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tome 1, Chapitre 18 tome 1, Chapitre 18

Dans les quartiers bourgeois, le jeune homme frappe aux portes durant de longues heures, transi de froid et les vêtements trempés par la neige qui tombe en abondance, dans l'espoir de trouver quelques contrats rémunérés pour des bals bourgeois d'avant noël. Ses parents et leurs amis aimaient se réunir avant les fêtes de fin d'année durant la saison froide pour jouer, rire et il n’était pas rare que des artistes participent à ces réunions. Souvent, les souvenirs l'assaillent et il se demande ce qu'il serait devenu si ses parents étaient encore de ce monde. Ensemble, ils auraient trouvé une issue plus favorable à la ruine de leur famille, il en est certain. En son cœur, le jeune homme maudit ce dieu en lequel il n'est pas certain de croire et les larmes montent à ses yeux, la tristesse gonfle son cœur dans sa poitrine qui a du mal à se soulever durant quelques instants douloureux. Dans les salons de la bonne société où le jeune homme joue, il se souvient des fêtes où il était invité autrefois et en cette période de l'année, ces souvenirs lui sont plus douloureux encore. Un matin, le musicien monte dans un carriole après une nuit passée à animer un bal masqué avec d'autres musiciens rencontrés dans une taverne, il parle un moment avec la conductrice puis les deux jeunes gens se taisent, perdus dans leurs pensées. Bientôt, la fatigue a raison de l'artiste et il s'endort, bercé par les cahots de la route. Une main lui tape sur l'épaule et il ouvre les yeux.

- Mon gars, tu t'es endormi ! Je suis arrivé à destination, c'est ici qu'on se quitte !

- Merci, merci beaucoup.

- De rien, ça ne changeait pas grand chose pour moi. Bon vent, l'ami.

Florentin salue le petit homme maigre au crâne dégarni et aux habits usés qui lui a tenu compagnie ces dernières heures avant de lever les yeux vers la ville. Les sourcils froncés, il hésite un moment avant que ses yeux ne s'élargissent de surprise.

Lorsqu'il franchit les portes de la ville et qu'il la reconnaît, Florentin se sent mal à l'aise et il s'adosse à un mur le temps de reprendre ses esprits.

- Et si je croise une connaissance ? Que dirais-je? se murmure-t'il à lui-même.

Puis il se rassure, il se trouve à deux jours de marche de sa ville de naissance, même si la distance se couvre rapidement à cheval, il sait que la ville est petite et que ses anciennes relations n'ont pas de raisons particulières d'y venir. L'idée de rejoindre sa ville natale l'effleure mais les larmes baignent ses cils et le violoniste renonce ; pas aujourd'hui, plus tard, peut-être. Après de longues minutes de marche, Florentin se sent mieux, personne ne prête attention à lui. Dans la rue, il s'enveloppe dans son manteau pour masquer son visage et se protéger du froid de ce mois de décembre. La neige a raison du cuir de ses chaussures et l'eau froide lui gèle bientôt les pieds. Frigorifié, le jeune homme se réfugie dans une taverne. Au chaud, il commande à boire et à manger avant de regarder autour de lui pour s'assurer qu'il n'y connaît personne. Soulagé, il hèle l'aubergiste qui passe et bientôt, son estomac vide s'apaise. Il doit gagner sa vie s'il ne veut pas dormir dehors. Las, le violoniste rejoint les quartiers bourgeois et il frappe aux portes de longues heures durant.

- Bonjour, que puis-je pour vous ? Monsieur ?

- Je suis violoniste et je me demandais si vos maîtres recherchaient un musicien ou une personne de leur connaissance, peut-être ?

Plein d'espoir, le musicien sourit au vieil homme sévère qui lui fait face dans son costume étriqué.

- Mes maîtres se rendent ce soir chez les Vinciane où on donne un bal. C'est la maison au jardin à la française et aux colombages au bout de la rue. Vous ne pouvez pas la manquer, sa grille est particulièrement travaillée. Bonne journée, monsieur.

- Bonne journée, mon brave !

Le jeune homme trottine dans la rue, plein d'espoir, il manque de glisser à plusieurs reprises dans la neige mais lorsqu'un fiacre l'éclabousse, il n'y prend pas garde, trop heureux de cette chance inespérée. Essoufflé, il s'arrête à la grille pour reprendre son souffle un long moment, l'air froid lui brûle les poumons et il peine à retrouver une respiration normale . Intimidé, il tire la cloche et peu après, un domestique vient ouvrir la grille de fer forgé aux motifs floraux d'un ensemble charmant.

- Bonjour, je suis violoniste et on m'a dit qu'une fête se donne ce soir en cette demeure et je suis venu vous proposer mes services.

