Un bruit de pages que l’on tournait attira son attention. À demi cachée derrière la jardinière où s’épanouissaient des plantes trop fragiles pour le froid extérieur, il repéra sa sœur, enveloppée comme à son habitude dans une chaude pelisse rouge doublée de fourrure blanche. C’était elle qui avait recueilli le jeune renard atteint d’une mauvaise fracture, qu’il avait ramené d’une expédition en Finlande. Elle l’avait soigné avec compétence, mais il était resté boiteux et bien trop apprivoisé pour regagner la nature. Il lui tenait désormais compagnie dans son isolement.

Comme le renard infirme, Desideria était bien trop faible et fragile pour le monde extérieur. Elle demeurait confinée dans ce palais de bois, comme une princesse de conte de fées. Un conte qui aurat débuté ainsi :

« Il était une fois des jumeaux, un garçon et une fille, nés des amours d’un chasseur et d’une sorcière. Ils avaient espéré que leurs enfants bénéficieraient de la vigueur de l’un et des talents de l’autre, mais il n’en fut pas ainsi. Le garçon, Erasmus, fut doté d’une grande vigueur physique, mais il ne possédait pas une once de magie. Tandis que sa sœur possédait un talent magique considérable, dans un corps frêle et souffreteux, au point qu’elle pouvait à peine se transporter d’une pièce à une autre. Elle demeurait dans la plus belle pièce de la maison et l’on veillait à ce qu’elle ne manque de rien... »

En s’efforçant de ne pas marcher sur le renard qui lui faisait des joies, il s’approcha de la table pour déposer la brassée de branches de sapin qu’il avait rapportée pour décorer la pièce, envahissant la bibliothèque d’une chaude odeur de résine. Comme sa sœur ne pouvait sortir de cet endroit, il lui apportait un peu du monde extérieur.

Desideria se tourna vers lui avec un large sourire. Elle s’était installée dans un fauteuil situé devant la fenêtre, pour parcourir un épais volume qu’elle peinait à tenir. Comme elle ne pouvait découvrir par elle-même ce qui existait au-delà de sa retraite, elle voyageait au travers de ses lectures, qui lui offraient des moments d’évasion ou la clef de vibrants mystères. Elle partageait avec son frère des cheveux blonds et des yeux d’un bleu très pâle, mais là s’arrêtait leur ressemblance. Quand Desideria était fine et délicate de traits comme de silhouette, Erasmus présentait un visage carré, taillé à coups de serpe, et une constitution de colosse. Par une cruelle ironie du sort, sa soeur pouvait à peine user de son potentiel si considérable de crainte que son corps ne le supporte pas. Erasmus se demandait parfois si ce pouvoir trop puissant ne la dévorait pas à petit feu.