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tome 1, Chapitre 21 tome 1, Chapitre 21

Les yeux levés vers les portes de ce qui fut sa ville natale, la douleur étreint le cœur de Florentin. Un long moment, il hésite à entrer avant de se décider. Il ne pourra pas fuir son passé toute sa vie. Les rues familières font monter des larmes à ses yeux et les souvenirs l'assaillent à chaque coin de rue. Là, la libraire qu'il aimait tant. Ici, un arbre dans lequel il a maintes fois grimpé avec ses amis dans l'enfance et même dans sa jeune vie d'adulte. Chaque pas l'enfonce un peu plus profondément dans les entrailles de la cité et de son passé, accroissant son malaise. Au détour d'une rue, il la trouve, elle est là, toujours debout. Un long moment, il reste debout à la grille et il regarde au travers, laissant ses yeux se perdre dans le jardin. La maison de son enfance se dresse devant lui et les souvenirs affluent. Incapable de les repousser aux tréfonds de son esprit, le jeune homme revoit sa mère chantant alors qu'il lui démêlait les cheveux avec douceur le soir, son père lui apprenant à monter à cheval, ses précepteurs et les fêtes que ses parents aimaient donner. Puis il repense à son cheval tant aimé et à son violon. Qu'est-il devenu ce violon ? Florentin frissonne à l'imaginer rangé dans son étui, oublié dans un grenier humide et poussiéreux glacé en hiver et étouffant en été. Il imagine le bois travailler et l'instrument s'altérer saison après saison.

- J'espère que quelqu'un joue dessus et qu'il y prend du plaisir. murmure-t'il à lui-même.

Un long moment, le jeune homme triste et voûté reste debout dans la rue sous le chaud soleil de juin puis il repart, la mort dans l'âme. Il observe autour de lui avec un mélange de joie, de nostalgie et de douleur. Ici est son passé mais où est son avenir ? Le cœur du musicien se fend un peu plus sous l'afflux des souvenirs et il fuit à toutes jambes sa ville de naissance et son passé. Une fois hors des murs de la ville, il marche droit devant lui sans regarder en arrière jusqu'à ce que ses pieds douloureux l'arrêtent.

Dans une auberge bon marché où il a trouvé refuge, Florentin sort son violon et il se laisse bercer par la musique dans l'espoir d'apaiser ses tourments. Il est monté directement à sa chambre où il s'est enfermé pour laisser le monde à l'extérieur. Mais la musique, sa consolation de toujours semble le fuir et il joue un air qu'il connaît par cœur et qu'il n'entend même pas, le son du violon l'emplit tout entier et il danse seul dans sa mansarde sans rien voir autour de lui, bousculant la table ou la chaise, manquant de tomber sur le lit mais qu'importe, la musique l'emmène loin de ses malheurs. La nuit a jeté son noir manteau sur le monde lorsqu'il s'arrête, épuisé mais étrangement calme, il s'allonge tout habillé sur son lit sans souper, la tête pleine de souvenirs. Au cœur de la nuit, il cherche à tâtons une couverture, transi de froid. Enveloppé dans la laine douce et chaude, il imagine les bras de sa mère autour de lui.

- Vous me manquez tant... murmure-t'il en tendant la main vers une main invisible.

Il sourit, apaisé par ce contact immatériel et il s'endort enfin, pleurant dans son sommeil, assailli par son passé. Les semaines suivantes, le violoniste se produit de moins en moins dans les rues ou les salons et bientôt, faute de moyens financiers, il se retrouve de nouveau à la rue son bagage sur l'épaule.

