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tome 3, Chapitre 5 « Lord Trewmorley » tome 3, Chapitre 5

Le château principal demeurait en très grande partie inhabité ; lord Roman Trewmorley ne s’était réservé que quelques appartements au premier étage. Il vivait avec un vieux serviteur qui lui tenait lieu aussi bien de valet de pied que de cuisiner – mais certes pas de jardinier, à en croire l’état du parc. Le petit salon où il les invita gardait bonne figure : les murs d’un vieux rose orné de motifs gris perle avaient bien enduré les années. Un poêle de faïence ronflait dans un coin.

Irina avait pu ôter son lourd manteau et libérer de son épais chapeau de feutre sa courte chevelure blonde. Lord Trewmorley, qui manifestait cet abord un peu gauche des hommes que leur passion éloignait de la société, s’était malgré tout empressé pour leur faire bon accueil. Son valet leur avait apporté du thé légèrement éventé et des biscuits un peu rassis, mais encore mangeables. La jeune femme, qui n’avait pas plus de talent mondain, trouva cet effort plus que louable.

« Bien, lord Trewmorley, et si vous nous racontiez tout ? » déclara Campbell avec ce léger accent écossais qui transparaissait seulement quand il était fatigué et qui le rendait si charmant aux yeux d’Irina.

Le seigneur du lieu poussa un soupir et s’assit en face d’eux, examinant le fond de sa tasse ébréchée avant d'expliquer :

« J’ai des projets très particuliers pour cet endroit. La rivière forme un bras où je trouverais très intéressant de faire bâtir un petit barrage hydroélectrique, qui me fournira l’énergie nécessaire pour la suite de mes travaux !

— C’est une magnifique idée ! » s’enthousiasma Irina.

Le regard gris de lord Trewmorley s’éclaira :

« N’est-ce pas, miss Blair ? Pouvoir se passer de cette horrible fumée de charbon qui charge l’air et noircit tout serait une amélioration remarquable ! Mais hélas, ce satané Frederiks ne veut rien entendre ! »

Il leva les bras au ciel :

« Même si ce terrain appartient légalement à ma famille et qu’il a usurpé son droit, je lui ai proposé une belle somme, vous pouvez me croire ! J’ai l’habitude de vivre assez chichement, mais je dispose encore d’une assez belle fortune ! Mais cet homme m’a répondu qu’il s’y refusait… par principe ! Est-ce que vous pouvez croire cela ? »

Irina hocha gravement la tête en signe de soutien. Décidément, le seigneur des lieux lui plaisait de plus en plus. Brent dissimulait derrière sa main un sourire suspect. La jeune femme le fusilla du regard.

« Et vous avez créé ce loup en pensant que si plus personne ne voulait s’installer sur les lieux, il finirait par vous céder cette parcelle ? reprit Campbell.

— Oui… avoua le châtelain. Ce n’était pas la meilleure des idées, mais j’aimais assez le défi que cela représentait.

—  Si votre adversaire parvient à prouver que vous êtes l’auteur de cette mystification, vous n’aurez plus la moindre chance de gagner votre procès ! Avez-vous déjà rencontré Frederiks ? »

Un silence un peu gêné s’installa dans le salon rose. Le lord se racla la gorge avant de répondre :

« À vrai dire… non. Nous ne nous parlons que par avocat interposé.

— Est-il au courant de votre projet de centrale électrique ? Et des avantages qu’elle pourrait apporter à la région ? »

Le lord se frotta la nuque, de plus en plus embarrassé :

« Eh bien… non plus. Je me suis refusé à voir cet individu ! Nous communiquons par avocats interposés…

— Monsieur Frederiks semble pourtant beaucoup aimer les innovations en tout genre, musa le docteur féérique. Peut-être pourriez-vous parvenir à un arrangement. Après tout, c’est la centrale qui vous importe, pas ce misérable bout de terre. »

Irina écoutait son partenaire avec intérêt. Elle ne pouvait s’empêcher d’admirer son habileté dans le domaine des relations humaines – le peuple féérique et les esprits en tout genre n’étaient pas les seuls qu’il comprenait instinctivement. Et sans doute avait-il abordé un point important.

« Alors, vous me conseillez… de le rencontrer ?

— Vous n’avez rien à perdre. Compte tenu des circonstances, mister Frederiks pourrait même se sentir soulagé. »

Trewmorley tomba dans un silence pensif :

« Ce que vous dites n’est pas faux, mister Campbell, admit-il d’une voix tremblante.

— Nous possédons aussi quelques relations de notre côté, renchérit Irina. Elles pourront servir d’intermédiaire avec Frederiks ! »

Le visage mince du lord s’éclaira :

« Vous ferez cela pour moi, miss Blair ? »

La jeune femme lui adressa un sourire chaleureux :

« Bien sûr ! Mais je demanderai quelque chose en contrepartie !

— Tout ce que vous voudrez ! »

Elle éclata de rire :

« Ne vous engagez pas si vite. Je souhaite juste pouvoir venir admirer vos créations quand bon me semblera ! »

Le lord lui adressa un large sourire :

« Accordé ! »


Texte publié par Beatrix, 17 décembre 2018 à 01h41
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