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tome 3, Chapitre 4 « L'Atelier » tome 3, Chapitre 4

En contournant la dépendance, ils découvrirent une petite porte secondaire qui ne devait pas beaucoup servir, à l’état de ses huisseries. Irina força sans trop de mal la serrure. Ils se retrouvèrent dans un réduit encombré de caisses, qui sentait la poussière et le renfermé. Campbell lui désigna une issue qui les mena vers une vaste salle emplie d’étranges silhouettes, où elle reconnut l’odeur familière de la graisse et du métal… Ils se trouvaient dans un atelier !

Une rampe à gaz offrait un éclairage bleuâtre et tremblotant, qui leur permit de mieux distinguer ce qui les entourait : des sculptures, de bronze, de laiton, d’autres alliages… Parfois complètes, parfois démontées et en pièces éparses, qui laissaient apparaître des rouages complexes. Ils passèrent entre deux piliers, qui supportaient chacun une statue de géant tellurique qui lui rappela le fameux colosse des Apennins, à une échelle plus réduite. Leur patine vert-de-gris leur donnait un aspect aussi glacé, sous cette froide lumière, que la nature au-dehors. Irina entendit un grincement suspect ; elle eut l’impression bizarre qu’ils avaient tourné la tête pour les suivre du regard.

La jeune femme aurait dû éprouver un certain malaise, mais elle se sentait étrangement sereine dans cet univers qui évoquait un peu le sien. Elle admirait ce qu’elle identifiait comme de véritables chefs-d’œuvre du genre. Des sculptures somme toute assez ordinaires subissaient des modifications toutes plus audacieuses les unes que les autres, destinées à leur donner vie, avec une folle ingéniosité. Irina était comme une enfant dans une boutique de confiserie !

Au fonds de l’atelier s’élevait une musique sublime, qu’elle reconnut comme une valse de Chopin… ou peut-être une étude.

« Brent, suivez-moi ! »

Son partenaire réprima un frisson, mais la suivit avec une admirable constance. Après avoir un peu erré dans ce labyrinthe, ils finirent par apercevoir une femme automate revêtue d’une magnifique robe de cuivre, dont les mains émaillées courraient sur le clavier d’un piano entièrement plaqué de bronze.

Les notes s’égrenaient avec une nostalgie virtuose sous l’extrémité des doigts de métal, dotés d’un petit coussin de feutre pour adoucir leur contact sur les touches d’ivoire. C’était bien plus intéressant à contempler qu’un simple piano mécanique… et Irina se prit à l’écouter, se surprenant elle-même d’être ainsi tenue dans les rets de cette musique, dans cet entrepôt désert, par une nuit glacée d’hiver.

« Irina, souffla Campbell. Je l’ai trouvé ! »

Elle se détourna à regret et le suivit jusqu’à un espace dégagé ou se tenait, figée, la silhouette d’un énorme de loup. Une mécanique recouverte d’une toison de laine, sans doute conçue pour suivre toujours le même parcours.

« Pourquoi ? demanda le docteur féerique.

— Pour effrayer les fermiers de Frederiks…

— Je suis navré, Irina, ce n’était pas à vous que je m’adressai , répliqua Campbell en pivotant sur lui-même, pour regarder quelqu’un qui se trouvait derrière eux. Pourquoi avez-vous tant besoin de ce terrain, mylord ? Vous disposer de toute la place dont vous avez besoin, ici ! »

Irina se retourna à son tour pour observer celui qui venait de les surprendre. Mince, avec des cheveux blond cendré qui le vieillissaient un peu, il devait se trouver tout au plus en milieu de trentaine. Il portait un tablier de cuir par-dessus une veste de tweed tachée de graisse et constellée de brûlures. Il avait relevé sur son front noirci des lunettes de soudeur. Son visage étroit affichait une expression plus curieuse que courroucée.

« Vous avez une arme très intéressante », remarqua-t-il en se rapprochant d’Irina.

La jeune femme aurait dû se sentir inquiète, mais elle ne ressentait aucune hostilité de la part de l’homme. Tout au plus une légère perplexité.

« Vous ne travaillez pour Frederiks ? demanda-t-il d’une voix légèrement tendue.

— Bien sûr que non ! s’offusqua la femme blonde.

— Vous êtes venu voir mes créations ? »

Irina perçut dans sa voix un étrange espoir ; elle pouvait comprendre combien cet homme – ce génie – devait se sentir seul dans cette campagne reculée où son goût pour les automates le faisait prendre pour un fou. Elle soupira :

« Pas vraiment, non… Mais peut-être pouvons-nous en parler au chaud ?


Texte publié par Beatrix, 17 décembre 2018 à 00h56
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