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tome 1, Chapitre 14 tome 1, Chapitre 14

Un jour froid de début février alors qu'il se sent plus seul et triste que jamais, le musicien boit une choppe de bière dans une taverne. Il observe autour de lui et en voyant les autres rire et jouer, son cœur se serre de ne pas trouver un visage familier ou quelqu'un qui le reconnaisse ; mais ces regrets sont son passé. Il tente de les chasser de son esprit chaque fois qu'ils l'assaillent mais plus le temps s'écoule sans amélioration, plus cela lui est difficile. Ces dernières semaines, il a écrit quelques pièces qu'il joue dans les tavernes qu'il est heureux de voir appréciées ; il peut s'offrir le gîte et le couvert tout en mettant de l'argent de côté. Le public composé de buveurs et de joueurs, des habitués des lieux l'acclame et cette reconnaissance lui fait chaud au cœur. Souriant, le jeune violoniste reprend espoir même s'il regrette de devoir jouer de la musique populaire pour gagner sa vie et non des créations musicales conformes à ses goûts. Février commence, le printemps arrive, il espère voir ses vœux se réaliser avec le retour de la belle saison.

Un soir qu'il range son instrument après avoir joué en échange d'un repas chaud et de quelques pièces dans une taverne cossue, un homme s'approche de lui. Florentin l'observe, il le trouve sympathique et il l'invite d'un geste à s'asseoir, pressé de calmer son estomac qui crie famine. L'homme s'assied face à lui, le musicien note son vêtement solide et de bonne facture malgré sa simplicité qui semble neuf avant de lui lancer un regard interrogateur. Son interlocuteur qui a accepté un verre de vin lui dit que le professeur de violon de son fils les a brusquement quittés pour une affaire de maladie dans sa famille et il recherche quelqu'un pour le remplacer. Le violoniste qui s'attendait à des questions sur son instrument ou une offre d'achat s'arrête de manger, surpris. Il repose son gobelet avant d'interroger plus avant. Il s'agit d'un remplacement de quelques semaines, il sera nourri, logé et relativement bien rétribué. De plus, son fils travaillait déjà sur des morceaux choisis par son professeur, il aura le temps de prendre ses marques et de décider d'une progression après avoir pris le temps de connaître son élève de douze ans. L'homme dépeint son fils comme peu assidu et d'un niveau plutôt bas, il a entamé son apprentissage deux ans auparavant et n'a guère fait de progrès malgré ses bons professeurs qui n'ont rien su tirer de lui. Il espère qu'un changement de méthode lui sera salutaire.

Florentin réfléchit et il songe que ce poste pourrait être intéressant, il devra sans doute trouver ce qui n'a pas fonctionné et inventer une pédagogie innovante pour son élève. Il aura du temps libre car l'enfant a un professeur particulier plus généraliste qui l'occupera la majeure partie du temps. Le violoniste n'interviendra qu'en fin de matinée et de journée. Le salaire est faible en raison du nombre d'heures restreint durant lequel le professeur devra se montrer disponible. Le violoniste hésite mais il songe que si le temps s'améliore, il n'est pas à l'abri d'un retour du froid et que malgré la faible rémunération, il sera nourri, logé et au chaud pour se pencher sur ses compositions et s'entraîner. Il aura enfin les conditions dont il rêvait pour travailler sa musique comme il en a besoin pour retrouver un niveau de jeu acceptable. Il regrette un peu la fin de ses voyages mais il acquiesce à cette proposition qu'il ne peut se permettre de refuser. Et la perspective de trouver un lieu où s'établir quelques temps n'est pas pour lui déplaire. Le jeune homme rassemble ses affaires avant de suivre son nouvel employeur jusqu'à une maison toute simple avec un petit jardin qui plaît d'emblée au nouveau professeur. Il suit l'homme jusqu'à une chambre sous les combles propre mais petite qui est plus que ce que le musicien en espérait. D'autres chambres se trouvent à l'étage et il apprend qu'une cuisinière et une femme de ménage constituent le personnel. Il rencontre bientôt ces deux dernières, charmantes femmes potelées au chignon serré qui lui sourient chaleureusement. Une fois installé, Florentin s'endort, l'âme et le corps épuisé de son errance. Il se réveille à l'heure du repas et il mange en silence après avoir répondu aux questions des deux domestiques qui comprennent son besoin de solitude et finissent par l'ignorer. Puis le jeune homme rejoint sa chambre où il s'endort d'un sommeil sans rêve.

