Erasmus savait qu’il devait agir le plus discrètement possible. Il était hors de question d’emprunter le même chemin que la jeune fille, au risque d’être repéré par les villageois et d’être accusé d’apporter de mauvais augures. Après tout, il n’était qu’un étranger qui intervenait dans une affaire qui ne le concernait en rien.
Il ne put s’empêcher de sourire, un peu amèrement : il avait été un temps où ce genre de cérémonie revêtait une importance réelle, scellant le lien entre les humains et le monde des esprits. Contrairement à ce que l’on pensait souvent, ce n’était pas le Christianisme qui avait fait finalement reculer ces coutumes ; la plupart des campagnes n’avaient aucune difficulté à entremêler leurs croyances, les anciennes et celles qui s’y étaient ajoutées au fil du temps ; les noms avaient changé, mais bien souvent, la ferveur ressentie et son objet étaient restés les mêmes, sous une autre défroque.
Le bouleversement venait de cette nouvelle ère qui s’imposait partout dans le monde. Celle qui remplaçait la raison par la science, le labeur par la recherche du profit. Certes, une campagne si reculée n’était pas touchée, mais en se réduisant comme une peau de chagrin, les terres des croyances anciennes avaient perdu leur équilibre de toujours. La science n’était pas mauvaise en soi, bien au contraire : elle avait su écarter bien des superstitions et des impostures. Mais érigée en religion, elle avait limité le champ des possibilités et rétréci la vision des hommes, qui étaient de moins en moins capables de discerner ce qui les entourait. Leur univers devenait de plus en plus isolé des autres réalités. Les esprits privés de reconnaissance fuyaient devant ce prétendu rationalisme ; ils n’avaient plus l'opportunité de se dissimuler sous le manteau de nouvelles croyances, comme ils l’avaient fait depuis des millénaires dans un monde perpétuellement en mouvement.
Réfugiées dans les campagnes les plus reculées où les cultes anciens étaient demeurés profondément ancrés, elles avaient gagné paradoxalement en force, mais aussi en malice, du fait d’un étrange désespoir qui leur faisait oublier la véritable teneur de leurs lointains accords avec l’humanité. Dans les lieux plus policés, elles s’offraient aux invitations des fanatiques et des imprudents, causant des troubles qui nécessitaient de plus en plus fréquemment l’intervention de personnages comme Erasmus Dolovian : des ésotériciens doublés d’aventuriers qui s’étaient donnés pour mission de combattre de tels dangers. Leurs réseaux étaient implantés dans toute l’Europe et commençaient à essaimer dans le reste du monde.
Il ignorait ce qu’il allait trouver au bout de ce long ruban d’obscurité envahi d’une brume diffuse, serpentant entre les formes sombres et décharnées des arbres hivernaux. Il n’était pas sûr d’arriver à temps pour secourir la jeune fille… ni même de parvenir à se sauver lui-même du péril vers lequel il chevauchait. Mais il était un combattant aguerri et affronter le danger ne lui faisait pas peur.
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