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tome 1, Chapitre 7 tome 1, Chapitre 7

Un matin, la femme de chambre qui fait office de gouvernante entre sans bruit dans la chambre pour prévenir Victoire qu'il est temps qu'elle se lève, elle ouvre les rideaux de la jeune fille en lui disant que l'heure de son réveil est arrivé. Elle se retourne pour la secouer par l'épaule et elle pousse un cri strident en remarquant les deux formes enlacées. Réveillés en sursaut, les deux jeunes gens ne peuvent feindre s'être endormis dans les bras l'un de l'autre devant le père de Victoire accouru au cri de la servante. Paralysés de se trouver ainsi découverts, ils n'ont pas l'idée de se séparer et Florentin se sent pris au piège, il sait que sa légèreté a causé sa perte. Face au notaire, ils ne peuvent nier l'évidence et Florentin est sommé de préparer ses bagages puis de se présenter au bureau de son employeur pour recevoir ses gages d'une voix glaciale sous le regard méprisant de ce dernier.

Les larmes aux yeux, le jeune musicien prépare son maigre bagage en se demandant s'il ne pourrait pas proposer à Victoire de venir avec lui mais il n'ose pas aller la voir. Enfermée dans sa chambre, il l'entend pleurer lorsqu'il passe devant sa porte mais il n'a pas le courage d'aller la consoler ou même de glisser un billet sous sa porte. Un bref instant, il pose ses doigts sur le bois de la porte avant de continuer son chemin, les épaules basses. Il entre un moment dans le salon de musique, déjà nostalgique à l'idée de ne plus revenir en ces lieux où il a été heureux durant

Florentin reçoit ses gages et sous les questions insistantes de son employeur, il avoue l'étendue de sa faute, les yeux baissés, rouge de honte. En cet instant, il songe que si ses parents étaient encore en vie, il les aurait déshonorés.

- Vous avez osé ? Dire que depuis sept mois, je vous ai nourri, logé et laissé bien plus de liberté que vous pouviez en espérer au vu de votre position de domestique. Je retarderai le mariage de ma fille jusqu'à avoir l'assurance que votre faute restera sans conséquences.D'ici là, je vous défends de quitter la ville. Si le mariage de Victoire ne se fait pas par votre faute, mes hommes de loi vous traqueront sans répit et vous paierez au prix fort votre légèreté. Je ne laisserai pas l'avenir de ma fille pour qui j'ai trouvé un bon parti et la réputation de ma famille détruits par la faute d'un artiste de bas étage sans talent, sans envergure, sans le sou et sans vergogne.

Le jeune homme ne sait que dire pour tenter de se justifier et il décide de se taire ; les yeux baissés, il attend la fin du long sermon que le notaire lui fait d'une voix forte avant de s'excuser une dernière fois de sa légèreté, les joues pâles. Puis il quitte la maison, son bagage à la main, soulagé de ne croiser personne, la mine défaite et des larmes coulant en abondance qu'il n'a pas la présence d'esprit d'essuyer. Devant la maison, il lève les yeux vers la fenêtre de Victoire mais il ne la voit pas qui le regarde partir, cachée derrière le rideau. Il adresse un timide signe de la main en direction de la fenêtre avant de quitter les lieux. Il va à la banque retirer ses économies et il erre tout le jour sans savoir où aller. Les épaules basses, il porte son instrument à bout de bras tel un fardeau et il n'a pas la force de jouer. Il finit par le ranger avant de s'arrêter à l'angle d'une rue pour décider de la conduite à tenir. Sa bourse pleine le rassure et il rejoint une auberge où il prend une chambre. Là, seul, il peut laisser libre cours à ses larmes et à son désespoir. Epuisé par ses pleurs, il finit par s'endormir le cœur lourd. Le lendemain après une mauvaise nuit, Florentin envisage de quitter la ville mais il se souvient qu'il ne peut pas. Il n'a pas envie de croiser son ancien employeur et jouer dehors ne lui semble pas une bonne idée. Il pourrait chercher un emploi comme musicien mais il n'ose pas, de crainte que sa mauvaise réputation ne se soit ébruitée.