Le lendemain matin, Florentin rencontre Hugo, le petit garçon dont il a la charge. Le jeune musicien pour qui la tâche est nouvelle décide de commencer par faire connaissance avec lui. Il l'interroge longuement sur ce qu'il sait faire et surtout ce qu'il aime jouer ainsi que qu'il apprécie dans le violon. L'enfant fait la moue et ne répond pas. Le tout nouveau professeur insiste, il lui demande alors ce qu'il étudiait avec son professeur et ce qu'il est capable de jouer. Le garçonnet lui répond qu'ils étudiaient une sonate trop difficile pour lui et qu'il ne veut plus en entendre parler. Il ajoute qu'il sait jouer convenablement quelques pièces simples. Le professeur hoche doucement la tête, il s'agit des morceaux faciles que tous les musiciens apprennent mais ils correspondent à un niveau débutant. Soit l'enfant n'est guère doué soit il ne travaille pas suffisamment. Ne sachant que faire, le jeune homme lui demande de jouer un morceau pour lui. Avec un soupir, Hugo s'exécute en observant son nouveau professeur à la dérobée ; il joue à contrecœur et sans passion. Son opinion faite, Florentin lui demande de venir auprès de lui. Durant un long moment, ils discutent de musique et des ambitions musicales d'Hugo. L'enfant n'est guère intéressé par le violon et la musique en général même s'il aime en écouter. Son père l'oblige à apprendre depuis deux ans mais il ne parvient pas à se concentrer sur ses études musicales. Perplexe, le musicien réfléchit à cette situation imprévue. Il ne se voit pas forcer l'enfant à jouer. Il décide de tenter de l'intéresser à ce qu'il fait, lorsqu'ils se retrouvent en fin d'après-midi, il lui montre quelques techniques et il lui joue quelques-unes de ses créations personnelles avant de lui expliquer les bases de la composition. Mais Hugo ne l'écoute pas, il préfère rêvasser en regardant par la fenêtre. Visiblement, son élève n'est pas intéressé par ce qu'il fait et il comprend que s'il aime écouter de la musique, il ne semble pas vraiment souhaiter en jouer lui-même.

Deux semaines durant, Florentin tente malgré tout de l'intéresser à son art lors de leurs leçons biquotidiennes. Entre les leçons, le musicien travaille sur ses compositions et il cherche comment impliquer son élève. Il a discuté avec le professeur de matières plus généralistes qui lui décrit un élève peu assidu, peu travailleur et rapidement distrait mais qui fait ce qu'on lui demande avec intérêt et enthousiasme, ce qui est tout le contraire de son élève qui ne semble guère s'intéresser à ce qu'il tente de lui enseigner. Au fil des jours, Florentin lui ramène plusieurs instruments qu'il a loués pour lui sur ses gages de la semaine mais rien ne semble éveiller son intérêt. Les mélodies les plus travaillées, les techniques de jeu les plus difficiles n'éveillent rien en lui. L'enfant se borne à regarder par la fenêtre dès que son professeur a le dos tourné et Florentin n'a pas le cœur à le forcer à s'intéresser à un art qui ne touche pas son être. Pour lui, la musique se vit dans le cœur et l'âme, elle emplit tout l'être qui ne fait qu'un avec elle. Elle ne se satisfait donc pas d'approximation et d'amateurisme. Désespéré, le violoniste comprend que c'est peine perdu. Il estime avoir fait tout ce qui était en son pouvoir et il interroge l'enfant avec qui il a tenté d'établir une relation de confiance au fil des jours, attentif à ce qu'il laissait paraître au cours de leurs leçons. Hugo lui dit que ce qu'il aime, c'est le dessin, la musique ne lui est rien mais le dessin le transporte. Florentin sourit de voir enfin des étincelles briller dans ses yeux, rassuré car il commençait à se demander si ce manque d'envie n'était pas le symptôme d'un malaise plus profond. .

