Un jour, le Diable eut l'idée de créer un violon imprégné de son essence pour tromper son ennui. Depuis ce jour, il y a près de quatre cent ans, le Diable se penche régulièrement sur le sort de l'instrument. Mais au fil des ans, il s'en est désintéressé progressivement. La réputation qui précède le violon l'a conduit à passer la majeure partie de son temps dans un coffre fermé à clé ou dans une vitrine. De ventes aux enchères en successions, il a maintes fois changé de main au cours des siècles précédents. Malheureusement, son étrange aura et ses cordes qui vibrent souvent la nuit sans raison apparente ont fait de lui une curiosité dont on ne s'approche qu'avec circonspection. Et surtout dont on ne joue pas.
Un antiquaire, jeune homme vêtu à la mode d'une jupe jaune fluorescent et d'une chemise violet électrique très en vogue en ce moment, se penche sur la malle dans le grenier poussiéreux. Il l'examine de ses doigts fins qui effleurent toutes les surfaces de l'objet pour se faire une idée précise de son état. Il note sur un carnet qu'elle est ancienne et en mauvais état probablement une malle industrielle fabriquée à la chaîne en Chine à la fin du vingtième siècle dans une usine. Il estime qu'il n'y a rien à en tirer et qu'il est déjà étrange qu'elle soit encore en usage même s'il note plusieurs traces de réparations anciennes. D'un geste, il l'ouvre, prêt à toute éventualité. Il attend quelques instants, guettant une araignée dont il n'avouera jamais qu'il a un peu peur mais rien ne se passe. Un tissu recouvre une forme qui se révèle être un violon. Surpris, l'homme tend la main et il examine l'instrument à la lumière de la lucarne à la vitre couverte de saleté. Il le met de côté sur un canapé poussiéreux avant de faire le tour du grenier. Il prend quelques notes sur son carnet puis l'instrument sous le bras, il descend avec précaution les marches grinçantes. En bas, il pose l'instrument sur une table avant de déclarer qu'il n'a rien trouvé d'intéressant au grenier sinon un vieux violon bien trop lourd pour être utilisé confortablement, il doute de pouvoir en tirer quelque chose même s'il semble ancien. Et les violons traditionnels ne se vendent plus.
Après avoir acheté le violon au jeune couple qui cherche à se débarrasser de la maison qu'il vient d'expertiser, le jeune antiquaire qui ressemble à un canari avec ses courts cheveux blonds ébouriffés et le jaune de son costume, met son acquisition dans son atelier. L'instrument est en parfait état, le vernis est intact et il trouve une inscription dans le fond : « Luc. Mépris. Anno 1750 ». Malgré des recherches sur internet, l'homme ne trouve nulle mention de Luc Méphis ; d'après son nom, il suppose que le luthier est d'origine grecque et française ce qui l'étonne grandement. A moins qu'il s'agisse d'un luthier grec venu s'installer en France. Guère plus avancé, il a tout de même pu dater le violon et sur la foi de cette date après expertise de l'instrument qui le convainc de l'exactitude de l'inscription, il décide de tenter de le vendre au conservatoire. L'instrument est de facture étrange, il n'a jamais vu un violon d'ébène associé à un bois rouge qu'il ne parvient pas à identifier. Les cordes et les chevilles d'argent laissent supposer qu'il s'agit d'une œuvre de commande, un instrument unique fabriqué pour un usage particulier qu'il ne parvient pas à déterminer. L'archet qui a besoin d'être reméché laisse apparaître après un examen approfondi des crins particuliers qui sont restés collés malgré les changements successifs de mèche. Intrigué, l'antiquaire se rend chez un luthier qu'il connaît bien pour faire remécher l'archet et lui montrer le violon. Dès qu'il entre dans le magasin, son instrument enveloppé dans un tissu noir sous le bras, il fait signe à l'homme de le conduire dans son arrière-boutique. Le luthier examine longuement l'instrument avant de rendre son verdict.
- Je n'ai jamais vu un tel objet. Le bois, c'est de l'ébène, c'est lourd et cher, c'est un choix étrange pour un violon. Les cordes sont en plomb, je ne comprends pas bien pourquoi. J'ai tenté de jouer quelques notes malgré les cordes détendues, d'ailleurs, il manque une corde, le son est étrange, je vous conseille de les changer pour des neuves, des classiques. L'archet a besoin d'être reméché et je ne suis pas du tout certain que cette trouvaille rende un son correct. Je me demande qui a eu cette idée saugrenue. Quoi qu'il en soit, ce violon est ancien, le vernis est intact, il vaut cher, d'autant plus qu'il est unique en son genre ; à ma connaissance, on n'a jamais fait d'instrument avec ces matériaux et le son est étouffé sans nul doute car l'ébène ne vibre pas autant que les bois habituels. Je ne suis pas certain qu'on puisse en jouer mais vous en tirerez un bon prix si vous trouvez un connaisseur. Je ne connais pas de Luc Méphis mais ce violon semble tout à fait correct et de bonne facture, peut-être qu'un luthier a voulu utiliser des restes de matière précieuse de son atelier pour faire une expérience ?
L'antiquaire réfléchit avant de demander à l'artisan de remettre l'instrument en état puis il sort de la boutique avant de se rendre d'un bon pas vers le conservatoire de Paris. Il déjeune en chemin après avoir acheté un sandwich tout en relisant ses notes en marchant. Dans le hall du conservatoire, il se dirige vers l'hôte d'accueil qui le reconnaît et qui appelle le service restauration où on accepte de le recevoir. Face à une assemblée de quatre personnes, il expose sa trouvaille ainsi que des clichés de l'instrument. La plus jeune femme examine l'inscription avant de passer la photographie à son collègue pendant qu'un vieil homme déchiffre les notes du luthier tout en examinant avec sa collègue la probabilité qu'on puisse jouer d'un tel instrument.
- D'où tenez-vous cet instrument ? s'enquiert la plus jeune femme.
- Je l'ai trouvé dans une malle poussiéreuse, un héritage dont un client veut se débarrasser au plus vite. Vous pourrez l'acheter à un prix raisonnable.
- Nous avons pris quelques contacts pendant que l'objet était examiné et nous avons trouvé un mécène qui se montre prêt à l'acheter et à nous le prêter. Cet instrument est unique en son genre, nous ne pouvons pas le laisser partir à l'étranger ou le laisser dans une vitrine. Le conservatoire en paiera une partie pour être certain que l'instrument ne sera pas vendu sans notre accord. Un instrument est vivant et celui-ci doit revenir à la vie. dit le directeur financier qui est entré en silence.
- Je crois que le prix sera négociable et entre nous, le client veut se débarrasser de la succession dont il a hérité. Votre prix sera le sien si vous vous montrez juste.
Quelques jours plus tard, le violon rejoint le conservatoire contre une forte somme tirée de ses fonds propres et du don d'une riche mécène mélomane. Le Diable se penche de nouveau sur le destin de sa création. Après avoir apporté des malheurs à ses propriétaires successifs qui ont connu des faillites ou des maladies pour l'avoir laissé dans un grenier ou une boîte, le violon pourrait de nouveau se remettre à chanter entre les mains d'un musicien. L'instrument a attendu son heure qui semble enfin venue, Satan se demande s'il se choisira un nouveau musicien et s'il en trouvera un à sa mesure ce qui n'est pas arrivé depuis Florentin.
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