Un peu inquiet, il passe une journée à pleurer sur son sort avant de se décider à faire le tour des tavernes dans l'espoir de se voir indiquer où un emploi à sa portée serait disponible. Alors qu'il parle avec un journalier avec qui il fait une partie de dés sur un coin de table dans le fond de la salle à l'abri des regards, celui-ci lui indique un tavernier qui cherche quelqu'un pour l'aider à faire le service. Le jeune homme s'y rend le cœur lourd et il est rapidement engagé lorsque le tavernier, homme de haute taille à l'air jovial dans la force de l'âge, apprend qu'il sait lire, écrire et compter. Florentin passe des jours d'ennui à satisfaire les clients, tenir le livre de comptes et rédiger quelques courriers, il aurait préféré pouvoir pleurer à son aise mais son emploi l'en empêche et il serre les dents tout le jour derrière un sourire et une jovialité forcés. Il envisage de partir mais il se souvient qu'il doit attendre des nouvelles qui tardent à venir et qu'il n'a pas de lieux où aller ou de famille où trouver du soutien et un foyer.

De chagrin, il se ruine pour acheter des partitions qu'il retravaille à son goût pour attirer un public lorsqu'il reprendra sa vie de musicien ; lors de ses moments de liberté, ces dépenses qu'il sait déraisonnables achèvent de faire fondre son maigre pécule. Bientôt, il contracte des dettes pour parvenir à garder sa chambre et lorsqu'il reçoit son salaire hebdomadaire, il ne lui reste plus grand chose pour survivre une fois sa dette épurée. Triste, il n'a guère d'entrain et son employeur passe son temps à lui dire de sourire pour ne pas effrayer le client. Le musicien sourit machinalement mais il reprend sa mine triste. Chaque soir, il pleure longuement la jeune fille qu'il aime et il travaille d'arrache-pied jusque tard dans la nuit, composant des airs mélancoliques. Bientôt épuisé, il accumule les erreurs et son patron ne cesse de le réprimander. Chaque jour, le tavernier perd un peu plus patience face à ce jeune homme un peu trop rêveur même s'il est plein de bonne volonté et Florentin, face aux reproches, se sent de plus en plus en difficulté et pas à sa place. Survient un jour où il renverse le tonnelet de bière où il venait remplir un pichet. Il s'est appuyé dessus debout, le bassin contre le haut du récipient, une mélodie en tête. Florentin tout à son rêve n'a pas pris en compte le fait que le tonnelet était à moitié plein et il l'a renversé pesant dessus de tout son poids. Excédé, le tavernier le chasse après lui avoir donné son gage amputés de la moitié d'un tonnelet de bière après lui avoir longuement fait nettoyer la pièce.

Le musicien part à la nuit tombée par une nuit encore froide de la fin novembre. Il frissonne et la lassitude le gagne, il n'a pas la force de reprendre sa vie d'errance après les mois passés dans le confort d'une maison bourgeoise, même s'il n'est pas mécontent de quitter son emploi à la taverne. Souvent, il ne peut retenir ses larmes au souvenir de la jeune fille et la mélancolie le gagne. Sans appétit, Florentin dort peu et il marche d'un pas traînant sur les routes qu'il emprunte, il avance peu et il n'est pas rare qu'il n'ait pas parcouru durant la journée une distance suffisante pour atteindre un village où il pourrait dormir dans une église ou trouver la charité avant de rejoindre la ville au matin. Frigorifié, il dort recroquevillé dans des fossés et sa santé commence à s'en ressentir. Fatigué et malade, le jeune homme finit par se dire qu'il doit faire attention s'il ne veut pas mourir de froid et de faim. Cette effrayante perspective lui donne la force de cesser d'errer au hasard des chemins, il recherche une ville d'importance moyenne où il espère passer la nuit. Réfugié dans une église avec un autre compagnon d'infortune avec qui il discute longuement, le jeune homme se sent moins seul. Le vagabond lui apprend qu'il vit de mendicité depuis son enfance et la mort de ses parents mais il apprécie sa liberté. Mais lorsqu'il s'éveille, son compagnon a quitté les lieux et il se sent de nouveau seul. Il décide de jouer un peu dans l'édifice désert intéressé par l'importante hauteur de plafond qui laissera le son s'épanouir. Mais son violon est muet, il a beau passer les crins de l'archet enduits de colophane sur les cordes, rien ne se passe. Florentin se sent abandonné par son compagnon de voyage et il s'assied sur un banc en pleurs, il se souvient des bras de Victoire qui elle aussi l'a abandonnée, tout comme ses parents et leurs amis, ses amis d'enfance, il se sent seul et il laisse les larmes s'écouler. Puis d'un mouvement décidé, il se lève et il empoigne le violon qu'il installe sur son épaule.

