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Londres, décembre 1882

Erasmus Dolovian, directeur de Gladius Irae, le bras armé de la fondation ésotérique Spiritus Mundi, avait affronté bien des défis dans sa vie… mais jamais aussi effrayant que celui qu’il s’apprêtait à connaître.

Comment s’était-il retrouvé dans cette situation ? Il aurait été bien plus simple de confier le garçon à l’un des établissements gérés par la fondation, spécialisés dans l’accueil d’enfants dotés de capacités inhabituelles. Ils disposaient d’un personnel formé à prendre en charge de jeunes pensionnaires qui, bien souvent, avaient subi des traumatismes du fait de leurs talents particuliers. Dolovian, lui, ne savait même pas par où commencer !

Avec du recul, sa décision lui paraissait totalement irresponsable, mais il était trop tard pour revenir dessus.

Il avait déjà déménagé son bureau dans sa chambre, pour laisser sa salle de travail à la disposition de son protégé. Le garçon ne semblait à son aise qu’entre des murs de livres, qu’il dévorait avec une avidité maladive, comme si sa vie en dépendait autant que de boire ou manger.

Et c’était peut-être vrai…

Cet enfant avait été… tellement endommagé !

Erasmus lança un regard vers la pendule, un œil-de-bœuf massif fixé au-dessus de la cheminée. Sept heures déjà ! Il était l'heure pour son pupille d’aller se coucher, mais il ne pouvait pas faire de différence entre le jour et la nuit. Il fallait dire qu’il devrait, encore pour un certain temps, demeurer derrière des volets fermés et d’épaisses tentures, dans un éclairage artificiel. D’après le personnel médical de Spiritus Mundi, il pourrait sans doute un jour affronter la lumière diurne à l'abri de verres grisés, mais pour le moment, mieux valait procéder avec prudence, d’autant que l’enfant se montrait toujours mal à l’aise dans les espaces dégagés.

Erasmus jeta un dernier coup d'oeil résigné à sa chambre, désormais un peu trop encombrée à son goût, et se leva pour gagner le couloir. Il s’arrêta devant la porte en entendant le bruit caractéristique de pages que l’on tournait…

Ouvrant très légèrement le battant, il glissa un regard à l’intérieur de la pièce : sans surprise, le garçon était installé à la table de travail qu’Erasmus lui avait dénichée dans l’un des surplus de Spiritus Mundi. Le lit étroit qu’il avait acquis le jour même de l’arrivée de son pupille détonnait presque au milieu de ces étagères supportant des centaines de volumes plus pointus les uns que les autres.

Son jeune protégé s’était plongé dans un énorme ouvrage qui n’aurait jamais dû retenir l’attention d’un enfant de douze ans, encore moins sa compréhension. Il l’avait redressé afin de pouvoir le déchiffrer plus confortablement, mais ses bras trop minces tremblaient sous le poids du livre. Cette vision ramena Erasmus des années en arrière…

Dans une autre vie… Un autre lieu…