- Pour être honnête, c'est d'un hautboïste que j'aurais souhaité trouver face à moi, celui qui devait venir ce soir est malade. J'ai déjà un violoniste.

- Mais je suis également compositeur et...

- C'est bon, revenez ici dans une heure ; j'ai tant à faire que je ne puis m'attarder. Soyez à l'heure surtout.

- Merci !

Le violoniste court dans la ville pour trouver à se loger pour la nuit puis il se lave rapidement avant de mettre son plus bel habit pour se présenter à la grille où il retrouve quelques confrères. Un violoniste, une flûtiste et un chanteur attendent en faisant connaissance et il se joint à eux, heureux de se trouver en bonne compagnie. Bientôt, le majordome les fait entrer et après leur avoir servi quelques rafraîchissements, il les mène dans le grand salon où il les laisse s'installer parmi les domestiques qui s'affairent autour d'eux pour achever les préparatifs. Les artistes s'accordent sur une série de morceaux à interpréter et ils s'entraînent en sourdine pour ne pas déranger. Bientôt les premiers invités arrivent et les musiciens commencent à jouer. Florentin a perdu l'habitude de jouer en groupe et il met un peu de temps à jouer à l'unisson de ses compères. Puis le plaisir de jouer dans un salon l'envahit et il laisse la plénitude qu'il ressent le réconforter de toutes les peines endurées depuis des mois. Heureux, il observe autour de lui les danseurs déguisés et masqués danser et s'amuser. Le champagne et le vin coulent à flots tandis que des empilement de pâtisseries, pâtés, fruits frais et confits, salades composées et petits pains garnis circulent au milieu des convives. Les heures passent et les musiciens commencent à fatiguer. Les doigts de Florentin se crispent sur son archet et ses épaules sont douloureuses mais il tient bon. Enfin ses employeurs d'une soirée accordent quelques minutes de répit aux musiciens qui se restaurent et boivent dans l'office en faisant connaissance.

- Tu viens d'où ?

- Je suis de la région. répond Florentin à la chanteuse.

- Nous, on vient de loin, de Paris et on avait envie de voir du pays alors on a fait nos bagages pour aller en province. C'est notre dernier contrat de l'année puis on remonte à Paris pour retrouver un peu d'animation et des contrats mieux rémunérés.

- Tenez !

Le majordome tend une bourse aux musiciens qui comprennent qu'il est temps pour eux de quitter les lieux.

- Merci ! murmurent-ils avant de se diriger vers la sortie.

Dans le vestibule, Florentin reconnaît un de ses anciens amis de dos mais il n'ose pas aller le trouver. Triste et plus seul que jamais, il regrette de ne pas être allé le trouver mais il n'a pas le courage de toquer à la porte. Triste et solitaire, il repart, en pleurs.

La bourse pleine qu'il a reçu en rétribution lui permet de loger dans des auberges de bonne réputation. Mieux nourri, il travaille avec frénésie sur ses musiques et les compositions s'accumulent même s'il en brûle une grande partie. Incapable de quitter la région, le jeune homme se rend dans les villes alentour à la recherche de contrats. De fête en fête, le jeune homme s'ennuie de jouer toujours les mêmes airs à la mode que ses employeurs de la soirée lui ont demandé. Parfois en fin de soirée, il joue ses compositions mais personne ne l'écoute plus depuis des heures ; absorbés par leurs conversations et leurs rires, ses spectateurs semblent oublier sa présence au fil des heures. Mortifié, Florentin se sent ridicule, il cherche à se donner une contenance sans succès. Le rouge aux joues, les lèvres crispées, il joue mécaniquement observant à la dérobée les groupes qui parlent et rient autour de lui, l'ignorant. A minuit, un valet lui tend la bourse tant espérée et lui signifie qu'il peut se retirer. Humilié de l'indifférence de tous, le jeune homme remercie et il s'éclipse sans un mot. Lorsqu'il arrive dans la rue, il respire et il frissonne sous la neige qui tombe. Vêtu trop légèrement pour la saison, transi de froid, les pieds gelés, il s'empresse de rejoindre l'auberge où il séjourne. Il se glisse sous les draps en frissonnant avant de s'endormir, épuisé, sans manger.