- Tu ne vas pas t'y mettre, toi aussi ! Joue ou je te désosse morceau par morceau pour trouver ce qui ne va pas chez toi ! s'emporte le violoniste excédé.

Le violon lutte, il voudrait jouer pour contenter son maître qui lui porte tant d'estime mais le lieu saint entre en conflit avec l'essence de son créateur. Avec difficulté, l'instrument se résigne à jouer malgré son âme déchirée et c'est un son déchirant qui en sort. Florentin, surpris par ce miaulement aigu qui a résonné contre la voûte s'arrête, interdit. Il examine l'assemblage d'ébène et d'argent sans comprendre. Tendrement, il place l'instrument sur son épaule et il lui murmure d'un ton empli de désespoir, prêt à pleurer :

- Je t'en prie, j'ai le cœur lourd, joue pour moi, pour nous, je n'ai pas les moyens de te faire réparer. Je n'ai que toi, tu comprends ?

Alors l'instrument produit un son étrange, un peu aiguë mais suffisamment clair pour satisfaire son maître. Le Diable qui regarde la scène, confortablement allongé sur son tapis moelleux, ricane. Son violon vient de perdre une manche et le petit musicien qu'il avait sous-estimé est plus tenace qu'il ne l'aurait cru. Son instrument a bien choisi son maître à la vérité et il se délecte de la suite, les Hommes sont tellement imprévisible qu'il s'attend à de bonnes surprises dans l'avenir. Satisfait, il se désintéresse de la suite et il se replonge dans un conte populaire le mettant en scène qui l'amuse au plus haut point.

Florentin, en sueur, range son instrument, il a dû lutter durant de longues minutes pour que son archet produise un son, les cordes semblaient ne pas vouloir obéir à de légers coups d'archet et il a dû appuyer plus que de coutume pour faire vibrer les cordes. Un peu apaisé, il remercie le violon de sa coopération. Puis, il s'allonge sur un banc pour tenter de dormir un peu son instrument entre les bras. Son avenir immédiat l'inquiète mais il se rassure, demain, il verra demain, dans l'immédiat, il est à l'abri malgré le froid et il doit dormir.

Un jour de pluie, il va se promener hors des murs de la ville retrouvant la campagne qu'il affectionne. Il imagine la jeune fille qui l'aime dans sa maison non loin du lieu où il se trouve et il lui adresse des baisers qu'il imagine portés par le vent jusqu'à l'objet de son amour. Il se met à pleuvoir à verse et il court droit devant lui, dans l'espoir de trouver un abri. Il ne voit qu'un dolmen et il s'arrête interdit. Il ne croit pas en Dieu et au Diable mais les vieilles légendes et les vieilles superstitions lui font peur en cet instant. Trempé, il se décide à s'abriter sous la table de pierre murmurant aux esprits anciens de ce lieu qu'il ne veut pas les déranger mais qu'il est seulement seul et triste. Là, il laisse ses sanglots le secouer couverts par le bruit de la pluie qui tombe. Il regrette d'avoir laissés son violon à l'auberge et il se roule en boule contre une des pierre qu'il enlace de ses bras, il se sent petit et ridicule face à l'univers et à ses forces invisibles.

