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« Il n’y a plus de loups en Angleterre depuis le Moyen Âge ! grommela Irina Blair en resserrant autour d’elle les dix épaisseurs de châles dont elle s’était enveloppée. Vous devriez savoir ça, Brent ! »

La jeune femme n’aimait pas le froid. Elle pouvait apprécier la fraîcheur d’une journée enneigée, sous un rayon de pâle soleil, si elle avait la certitude de pouvoir regagner un intérieur chaud et confortable dès qu’elle commencerait à ressentir la morsure de l’hiver. Mais se retrouver en pleine campagne, sous l’abri précaire d’une bergerie en pleine nuit, ne faisait pas partir à son sens des plaisirs de saison.

« C’est bien pour cela qu’on a fait appel à Spiritus Mundi », répondit son partenaire avec gravité.

En dépit de sa fragilité physique, le docteur féerique aux grands yeux sombres bravait courageusement l’air glacé. Brent Campbell s’était contenté de passer un épais par-dessus de laine bleu roi auquel il avait ajouté une écharpe grise et une paire de gants fourrés. Irina ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour lui, mais il lui avait maintes fois prouvé qu’il était parfaitement capable de prendre soin de lui-même.

« Je me demande bien pourquoi c’est nous qui avons été choisis pour enquêter sur cette affaire.

— Vous le savez comme moi, Irina, répondit sereinement son partenaire. John et Hadria ne rentreront des États-Unis que la semaine prochaine, et mister Dolovian a jugé que c’était l’affaire parfaite pour roder notre collaboration sur le terrain et vous sortir un peu de votre retraite. »

La grande blonde haussa les épaules :

« Une affaire… C’est beaucoup dire ! Ce n’est sans doute qu’un chien sauvage.

— Les chiens sauvages n’ont pas des yeux de feu rouge.

— Oh. »

Elle se creusa la tête, cherchant d’autres arguments, mais ils commençaient à tourner court.

« Les chasseurs du village ont bien tenté d’envoyer leur chien à sa poursuite, poursuivit son compagnon, mais ils ont vite perdu la piste, comme si leur odorat avait été mis en échec.

— Avec la neige…

— Croyez-moi, ces animaux ont l’habitude de suite des pistes, même dans la neige. »

Irina poussa un long soupir en se pelotonnant sur le banc. Elle espérait que la créature ferait une apparition rapide et se révélerait n’être qu’un molosse errant, pour que cette affaire soit réglée au plus vite et qu’elle puisse retrouver son laboratoire. La campagne la rendait nerveuse, ses habitants plus encore.

Si la nature entière était couverte d’une fine couche glacée, les autochtones lui avaient paru tout aussi givrés que leur village. En particulier les deux « notables du coin » : l’un d’eux, Anthony Frederiks, était un gentleman-farmer londonien qui était venu s’installer dans le hameau six mois plus tôt et tentait de régenter tout le coin avec des méthodes d’agronomie révolutionnaires qui faisaient murmurer les paysans. L’autre, le descendant des nobliaux locaux, vivait reclus dans son manoir et avait la réputation d’être à moitié fou. Les deux hommes se disputaient un bout de terrain en bordure de la rivière à grands coups de recours en justice. Le Londonien y avait placé un métayer, qui avait pris peur à la suite de l’apparition du fameux loup aux yeux de feu. Grâce à quelques relations, Frederiks avait fait appel à Spiritus Mundi pour enquêter sur le phénomène.

Erasmus Dolovian avait d’abord tenté d’esquiver la demande, en prétendant qu’il n’était pas du ressort de Gladius Iare de se mêler de ce genre de chicanerie. Mais cela faisait déjà plusieurs mois que le duo de Schola Mysterium, la branche d’étude de la Fondation, réclamait de connaître le frisson du terrain. Et l’affaire promettait une mission facile et pas trop dangereuse pour des débutants peu aguerris aux périls impliqués.

Pour l’instant, songea Irina, ils risquaient surtout de se retrouver gelés sur place…