Epuisé, il voit sainte Cécile lui apparaître en rêve, il la voit jeter son violon au feu. Il se réveille plusieurs fois en pleine nuit sous l'effet de cauchemar récurrent. Silencieux, il sanglote jusqu'à s'endormir, épuisé. Une part de son cœur se résigne à une vie de misère en faisant ce qu'il aime tandis que l'autre se révolte et sa raison ne peut choisir entre son art et le confort d'une vie rangée. Le beau temps le pousse à s'aventurer sur les chemins et il retrouve le plaisir de se promener en pleine nature et de faire la causette aux chats errants qu'il croise dans la ville. Il rêve d'un bon repas et de thé mais il n'a pas les moyens de s'offrir ce petit plaisir ni de se réapprovisionner en livres. Condamné à relire sans fin ses recueils, Florentin finit par ne plus trouver de réconfort dans cette activité et il n'est pas rare qu'il jette un livre à peine entamé sur son lit avec un geste rageur. Seul son violon lui apporte encore un peu de paix mais ce dernier semble s'être calqué sur les sentimentsde son maître et il n'est pas rare que ses sautes d'humeur déforment les sons sans raison amenant Florentin à des crises de rage ou de larmes selon son humeur du moment.

La nature distraite du musicien atteint son apogée et il n'est pas rare qu'il sorte sans son chapeau ou son sac l'obligeant à retourner les chercher. Il oublie plusieurs rendez-vous qu'il avait réussi à obtenir dans l'espoir de gagner de quoi survivre quand il n'arrive pas en retard. Son manque de sérieux ne joue pas en sa faveur et il n'est pas rare qu'on lui claque la porte au nez. Réfugié dans son monde intérieur, Florentin ne vit que pour sa musique, la tête sans cesse emplie de mélodies, il lui semble qu'il marche dans un rêve et que le monde qui l'entoure n'est qu'un songe dont il s'éveillera bientôt.

Un matin qu'il changeait ses cordes avec application, penché sur son instrument après avoir acheté des cordes d'argent de qualité qu'il a payées fort cher avec les restes de son maigre pécule, ses cheveux emmêlés se prennent dans la cheville de l'instrument avec lequel il tendait la corde. La douleur lui fait prendre conscience de son geste et c'est en pestant qu'il démêle le tout avant de se remettre au travail. Sa sottise et sa stupidité le met hors de lui, il ne comprend pas commentn un incident aussi stupide au pu lui arriver, il a besoin de prendre l'air et il s'apprête à sortir. La pluie a fait son apparition et il se résigne à rester dans sa petite chambre seul et avec peu de possibilité de loisirs. un son cristallin et harmonieux se fait alors entendre dans la chambre et Florentin reconnaît une mélodie qu'il avait rêvée et qu'il avait perdue sans espoir de jamais la retrouver. Aussitôt, il se jette sur un brouillon pour tracer les notes puis son travail achevé, il hésite un moment, la feuille en main. Puis il la range, à quoi bon ? Il n'a pas le cœur à jouer et il reste un long moment à la fenêtre à regarder la pluie tomber.

- Si tu veux vivre de ta passion, tu vas devoir te résigner à une vie de misère et d'errance. Si tu veux le confort matériel, tu dois renoncer à ta passion, au moins pour un temps. Mais quoi qu'il advienne, jamais personne ne pourra t'empêcher de jouer et de rêver. Même si la musique demande des sacrifices et de la discipline, elle aura toujours la première place dans ta vie et dans ton cœur car c'est ce qui te rend heureux et t'aide à vivre au quotidien.

Une larme coule sur sa joue qu'il ne prend pas la peine d'essuyer. Puis il se recouche tout habillé en écoutant le bruit de la pluie, recroquevillé sur lui-même. Alors que le sommeil l'emporte, il songe que le mois de juin est là et que la saison des bals va reprendre mais il se demande s'il aura la force de tenir un été supplémentaire à errer dans les chemins boueux.

Endormi, il ne sent pas la présence qui s'assied sur la chaise près de son lit. Un long moment, l'homme en noir tient sa création entre ses mains et il s'interroge. L'instrument lui a permis de tromper son ennui et il a rempli son office en attirant les malheurs sur une victime innocente qui a été victime de ses choix hasardeux. Le Diable estime qu'il doit laisser le destin du jeune homme se dérouler sans son intervention et il repose soigneusement le lourd instrument qu'il tenait dans sa main une seconde plus tôt. Le maître des enfers avait d'abord songé à briser son instrument contre une pierre saillant des murs biscornus de la chambre anonyme où Florentin a trouvé refuge. A pas de loup, l'ombre quitte la chambre ; Florentin gémit dans son sommeil mais la fatigue le replonge dans ses rêves.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 10 décembre 2018 à 09h46
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