A l'approche de noël, l'artiste décide de rejoindre sa ville natale qu'il a quittée trois ans et demie plus tôt son bagage sur l'épaule. Une carriole le mène non loin de là et il reste un long moment adossé à un arbre dépouillé de ses feuilles à l'entrée de la ville. Puis il se dirige vers les portes de la cité, les larmes coulant sur ses joues qu'il ne prend pas peine d'essuyer. Un long moment, il erre dans les rues familières et il décide d'y passer les fêtes de noël pour se sentir proche de sa famille. Après avoir déposé ses affaires à l'auberge, il se rend sur la tombe de ses parents. Un long moment, il leur parle de sa vie, de ses échecs, de ses espoirs et de ses regrets. Il leur parle de sa longue errance, de Victoire qu'il n'a pas eu le courage d'enlever, du petit Hugo à qui il aurait dû écrire. Puis, il se met à jouer et une plainte déchirante s'élève du violon, semblant déchirer la brume alentour. Il continue un long moment ainsi avant de se décider à quitter les lieux en sanglots, son instrument serré contre son cœur.

- Merci d'être là, toi, mon seul ami. murmure-t'il au violon qui frissonne doucement contre sa poitrine agitée de sanglots.

Le jour de noël, il propose de jouer dans une église après la messe et il joue quelques ave maria, ému et au fond heureux d'apporter de la joie autour de lui. Une fois sorti du lieu saint, le violoniste se fait la réflexion que le son de son instrument lui a paru criard avant de hausser les épaules.

- Le froid a dû faire jouer le bois. Ou ma main a tremblé d'émotion.

Au sortir de la messe, le musicien est chaleureusement félicité et en voyant les familles rentrer pour manger le repas qui les attend avant de passer la soirée au coin du feu, il regrette sa solitude et son itinérance. Un instant, Florentin caresse l'idée de s'établir quelque part mais ses finances malheureuses l'en empêchent et il doit trouver à gagner sa vie. Dans la modeste auberge où il a trouvé refuge avec la bourse offerte par le curé sur l'argent de la quête à la demande des paroissiens, le jeune homme réfléchit à son avenir. Peut-être pourrait-il louer un modeste logis sous les toits dans une grande ville. Il pourrait proposer ses services aux nobles et aux bourgeois de l'endroit. Le plus difficile sera de choisir la ville adéquate. Il réfléchit et il songe à une grande ville proche de la capitale où il pourrait s'établir à faible coût. Mais la capitale est loin et le coût pour s'y rendre est trop élevé pour sa bourse. Peut-être qu'en quelques mois, il y parviendra mais il ne s'en sent pas le courage. Ni celui de quitter sa région d'origine même s'il n'y a plus ni famille ni amis.

Alors qu'il rejoint son logement, les souvenirs de fêtes passées l'assaillent, il revoit les noëls en famille, le dîner servi par le majordome, les cadeaux échangées avant de se raconter des histoires et jouer de la musique au coin du feu et il imagine sa famille autour de lui. Il revoit sa mère mince et se tenant toujours droite dans ses habits colorés et son chignon blond vénitien qui semblait s'enflamme au soleil en été. Il imagine son père dans son costume crème qu'il aimait tant, grand et altier, un sourire aux lèvres et ses yeux verts illuminant son visage parsemé de taches de rousseur, sublimant ses cheveux roux. Nostalgique, il étale le contenu de sa bourse dans sa main et il décide de s'offrir un semblant de fête malgré sa solitude. Il trouve un rôtisseur chez qui il achète un repas convenable pour la circonstance et lorsqu'il passe devant une librairie qui va fermer, il achète deux ouvrages pour s'occuper durant ses longues soirées solitaires. Dans une auberge bon marché, il mange en silence sa tourte au poulet et aux légumes que le rôtisseur lui avait réchauffée avant de s'attaquer à sa part de gâteau aux fruits confits. Les larmes aux yeux, sa solitude semble lui dévorer le cœur et il se plonge dans ses livres pour attendre la fin de cette journée en espérant être moins triste le lendemain.

Dans la solitude de sa chambre anonyme, il hésite à prier mais il ne s'en sent pas capable ; il s'interroge sur son destin et sur les difficultés qu'il rencontre, il espère un avenir meilleur en cette nouvelle année qui se profile mais il a peine à y croire. Il repart tôt le lendemain matin et il erre dans la région sans but, jouant pour gagner sa vie, le cœur aussi vide que sa bourse et son estomac, logeant dans de mauvaises auberges bon marché. Il tient ainsi jusqu'au nouvel an où il décide de s'éloigner de ces lieux trop familiers à son cœur.

xXxXx

La nouvelle année touche de son aile le musicien alors qu'il marche sur un petit chemin inconnu. A minuit, des cloches sonnent au loin et le jeune homme s'arrête.

- C'est le nouvel an, c'est vrai ! Et dire que je ne sais même pas où je suis.