xXxXx

Son bagage sur l'épaule, le musicien franchit les portes de la petite ville lorsqu'il se souvient qu'il lui faut attendre plusieurs semaines pour quitter les lieux. Agacé, Florentin sait qu'il ne peut rester longtemps ici, il ne gagnera jamais de quoi vivre, il doit repartir. Et il a trop de souvenirs dans cette petite ville pour y demeurer, il doit panser les plaies de son cœur au loin. Le jeune homme se fige, debout au milieu de la rue, il se souvient qu'il n'a pas fini de payer les traites de son violon ce qui s'ajoute encore à ses frais à venir. Il regrette de s'être montré si imprudent et dépensier mais il est trop tard. Le musicien n'a que la force de retourner sur ses pas, le cœur lourd, son chapeau masquant autant que possible son visage. Il sait que son pécule s'épuisera rapidement, il lui faut vivre durant plusieurs semaines et sans revenu, il sera condamné à vivre de mendicité de nouveau et après ces semaines dans un confort agréable, il ne s'en sent pas la force. Le jeune homme arpente la ville à la recherche d'une idée lorsqu'il tombe sur un petit théâtre sans prestige au détour d'une rue. Il s'époussette et se recoiffe soigneusement avant de pousser la porte des lieux. Un homme bien mis relève la tête à son entrée.

- Le théâtre est fermé à cette heure, monsieur. Revenez ce soir.

Puis il crie d'une voix forte :

- Qui a laissé la porte ouverte ? Qu'on aille me la fermer ! J'ai dit des milliers de fois, pas de visiteurs en-dehors des heures d'ouverture.

Il se retourne vers Florentin à qui il renouvelle sa demande.

- Vous êtes sourd ?

Le jeune artiste hésite à obtempérer mais il se ravise, il n'est pas certain d'avoir le courage de revenir en ces lieux.

- Je suis désolé de cette intrusion mais je suis violoniste et je me demandais si vous auriez un emploi à me proposer. Je...

- Non, je n'ai rien pour vous, partez, vous nous dérangez ; la répétition va commencer et c'est toujours un moment de panique pour tout le monde, ça s'agite dans tous les sens comme dans une volière. Vous n'imaginez pas le désordre qui règne en ces lieux en ce moment même !

Le jeune homme s'empourpre avant de tenter de nouveau sa chance.

- Je suis compositeur et peut-être que quelques-unes de mes pièces vous intéresseraient ?

Son intérêt éveillé, le directeur tend la main vers lui sans un regard vers lui, occupé à faire ses compte de l'autre main d'un trait de plume malhabile qui macule le mauvais papier de taches noires et le violoniste fouille dans son sac pour trouver la liasse de ses partitions tout au fond. Le regard désapprobateur de l'homme le met mal à l'aise et le violoniste le regarde tourner les pages sans un mot, il n'a montré ses dernières compositions qu'à Victoire qui était son amie. Les larmes lui montent aux yeux à son évocation mais il se contient.

- Vous pouvez jouer ces pièces ? Elles me semblent techniques... reprend l'homme.

- Oui, bien évidemment. sourit son interlocuteur. Je les ai écrites.

- C'est ce que je suis en train de vous dire, mon jeune ami. VOUS pouvez jouer ces pièces mais les autres ? Et ces feuillets me désolent au plus haut point, c'est à se demander où vous les avez traînées. Bien, vous avez de la technique, des idées et un talent certain pour composer. Mais tout ceci ne m'intéresse pas. dit-il en lui rendant la liasse.

Florentin les reprend, la mine triste et il s'apprête à quitter les lieux lorsque le directeur reprend.

- Pouvez-vous créer des pièces simples ?

- Oui, sans problème. ment le violoniste.

- Parfait, je vous donne une avance. Vous voyez la boutique juste en face du théâtre au fond à droite sur la petite place ? Vous allez m'acheter une serviette de cuir. Ensuite, vous me classerez vos créations par thème ou chronologiquement peu m'importe mais par pitié, ne les rangez plus en vrac au fond de votre sac !

- Mais je les dépose toujours avec soin au fond de mon sac enveloppées dans un linge avec mes vêtements par-dessus. proteste le jeune homme face à cette intrusion dans ses affaires.

- Suffit ! Je ne veux plus rien entendre ! Revenez quand vous travaillerez avec sérieux. Un homme qui prend soin de ses affaires les mène correctement ; un homme qui ne range pas ses affaires ne les prend pas au sérieux, jeune homme. Dehors ! dit l'homme en le chassant d'un geste de la main avant de se détourner de lui.

