarante morceaux inédits de Florentin Leroy qu'elle compte bien présenter au public dans les mois à venir. Le musicien au destin tragique qui lui a permis de donner le meilleur de son instrument le mérite bien. Puis, elle range le violon dans son étui alors que les déménageurs arrivent. Elle pense à la minuscule maisonnette un peu isolée dans la campagne qu'ils ont trouvé à louer pour une somme modique et elle espère que ce nouveau départ leur permettra de laisser ces derniers mois derrière eux. Elle caresse la joue du bébé qui dort dans son berceau et elle sourit de le voir bouger dans son sommeil.

- Florentin, mon ange. Il est temps de partir vers notre nouveau foyer. Les travaux de la maison sont enfin terminés.

Elle se retourne et elle inspecte la pièce de l'appartement, nostalgique.

- Florentin ? murmure-t'elle. J'espère que tu as trouvé le repos mais je suppose que c'est le cas. Je prendrai soin de ton violon et on ne t'oubliera pas, je te le promets.

- Il est parti. dit-elle à Saturne qui ronronne dans sa cage de transport.

Le cœur débordant de tristesse, Apollonia passe la porte vers une nouvelle vie. Elle a la vision d'un jeune homme qui joue dans un riche intérieur entouré d'une assemblée qui l'applaudit mais l'image se brouille lorsque Giuseppe s'approche pour l'aider.

- Je ne t'oublierai jamais. murmure-t'elle à l'ombre évanouie dont il ne subsiste que les quelques croquis qu'elle a fait du fantôme.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 1er août 2019 à 11h04
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