- D'accord, oublions donc la musique quelques temps. dit Florentin en rangeant ses partitions. Montre-moi tes dessins, je serais ravi de les voir.

Hugo court dans sa chambre et il revient avec une liasse de feuillets qu'il serre contre son cœur. Florentin tend la main pour les prendre et bien qu'il n'y connaisse pas grand chose pour avoir seulement appris les techniques de base au cours de son éducation, il reconnaît un certain talent à son jeune élève. Les dessins à la main, le violoniste tente de se remémorer ce qu'il a appris dans ce domaine et il lui montre quelques techniques dont il se souvient. Les points de fuite et le découpage du dessin par tiers devraient aider Hugo à équilibrer ses créations, il en est certain. Et il estime que montrer son intérêt ne pourra que les rapprocher. Puis il lui dit que s'il préfère dessiner pendant qu'il s'entraîne sur son instrument, il n'y voit pas d'inconvénient à condition qu'il joue un peu avec lui. Au fond, cette idée le met mal à l'aise mais il n'a guère envie de perdre son emploi aussitôt trouvé et il veut tenter d'encourager Hugo à persévérer dans ce qu'il fait. De plus, il souhaite s'assurer que le garçon ne ressent vraiment rien pour la musique avant de l'encourager à abandonner et de se confronter à ses parents.

Une nuit de février, alors que la neige s'est remise à tomber après plusieurs jours de froid intense, Florentin ne parvient pas à dormir. Il se relève, incapable de rester plus longtemps couché et il prend son instrument après s'être habillé à la hâte, cherchant un lieu où jouer. Il s'est tourné et retourné dans son lit durant des heures avant de se forcer à se lever et à s'occuper en attendant que le sommeil arrive. Dans le lieu le plus reculé de la maison, au rez-de-chaussée à l'opposé de l'endroit où il suppose que se situent les chambres, il ouvre une porte pour se trouver face à une immense salle de bal éclairée par la lune. Le jeune homme s'approche des hautes fenêtres, fasciné et il regarde longuement la neige tomber lentement bercée par un vent léger éclairée par l'éclat fantomatique de la pleine lune. Pris d'une inspiration, le violoniste apprête son violon et il le cale solidement du menton dans le creux de son épaule. Puis il commence à jouer une valse lente qu'il connaît par cœur et bientôt ses pieds se mettent à valser au rythme de la danse. Il ferme les yeux et il laisse la musique l'envahir. Il se souvient nettement de soirées où il a joué pour les amis de ses parents qui dansaient dans une salle plus petite mais il imagine les joyeuses assemblées identiques à celles qu'il a connues. Il voit le reflet de la lune dans le carrelage étincelant et il devine des petites tables et des fauteuils dans la pénombre, il imagine les invités parlant autour de lui tandis qu'il joue. Il ne ressent pas la solitude, habité par la musique qui l'emplit tout entier. Lorsqu'il sort de son rêve éveillé, Florentin rit de sa stupidité, il aurait eu l'air malin si quelqu'un l'avait surpris ainsi. Amusé par sa danse improvisée, il se poste un long moment à la fenêtre savourant les émotions ressenties lors de sa valse au bras de son violon. Florentin, mélancolique au souvenir de soirées où il a valsé au bras des charmantes filles d'amis de ses parents sent une larme couler sur sa joue, il se gourmande, il ne doit pas songer à ce qu'aurait été sa vie si la ruine n'avait pas frappé sa famille. Sa vie est ce qu'elle est et au fond, s'il y a perdu sa position sociale, il y a gagné une plus grande liberté qu'il n'aurait jamais pu s'imaginer. Même si ses parents étaient plutôt libéraux avec leur unique fils survivant, il sait bien qu''à son âge, ils l'auraient pressé de se marier et de se trouver une place fixe ou investir son héritage à venir pour assurer son avenir. Il n'aurait pas connu ces mois de vagabondage à aller de place en place et il ne se serait pas enrichi de toutes ces expériences aussi douloureuses soient-elles. Les larmes aux yeux, le violoniste chasse ces pensées moroses et il sourit, oubliant pour un moment sa douleur et son avenir incertain. Lorsqu'il s'arrête, il s'inquiète d'être surpris mais il n'en est rien à son grand soulagement. Il salue son public imaginaire puis la lune et les étoiles avant de remonter se coucher à pas de loup, souriant au souvenir de sa valse improvisée. Heureux et grisé par sa danse, il valse quelques temps dans sa chambre avant de se décider à se coucher. Cette nuit-là, il rêve qu'il valse avec son violon entre les bras.