Avec un soupir, Florentin dépose son bagage et s'exécute de mauvaise grâce, il s'en veut de ne pas y avoir songé lui-même. Jusqu'au soir, assis au fond de la salle de spectacle, il classe et range ses partitions étalées autour de lui. Satisfait, il présente le fruit de son travail de l'après-midi au directeur du théâtre qui les étudie d'un air de connaisseur.

- Hum, il y a de bonnes choses, de la technique, un peu trop, de l'idée, un peu trop, de la variété, un peu trop là encore pour être accessible au public. J'ai commandé un spectacle et le filou est parti avec son paiement sans avoir terminé le travail. Je le retrouverai et il paiera, ce n'est qu'une question de temps. Il me manque la scène d'entrée et le dernier acte. Et vous devez reprendre le troisième acte, il est incohérent au possible. Voici ce que le compositeur a fait, vous compléterez en restant dans le même style. Je vous paierai à réception du travail. dit-il en lui tendant une liasse.

- Je... Je suis dans la gêne actuellement, accepteriez-vous de me payer à réception pièce par pièce ?

- Ces artistes sans le sou sont tous les mêmes ! soupire l'homme. Bien, bien. Je vous paierai au fur et à mesure de la réception des pièces. Fournissez-moi la scène d'entrée, elle doit durer cinq minutes et vous aurez votre premier paiement. Il y a une auberge à bon marché juste en face si vous n'avez nulle part où loger.

Florentin salue et il observe le théâtre. Il remarque l'entrée sans ornement et il évalue l'habit des personnes qui se croisent dans l'entrée. Il aperçoit la salle principale par la porte ouverte et le musicien juge que le théâtre n'a guère de moyens. Ils n'ont pas parlé paiement mais il se résigne à ne gagner que de quoi survivre mais il n'a guère le choix s'il ne veut pas jouer dans les rues. Après avoir loué une chambre, il se met au travail.

Les jours suivants, le musicien dort peu, pressé de finir ce qu'on lui a commandé et de recevoir son premier paiement. La musique est simplissime et sans risque, il s'énerve de perdre son temps à tenter d'harmoniser de telles fadaises, il en vient à croire que le compositeur a réuni des pièces éparses sur lesquelles il a mis des paroles fades et insipides sans se soucier de l'ensemble. Enfin, il présente sa proposition qu'il joue dans le cabaret silencieux. A la demande du directeur, il chante les ridicules paroles pour accompagner sa musique. Satisfait, son employeur lui fournit un premier paiement qui le rassure sur son avenir immédiat. Occupé à travailler ses musiques qui ne l'intéressent guère et à contrecœur dans sa petite chambre d'auberge,, il oublie quelque peu ses ennuis, heureux de voir son travail apprécié même s'il l'adapte aux goûts du public et qu'il est insatisfait de ce qu'il fournit. Mais son commanditaire le paie convenablement et le jeune homme profite de cette manne financière pour travailler ses propres compositions en parallèle ne se refusant aucune fantaisie. De nouveau, il dort peu pour continuer à écrire la musique qui lui emplit la tête et corriger ses propres compositions. Peu à peu, il se met à haïr les travaux qu'on lui demande, il rougit à l'idée de voir son nom associé à ce travail qu'il juge dégradant et il demande à les signer d'un pseudonyme ce que le directeur accepte sans discuter, habitué aux artistes et à leurs caprices. Peu lui importe tant qu'il peut monter le spectacle qu'il projette au plus vite. Florentin perd rapidement toute motivation pour ce travail mais il doit l'honorer s'il veut être en mesure de faire ce qui lui plaît. Il bâcle rapidement la commande pour être payé au plus vite et c'est empli de honte face à ce travail indigne de lui qu'il se présente au directeur à la fin du mois de février pour lui donner les dernières pièces, date qu'il s'était fixée pour terminer ce travail. Durant trois mois, il s'est penché sur cette mauvaise musique et il n'a qu'une hâte, s'en défaire au plus vite. Le directeur fait jouer l'intégralité de la pièce et il s'estime satisfait, une bourse bien remplie scelle la fin de leur collaboration au grand soulagement du compositeur.

