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tome 2, Chapitre 4 « Une apparition troublante » tome 2, Chapitre 4

Erasmus prit un moment pour s’appuyer contre la porte ; il éprouvait une sensation de vertige. Il en oubliait presque le présent de son protégé. Il se ressaisit, inspira profondément et partit ranger la traduction dans son bureau. Puis, sur un coup de tête, il alla chercher son manteau et décida d’affronter les frimas pour trouver quelque chose à offrir en retour à John.

Bien entendu, les librairies seraient fermées, mais peut-être pourrait-il se tourner un cadeau plus traditionnel… Quelque chose à manger, sans doute ? Le garçon s’accommodait de tout, mais à cet âge, on était forcément un peu gourmand.

Grâce à son autorité naturelle, il souffla un cab à un couple emmitouflé et vieillissant qui lui lança des regards offusqués. Malgré les encombrements et la neige qui couvrait la ville, il se retrouva rapidement au centre des quartiers commerçants où régnait une ferveur toute particulière. En dépit de l'heure, les rues bruissaient de monde ; les magasins demeuraient ouverts plus tard qu’à l’accoutumée, pour permettre aux célébrants d’effectuer leurs derniers achats avant de se rendre au réveillon puis à la messe de minuit.

Toute cette activité laissait généralement à Erasmus un sentiment mitigé où dominait l’agacement, mais cette fois, il éprouvait un étrange empressement, comme s’il s’était trouvé en mission pour la fondation. Ce genre de chose était-il fréquent, quand on était parent ?

Il repoussa cette idée avec horreur : il n’était pas le père de John, et il n’avait aucune intention de le remplacer. Il voulait seulement veiller sur lui tant que cela s’avérerait nécessaire et prendre les meilleures décisions pour lui assurer un avenir. Quelque chose lui soufflait à l’oreille que c’était justement cela, être parent, mais il refusait de l'admettre.

Il se fit déposer aux environs de Regent Street, magnifiquement décorée de couronnes et de guirlandes de sapin au-dessus des devantures et autour des réverbères, quand ce n’étaient pas des arbres entiers ornés de rubans rouge vif. Dolovian détourna les yeux ; en raison de son choix de carrière, il assimilait plus le rouge au sang qu’aux occasions festives.

Le directeur de Gladius Irae détestait la foule. Les odeurs qui flottaient dans l’air, la fragrance riche et poisseuse de la résine et des épices, comme les effluves sucrés de chocolat, de praliné et de pommes d’amour, lui soulevaient le cœur. Partout, des ensembles de chanteurs agaçaient ses oreilles par leur interprétation souvent approximative de refrains lancinants. Il se rappela pourquoi il restait toujours cloîtré chez lui à Noël. Il détestait devoir se frayer un passage parmi des groupes qui badaient et ralentissaient sa marche.

Il avait beau jeter çà et là des regards, il ne trouvait rien qui pût plaire à son pupille. Il n’avait, après tout, aucune envie de lui donner le goût des sucreries. Un thé de qualité ? Le garçon pourrait sans doute aimer cette attention… Il n’était jamais trop tôt pour apprendre à apprécier ce breuvage qui apaisait le corps comme l’esprit tout en le conservant alerte. Mais était-ce un présent suffisant ? Surtout pour rivaliser avec le travail acharné qu’il avait mis dans son propre cadeau ?

Il s’arrêta devant une boutique qui vendait habits et accessoires. Il hésita un moment entre une casquette de lainage à carreaux et une écharpe brodée d’edelweiss, sans doute importée de Suisse… mais il ne se sentait pas plus convaincu.

Enfin, il découvrit un bouquiniste au détour d’un croisement. Il repéra un volume sur les lutins de Cornouailles et fut tenté de le prendre, avant de le feuilleter et de réaliser qu’il s’agissait d’un livre de contes et non d’une étude sérieuse. Certes, les récits populaires avaient leur valeur, surtout dans sa ligne de métier, mais son protégé resterait perplexe devant ce style de littérature.

Il était prêt à renoncer quand il perçut soudain un chant doux et lancinant dans une langue qu’il n’avait pas entendue depuis bien des années… Il eut juste le temps d’apercevoir une jeune fille aux cheveux blonds dans une pelisse rouge, à laquelle les gens ne prêtaient aucune attention. Elle lui adressa un regard étonnamment pâle dans son visage délicat.

Il s’arrêta, interdit… Il savait que dans la période de Noël, la frontière entre le monde des morts et celui des vivants devenait plus ténue, mais il ne s’était pas attendu à rencontrer ce fantôme de son passé…

Il joua des coudes pour la rejoindre, sans prêter attention aux jurons et aux cris indignés, mais quand il parvint enfin sous le porche où il avait cru l’apercevoir, il trouva l’endroit vide. Malgré tout, il y flottait le parfum de fleur d’oranger, de jasmin et de rose qu’il associait encore à sa sœur. Si c’était bien Desideria qu’il venait de voir… que cherchait-elle à lui dire ?

Le cœur serré, il resta un long moment immobile, laissant les souvenirs affluer une nouvelle fois dans son esprit.


Texte publié par Beatrix, 10 décembre 2018 à 00h56
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