Un jour, le jeune violoniste se réveille en entendant glousser de rire juste à côté de lui. Le petit Hugo est debout près de son lit et il se réveille en sursaut. Il se souvient alors que la veille parce qu'un des ses professeurs avait modifié son emploi du temps, ils avaient convenu d'avancer la leçon de musique.

- Je ne me suis pas réveillé ! Je suis désolé, ça ne m'arrive jamais d'habitude.

- Tiens, je t'ai monté une tartine et du thé. J'espère que ça te plaît. Dépêche-toi, mon père sera furieux s'il apprend que tu dors au lieu de travailler.

En hâte, le jeune homme se prépare après avoir remercié l'enfant qui a rejoint leur salle d'étude. Lorsqu'il entre dans la salle de musique un quart d'heure plus tard, le garçon glousse de rire à son entrée.

-Tu jouais dans ton sommeil.

- Quoi ?

- Du violon. C'était drôle. Et tu souriais, on aurait dit que tu jouais avec les anges tellement tu étais content.

- Sans doute. Allez, au travail !répond le jeune musicien, incapable de retenir un sourire amusé.

- Dis, j'ai vu ton violon, il est étrange. J'aimerais bien t'entendre jouer. Tu écris ta musique mais tu ne la joues jamais. Alors que moi, je te montre mes dessins à chaque fois et je te laisse même les commenter. dit Hugo d'un air boudeur.

- Si, je la joue mais dans ma chambre quand je suis seul et que je n'ai pas cours avec toi.

- Joue pour moi. dit l'enfant en s'asseyant confortablement sur sa chaise, son visage levé vers lui.

Le violoniste hésite puis il fond devant le regard de l'enfant qui attend sagement qu'il s'exécute.

- D'accord. Je vais chercher mon violon.

Le cœur battant, Florentin remonte dans sa chambre et il prend son instrument et quelques-unes de ses compositions avant de redescendre rapidement, au fond un peu inquiet de croiser son employeur. Il retrouve Hugo qui l'attend en jouant avec une petite toupie qu'il avait dans sa poche. Avec un sourire amusé, le musicien le regarde quelques minutes en songeant qu'il aurait aimé avoir des enfants mais qu'il n'a pas les moyens de les élever actuellement. Il doit trouver une place fixe, une riche héritière ou changer de métier s'il veut avoir les moyens d'entretenir une famille. Il ne voit pas comment dans l'immédiat, il pourrait seulement rencontrer une femme digne de l'épouser.

- Dans une autre vie, qui sait ? se dit-il en secouant la tête.

Il chasse le souvenir de Victoire qui revient l'assaillir et il rejoint l'enfant qui se montre intéressé de l'entendre jouer.

- Pourquoi tu n'as pas de famille ?

- Pardon ?

Surpris, le violoniste regarde le petit garçon dont il a la charge.

- Je.. Mes parents sont morts, je n'ai pas de frère ou de sœur, pas de famille. Et je n'ai pas rencontré de jeune fille qui me permette de fonder ma propre famille. C'est comme ça mais la musique suffit à combler mon cœur, tu sais ? L'amour que j'éprouve pour cet art est immense et il emplit chaque minute de ma vie.