De retour dans son logis, Florentin trouve un billet lui annonçant qu'il peut quitter la ville ce qu'il fait le soir même après avoir donné tout l'argent qu'il possède pour payer ses dettes. Malade d'amour, honteux et sans un sou, il se couche soulagé. Victoire hante ses rêves et il pleure dans son sommeil agité. Le lendemain, le jeune homme s'occupe de faire entretenir son instrument chez un luthier. Sitôt son bien récupéré, il plie bagage pour reprendre sa route, pas mécontent de voir se tourner cette page de sa vie. Il a survécu à un hiver de plus.

xXxXx



La nouvelle année s'annonce mais le violoniste n'a pas le cœur à la fêter. Une année de plus à errer et voir ses espoirs sans cesse déçus. Il feuillette son recueil de Pierre de Ronsard et retrouver les poèmes familiers qu'il a étudié dans sa jeunesse l'apaise quelque peu et il souhaite, en pensée, une bonne année à ses parents et à la belle Victoire où qu'ils soient, plein d'espoir pour cette nouvelle année. Il passe une dernière fois devant la maison où il a vécu quelques mois en sa compagnie, son chapeau enfoncé bas sur ses yeux. Des larmes coulent sur ses joues et il les essuie tandis que des sanglots franchissent ses lèvres. Après un dernier regard, il court dans les rues manquant de glisser à plusieurs reprises sur les pavés couverts de neige. Il ne ressent pas le froid de cette nuit d'hiver et les flocons qui le recouvrent d'une fine pellicule blanche. Il finit par se réfugier dans sa chambre en pleurs. Il se souvient des fêtes brillantes où sa famille était conviée à cette occasion et il fredonne un air, perdu dans ses souvenirs, le cœur douloureux et les larmes aux yeux. Triste, il descend dans une taverne acheter une bouteille qu'il boit, seul dans sa chambre avec l''espoir de chasser de sa pensée ses espoirs pour cette année nouvelle. Après une année d'errance, il ne se sent plus la force de vivre et il espère que l'alcool qu'il ingère pour apaiser ses tourments lui donnera un regain d'espoir.

Quinze jours plus tard, son anniversaire ravive la douleur qui commençait à s'estomper un peu. Il se rend compte qu'il vagabonde depuis deux ans et demie et qu'il n'a pas fait tout ce qu'il aurait pu pour améliorer sa situation. Il aurait dû penser un peu plus à l'avenir et chercher un emploi fixe, mettre de l'argent de côté pour peu à peu retrouver sa condition première mais il ne s'en sent pas la force et il n'a pas la patience d'entamer ce travail de longue haleine, seul et sans soutien. Il songe que ses amis auraient pu l'aider, lui prêter de l'argent pour trouver une place mais ils n'en ont rien fait. Sa solitude lui pèse plus que jamais et il décide qu'il ne peut rester seul en ce jour. Florentin se rend dans une taverne où il s'enivre pour chasser sa douleur. Les yeux troubles et une migraine encerclant son crâne, il feuillette le recueil de Ronsard qui l'accompagne depuis plusieurs mois, cherchant dans les vers si doux du poète l'apaisement de son âme. Il lit, de longues heures durant, ses lèvres formant silencieusement les mots dans la taverne bruyante. Le musicien se souvient de son espoir de retrouver son rang social et il réfléchit aux options qui s'offrent à lui. Il peut tenter d'approcher la bourgeoisie des grandes villes dans l'espoir d'attirer l'attention de grands personnages influents et leur plaire.

Après quelques jours de repos, il reprend sa route. Le jeune homme a décidé de se rapprocher des grandes villes dans l'espoir d'approcher la bourgeoisie et de trouver une place bien rémunérée. Une carriole le mène dans une grande ville contre espèces sonnantes et trébuchantes. Transi de froid durant les longues heures de trajet, il regrette ses longues marches dans la campagne qui le réchauffaient quelque peu. L'ennui le gagne bientôt et il s'absorbe dans sa lecture pour passer le temps. Les cahots de la carriole le bercent et il se laisse aller à ses rêveries. Durant des heures, le trajet se poursuit lorsque le marchand le dépose loin de son point de départ. Il ignore où il se trouve mais il commence à avoir l'habitude de se retrouver seul. Il s'installe dans une auberge dans la ville et il prend quelques jours de repos. Puis il cherche une place dans les quartiers bourgeois sans succès, personne n'a besoin d'un professeur de musique ou d'un musicien. Il compose pour passer le temps mais il ne peut rester longtemps sans revenus, il le sait et il doit rapidement trouver une solution.