Il regarde alentour mais tout est sombre et il n'entend que les animaux qui furètent dans les buissons autour de lui. Incapable de se contenir, Florentin reste un long moment à sangloter sur le bord de la route, glacé et solitaire. Après quelques temps, il se remet en route pour ne pas mourir de froid dans ce chemin creux perdu dans la campagne. L'idée de s'abandonner au froid l'a effleuré un bref instant mais il a écarté cette idée. Les yeux levés vers les étoiles, il souhaite une bonne année à ses parents disparus avant de continuer d'un pas plus vif. Il ignore où il est mais il espère trouver un lieu où s'abriter pour finir sa nuit. Un peu plus tard, il décide de se réfugier sous un pont. Le froid qui monte de l'eau glacée ne l'aident pas à se réchauffer mais il préfère encore cela à la neige qui tombe. Et il a si mal aux pieds qu'il ne peut continuer. Un instant, il hésite à tremper ses pieds douloureux dans l'eau gelée mais il renonce pour ne pas refroidir un peu plus son corps meurtri par sa longue errance. Les larmes perlent à ses yeux lorsqu'il s'installe sous les protestations de ses muscles douloureux mais il se murmure pour lui-même.

- Ne pense pas au passé, seulement à cette nouvelle année qui commence. Demain, tu trouveras une nouvelle ville ou un village. Et peut-être que tu trouveras un espoir d'un avenir meilleur. Mais pour le moment, tu dois dormir, tu ne peux rien faire de mieux. Victoire, Hugo, bonne année ; merci d'avoir illuminé ma vie durant quelques moments précieux.

Enfin à l'aube, il atteint une nouvelle ville, les pieds meurtris par sa longue marche. Dans la ville, il cherche un logis à portée de sa bourse et un passant lui indique une auberge Sur place, Florentin se trouve face à un taudis, un immeuble au bois vermoulu, aux carreaux cassés hâtivement remplacé par des carrés de toile cirée et des toiles d'araignées aux fenêtres. La mort dans l'âme, il fait demi-tour, il ne peut s'installer ici dans ce lieu ouvert au vent où règne la promiscuité et la misère, il craint de tomber malade et il mérite mieux ? De guerre lasse, il finit par opter pour un minuscule réduit dans une auberge bon marché où il aura chaud. Il n'y a de place que pour le lit et la table, il peut à peine bouger mais il est tranquille pour travailler un peu à l'écart au fond d'une cour. Le lendemain, la bourse vide, il parcourt la ville vêtu de son plus beau costume et il démarche les notables de l'endroit dans l'espoir de décrocher un emploi. Un baron revenant de la guerre lui commande une ode à sa gloire contre une bourse bien garnie. Interloqué et ne croyant pas à sa chance, le violoniste regarde l'homme sévère qui lui fait face et qu'il a manqué heurter alors qu'il allait sortir par la porte à laquelle le musicien toquait. Celui-ci lui fait signe d'entrer et durant quelques minutes, les deux hommes parlent de leur collaboration.

- Je voudrais que vous créiez un air à ma gloire, un hymne à ma famille qui comporte des héros de guerre morts pour nos bons rois. Ainsi mon nom ne tombera pas dans l'oubli, vous comprenez ?

Florentin acquiesce, ne sachant que répondre. Le petit homme aux cheveux roux frisottants et au regard d'un vert très clair qui met Florentin mal à l'aise lui montre alors la porte du doigt.

- Bien, puisque nous sommes d'accord, rendez-vous dans une quinzaine de jours.

- D'accord.

Gêné, le jeune musicien quitte les lieux après cette étrange entrevue et il se met au travail. Durant des heures, il reste assis à sa table de travail mais son esprit demeure vide. Pour se changer les idées, il marche longuement dans la ville malgré le froid qui lui glace les joues. Anonyme parmi la foule affairée, il cherche l'inspiration mais après quelques jours, il s'avoue vaincu et il se rend chez son employeur, confus. Envolés ses espoirs de richesse et de renommée qui lui apporterait d'autres contrat. Debout dans le petit bureau richement décoré, le musicien lui avoue la vérité.

- Je ne peux faire ce que vous me demandez. Je, je, j'ai essayé de longues heures durant.Mais il est difficile de faire un travail de création artistique contre son cœur, n'est-ce pas ? Je peux toujours tenter de réarranger une de mes compositions si cela vous sied.

- Suffit ! hurle le baron.

Florentin sursaute et il lève les yeux vers l'homme qui lui fait face, visiblement furieux de ne pas avoir ce qu'il voulait.

- Dehors ! Dehors ! dit-il en lui montrant la porte tandis que des domestiques se précipitent et prennent le jeune homme par le bras pour le faire quitter les lieux. Jeté au bas des marches du perron, le musicien tombe dans la poussière de tout son long. Gêné, il s'époussette et il se dépêche de quitter les lieux avant de fondre en larmes sitôt passé la grille.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 27 octobre 2018 à 10h29
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