Florentin se prépare à jouer et il se sent intimidé face à son jeune public, attentif, assis en tailleur le rebord d'un fauteuil. Il hésite sur l'air qu'il pourrait jouer, lui qui a surtout joué des airs à danser dans des bals champêtres ces derniers mois puis il se dit que cela pourrait amuser son élève. Il joue quelques airs qu'il a joué durant l'été avant d'exécuter des airs connus qu'il a joué dans des salons autrefois. Puis il se lance à jouer quelques unes de ses créations. La musique l'emplit tout entier et les difficultés techniques lui résistent quelques temps, il regrette de ne pas s'être suffisamment entraîné durant les mois précédant son arrivée dans la maison. Il grimace à ses notes imprécises avant de se reprendre. Enfin, il obtient satisfaction et sa musique s'élève, puissante dans la petite pièce. Il ne voit pas les yeux de son élève s'illuminer de le voir ainsi les yeux fermés, souriant avec des mouvements d'archet caressants. Le musicien joue longuement, il a tout oublié autour de lui et il a laissé la musique emplir la pièce, faisant vibrer son corps tout entier.

xXxXx



Le lendemain, le maître de maison s'enquiert des progrès de son fils et pris de court, le jeune homme reste évasif. Il rejoint Hugo et il décide de profiter de cette belle journée de février pour l'emmener jouer dehors. Assis dans l'herbe au fond du jardin, les deux garçons se sont longuement promenés dans le jardin que Florentin découvre pleinement. Ils croisent un chat du voisinage qui ne se montre pas insensible à leurs caresses puis ils s’installent dans l'herbe. Florentin sort un livre tandis que le petit garçon dessine, il garde un œil sur le travail de son élève avant de sortir son instrument. Le violon résonne dans le jardin durant un long moment de grâce et Florentin pris d'une inspiration se met à tester des suites de notes qu'il cherche à mettre au propre depuis plusieurs jours. Après quelques minutes, il parvient à un résultat satisfaisant et il griffonne sur un morceau de papier quelques accords qu'il pourra utiliser plus tard. Puis il s'intéresse au dessin de son élève dont il corrige quelques traits maladroits avant de le raccompagner dans la maison. Il rejoint l'office où son repas l'attend et il trouve dommage que son élève ne soit guère intéressé par sa matière. La maison lui plaît, la cuisine y est bonne ce qui n'est pas pour déplaire au gourmand qu'il est, il peut se glisser à l'office pour se faire un thé à toute heure du jour et de la nuit sans que les deux employées de maison ne lui fassent la moindre remarque et les deux femmes sont aux petits soins avec lui. Le jeune homme en a d'abord été gêné puis il s'est laissé aller à ces petites attentions qu'il n'a pas connues depuis des mois. Elles ont rapidement noté sa gourmandise et il n'est pas rare qu'il trouve une douceur à côté de son assiette qu'il engloutit avec délices.

- Pourquoi tu ne joues pas à la cour ?

Florentin, surpris par la question, lève les yeux de sa partition où il traçait ses notes. Il réfléchit quelques instants à la question avant de lui répondre que la célébrité l'ennuie, il préfère jouer pour les petites gens et voir leurs yeux s'illuminer. Il aime sa liberté et voir du pays, rencontrer de nouvelles personnes. Il a la chance de vivre de son art tout en étant libre. Et tout le monde ne peut pas jouer à la cour, il faut être très bon et il y a peu de places disponibles.

Une semaine plus tard, le maître de maison convoque Florentin qui se rend dans un bureau austère, plutôt intimidé. Il sait qu'il joue sa place et l'avenir de l'enfant qu'il a pris en affection.

- Vous vouliez me voir, monsieur ?

- Oui, qu'en est-il des progrès de mon fils ? Parvenez-vous à en tirer quelque chose ?

- Et bien, il a des dispositions indéniables, c'est certain... commence le violoniste avant de s'empourprer, il ne sait pas comment continuer.

Par chance, son employeur lui coupe la parole et il l'interroge sur ce qu'ils ont étudié plus précisément.

- Et bien, nous avons revu la perspective et plusieurs techniques. Je vais être honnête avec vous. Votre fils n'a pas la passion de la musique. Je l'ai longuement interrogé, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour l'intéresser à cet art difficile. Croyez-moi, il n'y a rien à en tirer. Vous ne réussirez qu'à le dégoûter davantage de la musique pour laquelle son intérêt est limité. Je peux lui donner un bagage solide si vous voulez mais votre fils s'intéresse au dessin, il manque de technique mais ça s'apprend.