Au début du mois de février, Florentin erre dans les rues d'une petite ville proche de la mer. Il y est arrivé par hasard en montant dans la carriole d'un marchand, heureux de trouver quelqu'un avec qui faire la conversation en échange du voyage. La ville lui est plaisante avec ses maisons en pierre de granit et ses toits en ardoise Il entend la mer au loin et il commence par se rendre sur la plage où il marche un long moment sur le sable. Le bruit de la mer l'apaise et le vent froid lui pique la peau ce qui ne lui déplaît pas. Il se sent vivant et vidé de ses souffrances comme si le vent aspirait la peine de son cœur trop lourd. Le jeune musicien pense à son projet pour retrouver une position sociale satisfaisante et il sait que la petite cité ne lui sera d'aucune utilité dans ce dessein. Il y trouvera au moins de quoi vivre durant quelques temps, il l'espère. Durant plusieurs jours, il frappe aux portes des maisons des quartiers riches dans l'espoir de trouver une place de professeur ou de musicien pour des soirées. Mais nul n'a besoin de ses services, des musiciens reconnus jouent durant les soirées et les occasions particulières.

Le jeune homme s'est logé dans l'auberge la moins chère de la ville mais il voit sa bourse se vider peu à peu. L'angoisse l'étreint et il pleure souvent dans la solitude de sa chambre glacée. Le froid l'empêche de dormir et la fatigue commence à avoir raison de lui ; la mélancolie le reprend après une période d'accalmie. Le sommeil et l'appétit le quittent et Florentin s'épuise à tenter de travailler sur son instrument dans l'espoir de retrouver la paix. Son manque de succès dans cette entreprise achève de ruiner son moral et un matin, il se force à aller marcher un long moment sur la plage. Il se sent seul au monde et il imagine ses parents et ses amis d'autrefois autour de lui, il tend ses mains pour prendre leurs mains invisibles et il marche ainsi un long moment, main dans la main avec les fantômes de son passé. Les larmes coulent sur ses joues et le vent emporte ses sanglots au loin.



Le lendemain, une toux rauque et un froid glacial le prennent alors qu'il se lève. Seul dans sa chambre froide, le musicien gémit de douleur et de solitude. Il tend la main dans le vide avec le secret espoir qu'une âme charitable la lui prenne. Il appelle en vain sa mère, son père, Victoire, Cérès la jument blanche, son frère et sa sœur morts en bas âge bien avant sa naissance mais personne lui répond dans le silence de la chambre anonyme où il se trouve. Il revoit sa chambre et sa maison qu'il visite en pensée, il entend sa mère et son père chanter ensemble. Puis la vision s'efface et il se retrouve seul, les larmes coulant sur sa joue jusqu'à mouiller ses cheveux étalés autour de lui. Puis un voile s'abat sur lui et il sombre dans une demi-conscience.

Dans la brume où vogue son esprit, Florentin entend la musique un peu sourde des cordes d'argent qui vibrent propageant le son à l'instrument d'ébène. L'âme d'arbre du diable palpite tel un cœur dans l'écrin de bois précieux qui est le sien. Le jeune homme sourit, la présence le réconforte. Mais lorsque le soir venu, l'aubergiste vient demander le paiement de la chambre, le violoniste se rend compte qu'il n'a plus un sou. Forcé de plier bagage malgré son état, il empoigne son violon lorsqu'il se souvient l'avoir entendu chanter pour lui durant toute la nuit. Inquiet de se rendre compte qu'il a déliré, le jeune homme, mal en point se retrouve une fois de plus à la rue son bagage sur l'épaule. Il trouve refuge sous un pont où il s'effondre en pleurs, la fièvre le consumant.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 24 juin 2018 à 08h06
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