La brume convergeait en tourbillons paresseux vers la pierre dressée, pour finalement l’envelopper dans une épaisse couche blanchâtre et vaguement luminescente, comme dans un cocon opaque, étrangement mouvant. Lucia recula avec précipitation, lançant un coup d’œil par-dessus son épaule. Elle ne parvenait plus à voir l’issue par laquelle elle était arrivée dans la clairière, comme si les branchages s’étaient refermés sur le passage. Mais ce n’était pas possible… Elle devait diriger son regard vers le mauvais endroit !
Lucia se retourna d’un bloc : devant elle, à la place de la forme de pierre, se tenait la gigantesque silhouette d’une femme assise. Elle portait comme seul vêtement une peau de loup, qui ne couvrait que sa tête, son dos et ses épaules. Le reste de son corps apparaissait, pâle et lumineux, dans une glorieuse nudité sur laquelle se déversait une chevelure couleur d’argent. Ses yeux brillaient d’une lueur intense, où jouaient du bleu, du vert et un soupçon d’or.
Bouche bée, la jeune fille la contempla, incapable de bouger ou de parler tant l’entité la subjuguait. Un sourire étira les lèvres de la femme, dévoilant des canines plus aiguës que d’ordinaire.
« Qui… qui êtes-vous ? balbutia Lucia.
— Tu es venu me porter ces offrandes, et tu ignores qui je suis ? »
Son visage se transforma lentement. Il se flétrit, se racornit ; de lourds habits brodés, ou plutôt leur version pâlie et délavée vinrent revêtir la forme qui s’était tassée. La jeune villageoise reconnut alors sa grand-mère :
« Vois qui je suis, Lucia ! Je suis elle, et toutes celles qui sont passées avant, et bientôt, je serai toi aussi.
— Moi ? Mais comment…
— Approche donc, enfant. »
Il y avait entre elles une gigantesque table-autel, mais elle n’hésita pas à la contourner pour rejoindre cette forme familière, qui semblait l’attirer entre ses bras.
« Avance encore. Nous ne ferons plus qu’une. Je suis le reflet de ta babička. Nous échangerons une part de nos âmes, comme ta grand-mère l’a fait avant toi. Tu seras à jamais ma prêtresse en ce monde… »
La voix, si semblable à celle de sa grand-mère, possédait un pouvoir hypnotique… Comme ses yeux. Ses yeux qui étaient restés ceux de la femme nue vêtue d’une peau de loup, débordant d’une lumière envoûtante.
Être dévorée pour renaître…
Sa peur s’évanouit totalement. Relevant ses jupes, elle monta sur la dalle de pierre en évitant avec soin les offrandes et alla s’étendre, presque dans les bras de l’esprit. La tête légèrement en arrière, elle exposa sa gorge, attendant l’étreinte qui la sublimerait.
Le visage au-dessus d’elle sembla palpiter ; il reprit un instant l’apparence d’un homme, celui qu’elle avait croisé sur le sentier, mais très vite, il commença à se déformer : sa mâchoire s’allongea, son front recula, ses oreilles grandirent et migrèrent vers le sommet de son crâne. Bientôt, s’ouvrit sur le gouffre d’une faim dévorante une gueule garnie de crocs meurtriers, prête à l’avaler tout entière…
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