- Vous suggérez que je lui trouve un professeur de dessin plutôt que de musique, c'est cela ?

- Oui.

- Vous perdriez votre place ?

- Je le sais mais je préfère être honnête et j'ai eu la chance de pouvoir vivre ma passion grâce à la compréhension et à la générosité de mes parents.

- J'apprécie votre honnêteté. Pensez-vous qu'il possède le minimum de connaissances requises en musique ?

- Oui, je le pense. S'il veut un jour retourner vers la musique, il aura suffisamment de connaissances pour cela.

- Bien. Merci.

Lorsqu'il sort du bureau, Florentin se demande s'il a pris la meilleure décision. Il vient de perdre une place bien payée mais il sait qu'il a fait ce qu'il fallait. Et donner des cours à un enfant si jeune l'ennuie mais il a au moins eu le temps de travailler sur ses compositions.

Alors qu'il est en train de faire ses bagages, le violoniste sent une présence derrière lui. Il se retourne et il se trouve face au père d'Hugo qui le questionne sur son départ.

- J'avais pensé... bafouille le jeune homme.

- Restez donc un mois, le temps d'inculquer à mon fils les connaissances minimales. Vous vous y connaissez en dessin ?

- Un peu.

- Bien, vous lui donnerez également des cours de dessin. J'augmenterai vos gages en conséquence le temps de lui trouver un professeur. Si cela vous convient...

- Oui, ce sera parfait.

- Bien, vous êtes, je crois en retard pour votre leçon de musique.

Le violoniste empoigne son instrument pour rejoindre son jeune élève à qui il explique les changements à venir. Il le fait jouer un peu de musique avant de l'autoriser à se mettre au dessin.

Le lendemain, Florentin parcourt la ville à la recherche d'un magasin d'instruments de musique. Il en ramène deux petites flûtes en bois et une méthode qu'il offre à l'enfant.

- Ton père tient absolument à ce que tu joues. C'est un instrument bien plus simple que le violon, je n'y connais pas grand chose mais j'ai trouvé une méthode. A nous deux, nous devrions nous en tirer rapidement.

Hugo fait la moue mais il comprend que c'est la meilleure solution pour satisfaire son père. Sans entrain, il se met à la flûte sous la direction de son professeur de musique qui n'est guère plus doué que lui. Ils travaillent de longues heures durant un mois jusqu'à ce qu'ils arrivent à un résultat. Au vu de la motivation de son fils pour le satisfaire, son employeur donne congé à Florentin qui quitte son élève à la fin du mois de mars. Après deux mois dans la maison, Florentin plie bagage, son contrat est terminé et il a eu l'occasion de croiser le professeur de dessin qui va le remplacer, à l'heure du repas. Les deux hommes ont longuement discuté du travail accompli et de leurs projets. C'est empli d'émotion que le jeune homme fait ses adieux à son élève qu'il voit plus épanoui qu'à son arrivée. Comme cadeau d'adieu, il lui offre une boîte de peinture et un petit chevalet pliable et aisément transportable. L'enfant le remercie et il lui offre une petite boîte à musique qu'il n'utilise plus depuis longtemps. Touché de cette attention délicate, Florentin serre longuement Hugo contre lui avant de quitter la maison.

En ce début du mois d'avril, le temps s'est radouci. Le musicien regrette de n'être pas resté plus longtemps ; s'il a aimé tenter d'amener le garçon vers la musique, il avait espéré trouver une place et un revenu fixes. Il a pu honorablement travailler sur ses créations qu'il brûle d'envie de tester sur un public. Il a surtout écrit des airs pour les bourgeois qu'il avait espéré impressionner contrairement à ses goûts. Il ne pourra pas présenter ses pièces sur les places de village, il va devoir ressortir ses partitions. Il apprécie de marcher de nouveau au grand air et c'est en chantonnant qu'il pousse la porte d'une auberge le soir venu. Il remarque alors qu'il a perdu sa bourse en cours de route, il n'y avait pas mis grand chose, jugeant plus prudent de garder la majeure partie de ses économies bien cachées au fond de son sac. Mais cet incident affecte sa bonne humeur.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 12 septembre 2018 à 07h37
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